L’histoire du football allemand est faite de grands noms, de grands moments. Cela s’applique même au-delà des frontières du sport. Pour le ballon rond et l’Allemagne, l’un des grands tournants se fait moins de dix ans après le second conflit mondial. Le miracle de Berne est un moment décisif, pas uniquement pour le sport mais aussi pour un pays qui devait se reconstruire. Et si Fritz Walter et Helmut Rahn auront été les héros sur le terrain, au bord de celui-ci c’était Sepp Herberger. L’entraîneur originaire de Mannheim, dont l’histoire mêle ballon rond, NSDAP et trophée Jules Rimet a rendu un peuple fier pendant un instant.
L’ombre de Josef Herberger, de son vrai prénom, plane d’ailleurs encore. Sans lui, sans ce qu’il s’est produit en 1954, il est difficile de savoir si l’Allemagne aurait remporté ses trois autres titres mondiaux. En place entre 1936 et 1964, l’homme au chapeau a eu le temps de façonner son football. Pourtant, l’histoire est complexe pour les raisons que l’on sait.
Le football et le IIIe Reich
En effet le 30 janvier 1933 – Tag der Machtergreifung (le jour de la saisie du pouvoir) – A. Hitler accède au pouvoir. La fragile République de Weimar tombe et le IIIe Reich prend forme avec le NSDAP dans son dos. La période la plus sombre de l’histoire allemande débute alors.
Sepp Herberger, âgé de 36 ans, rejoint le parti comme bon nombre de citoyens sans forcément suivre les idées de ce dernier, au moment où il débute sa carrière d’entraineur après avoir raccroché les crampons du côté du Tennis Borussia Berlin. Il n’est pas le seul dans ce cas-là puisque ceux avec qui il va avoir un lien plus ou moins étroit font de même. Otto Nerz, passé par le club berlinois avant de prendre en main l’équipe nationale (1926-1936) fait de même en 1937. Grand admirateur d’Herbert Chapman et du WM, il essaye de faire jouer sa sélection de la sorte mais cela finira mal. La défaite de l’Allemagne face à la Norvège lors des Jeux Olympiques de 1936, arme de propagande massive du IIIe Reich, mettra un terme à son mandat. Tout d’eux sont passés par l’Université d’éducation physique de Berlin permettant d’enseigner les rouages du coaching comme l’explique Uli Hesse dans son ouvrage Tor ! The Story of German Football.
À côté de cela, l’autre homme fort du moment est Felix Linnemann, avant d’être le quatrième président de la DFB, siège au directoire et il pousse pour une modernisation du football allemand. Ce dernier propose l’idée d’une Reichliga, soit une ligue nationale à l’image de la Bundesliga actuelle. Cette idée est suggérée est 1932 mais l’arrivée du parti nazi au pouvoir chamboule les plans. Si la DFB est plus ou moins supprimée et placée sous la coupe d’un organisme englobant tous les sports (NSRL) où le football est le second pôle le plus important derrière la gymnastique alors symbole de l’ordre et sport national. F. Linnemann qui s’engage aussi dans le NSDAP en 1937 ne perd pas sa place pour autant et le sport est organisé de façon régional (Reichgau – division administrative du Reich).
Le football allemand est alors, comme le reste, pris dans l’étau du régime nazi. Et les hommes forts de ce dernier essayent tant bien que mal de le faire progresser. Ils ne font toutefois rien quand les juifs sont exclus de toute activité dont le sport. Soit parce qu’ils ne peuvent pas, soit parce qu’ils ne sont pas forcément d’accord. C’est sans doute le cas d’O. Nerz qui ne semblait pas du tout contre les idées du dictateur allemand, bien au contraire. F. Linnemann non plus, et son travail au sein de la police ne fait que rendre son rôle plus flou. En 1937, après le fiasco des olympiades, il est transféré à la Kriminalpolizei de Berlin à Stetin (ville polonaise située en Poméranie occidentale, à la frontière allemande actuelle). Cette branche de la police était dirigée par les SS, proche de la Gestapo et a alimenté les rangs des Einsatzgruppen (police paramilitaire).
Avec un tel arrière-plan, au moment où la guerre a pris fin, les deux hommes n’ont pu échapper aux camps d’internement mis en place par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Les deux sont finalement décédés rapidement après la guerre.
Et Sepp Herberger là-dedans ? Ce dernier, bien qu’affilié au parti nazi, n’a pas été poursuivi et a donc été inclus dans le groupe des « Mitläufer ». On a considéré que ce dernier n’avait jamais participé aux activités du régime de façon active. Il a donc pu reprendre le cours de sa vie et continuer à diriger l’équipe d’un pays totalement décimé et coupé en deux. Il n’était plus le sélectionneur de l’Allemagne mais de l’Allemagne de l’Ouest.
Le football pour permettre à la vie de reprendre son cours
Finalement, l’échec de 1936 pour le football allemand est peut-être la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Puis après la guerre, au moment où la reconstruction a débuté, la dénazification a été enclenché, le sport qui va devenir le plus important du pays va lui aussi évoluer. Mais pour comprendre l’après-guerre, il faut retourner dans le passé. Si Otto Nerz avait quitté son poste de suite après la défaite face aux norvégiens, il avait encore un temps épaulé Sepp Herberger qui lui avait succédé naturellement. Cela a permis au nouvel entraîneur de continuer à poser les bases pour l’avenir. Cela s’est notamment fait grâce à une équipe en particulière : le Breslau-Elf dont faisait notamment partie la légende de Schalke 04, Fritz Szepan.
