Le football post-coronavirus est marqué par l’absence de supporters aux stades. Très vite, les chaînes de télévision ont eu une idée : installer une fausse ambiance, dite artificielle, pour combler le vide sonore dû aux huis clos. Ultimo Diez a interrogé joueurs, supporters et arbitres afin de connaître leur ressenti quant à cette innovation. Et les avis divergent.
Elle n’a pas échappé à vos oreilles. Vous en avez parlé avec les amis et la famille. Vous avez donné votre opinion en picorant des cacahuètes à l’apéro. Depuis le mois de mai, les diffuseurs, bien que ravis du retour du ballon rond sur leurs antennes, ont été confrontés au problème : fini les rugissements des tribunes, place aux bruits sourds des frappes dans le cuir et des mots hurlés par l’entraîneur. Ça, c’est ce que vous croyiez. Les chaînes de télévision ont contourné le problème à l’aide d’ambiances et de chants préenregistrés. Ajoutez-les au match en guise de piste audio et le tour est joué : le football est le même qu’avant ! Ou presque.
Un symbole du foot-business
De prime abord, Graouz, fidèle ultra du FC Metz, a trouvé ça « assez humoristique dans le sens où, d’une façon technologique, c’est assez poussé ». « Sur le coup, c’est marrant car il y a une sorte de DJ là pour placer les bons sons au bon moment », dénote le membre de la Horda Frénétik. Mais le Messin, une fois sa curiosité satisfaite, ne goûte que très peu à cet artifice : « On considère qu’un match de foot au niveau professionnel, c’est un événement populaire. De façon très primaire, le sport est un moyen pour les humains de faire quelque chose ensemble. Sur cette base, le football sans supporters n’a pas lieu d’être. »
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Contactés, les Lingon’s Boys, ultras de Dijon, nous ont renvoyés vers un communiqué auxquels ils ont, comme 44 autres groupes de supporters, apposé leur signature disant « non à une reprise prématurée du football », en avril dernier. « C’est un système qu’on dénonce, explique Graouz. C’est le fait que les diffuseurs ont la mainmise sur le football. On sait très bien que s’ils ont repris, c’était uniquement dans un but économique. » L’ennemi ici est le foot-business, « un modèle qui rémunère grassement les joueurs, les agents, et ce sont toujours les supporters qui sont les vaches à lait et subissent les augmentations tarifaires chaque année ».
« Aller au stade, c’est tout un bouquet d’odeurs, de bruits »
D’autres supporters mettent un peu d’eau dans leur vin. Georges Huguet, président de Générations OL, en a « parlé avec quelques-uns du groupe ». « Certains, ça les laisse froid. D’autres disent que c’est bien », confie le Lyonnais. Même si « ça ne remplacera jamais les spectateurs », l’ambiance artificielle « évite la sinistrose des matches à huis clos ». Alexis Boucard, référent-supporter du FC Nantes, parle d’un « cache-misère temporaire ». Graouz grince des dents sur le dernier mot. Cette fausse ambiance découlant indirectement du foot-business n’est pas sans rappeler « ce qu’on appelle, dans le jargon, les animations Disneyland. Des sociétés privées qui remplacent le rôle du supporter au stade, qui vont proposer des feux d’artifice, jeux de lumière… »
Concept intéressant sur Movistar La Liga : le mode « virtual ». Voilà ce que ça donne avec, et sans.
Différence : de faux chants de supporters, et surtout de faux supporters en 3D dans les tribunes #SevillaRealBetis #ElGranDerbi #VolverEsGanar pic.twitter.com/0K0Y4jyxT4— Dimitri (@Dimitri_64) June 11, 2020
Le son ne vous convient pas ? Les diffuseurs ont plus d’un tour dans leur sac. En Angleterre, il est possible de suivre le match par visioconférence et voir son visage affiché sur l’écran géant du stade. Ingénieux. Mais comme Graouz, ils sont nombreux à n’y déceler aucun intérêt. « Aller au stade, c’est tout un bouquet d’odeurs, de bruits, partage-t-il. C’est être avec nos amis, se faire entendre en chantant et vivre des émotions. » Les émotions, un sujet marqué au fer rouge chez les supporters. Et pas chez