C’est encore une fois Uli Hesse qui, dans son ouvrage, évoque le fait que cette équipe est principalement l’œuvre d’Otto Nerz. Ce dernier avait su trouver une équipe qui fonctionnait avec le système de Chapman tout en ayant la discipline allemande. C’est toutefois son successeur qui a vraiment pu mettre cela en place. Mais tout s’arrête au moment où la guerre débute en 1939. Après cela, les équipes sont décimées entre ceux qui partent au front, ceux qui sont exclus puis plus tard ceux qui ne reviendront pas. Ceci n’a cependant pas empêché le développement de plusieurs joueurs qui seront là dans les années 50 dont Helmut Schön.
La plus belle des récompenses.[sportbuzzer.de/caption]
Avec cela en tête, ce qui a été accompli à Berne relève de la prouesse. L’utilisation du terme « miracle » n’a rien de sordide puisque c’est ce que Sepp Herberger et ses hommes ont accompli ce jour-là en 1954. Et au moment où son pays traversait l’obscurité, lui ne pensait qu’au football. Même en temps de guerre, quand des matchs avec une équipe diminuée, il ne pensait qu’au sport au point de désigner les combats comme une excuse utilisée par les joueurs pour ne pas donner le maximum comme cela est rapporté dans l’ouvrage Tor ! The Story of German Football. Le football c’était simplement la lumière qui menait sa barque entre les rapides.
Au moment où la majorité de ses joueurs étaient éparpillés en Europe, il a essayé par tous les moyens de les rapatrier en envoyant des lettres à l’État-major en inventant de nouvelles médailles avec l’espoir que ses joueurs pourraient revenir. L’un de ses joueurs aura attiré une attention toute particulière en la personne du grand Fritz Walter qui a dû partir au combat en 1940 du haut de ses 20 ans.
S.Herberger a tant bien que mal essayé de protéger le joueur originaire de Kaiserslautern et futur héros du miracle de Berne mais plus le conflit avançait et plus cela se compliquait. Il arrivait toutefois à participer à plusieurs matchs, en 1942, il inscrit notamment 15 buts en trois matchs (Face à la Suisse, la Croatie et la Slovaquie). Surtout, l’Allemagne affronte la grande équipe hongroise à Budapest et s’impose 5-2. Mais tout est chamboulé encore une fois après Pearl Harbor.
Le football se poursuit mais tout se complique un peu plus au fil de l’avancé du conflit mondial jusqu’au 20 avril 1945 et la capitulation allemande. Les soldats du vaincu sont alors fait prisonniers. Et Sepp Herberger est prêt de perdre le joueur qu’il chérit le plus. Fritz Walter est désormais un prisonnier de guerre par les américains. Et ce dernier va alors jouer ce qu’il appellera lui-même « le match le plus important de sa vie » tout simplement parce qu’il jouait pour sa survie.
En Ukraine, alors que les officiers se préparent à jouer un match, le ballon roule vers lui alors pourquoi pas faire la seule chose qui le retient à la vie ? Jouer au football s’allie alors à l’instant et tout devient naturel. Ses mots sont simples, preuve d’un besoin irrémédiable de faire ce qu’il a toujours su faire, avec d’autres hommes comme lui. « Pour moi, l’ailier-gaucher n’est qu’un ailier-gauche. Le fait qu’il soit aussi slovaque ne me vient pas à l’esprit. Qu’est-ce que cela peut me faire si le milieu droit vienne de Hongrie ? Nous sommes footballeurs et rien d’autre ». Toutefois, ce joueur hongrois se souvient de cette rencontre de 1942. Ce jour où son équipe s’est inclinée face à celle de Fritz Walter. Ce jour où, grâce à un Sepp Herberger déterminé à jouer au football, un match qui allait altérer le futur s’est tenu. Walter est alors libéré puis renvoyé dans sa ville natale. Le joyau d’Herberger était sain et sauf grâce à lui et grâce au football.
Entre 1945 et 1954, Sepp Herberger a eu le temps de se bâtir une nouvelle équipe, composée d’anciens soldats, de jeunes joueurs. Un savant mélange qui allait offrir au pays la plus grande des récompenses. L’héritage du sélectionneur est immense et si aujourd’hui son nom est entré au Panthéon du football allemand ce n’est pas pour rien. Une ombre subsiste toutefois puisque cette entrée ne sait pas faite sans qu’une polémique n’éclate.
Le fait qu’il ait intégré le NSDAP, on s’accorcde à dire qu’il n’a jamais vraiment agit en fonction de l’ideologie du parti. Il va s’en dire qu’il a été utilisé puisqu’en travaillant en tant que selectionneur national dès 1937, ceci est indéniable. Ce que l’on peut dire c’est qu’il s’est laissé prendre dans la machine de propagande puisqu’il a participé à la réalisation du film « Das große Spiel » (littéralement « Le grand jeu ») sorti en 1942. Toutefois la question est toujours la-même, est-ce qu’il avait le choix ? C’est bien-sûr un sujet complexe mais on ne peut nier ce fait là.
Pour revenir au sport qui était le sien, le football qu’il a fait pratiquer à ses hommes était efficace, froid, fait de joueurs sachant se battre sur le terrain. Plus ou moins jusqu’à la réunification, ce fonctionnement a perduré et l’Allemagne de l’Ouest a fait peur. Franz Beckenbauer a vu les images de 1954 et il s’en est probablement nourri, comme d’autres grands joueurs qui sont arrivés après ce tournant. Cependant, le nom de l’homme au sourire narquois, avec son chapeau vissé sur la tête est indissociable de l’histoire d’un football qui a véritablement commencé à exister après ce jour pluvieux à Berne. Quelque soit son passé, son histoire, le football allemand lui doit beaucoup.
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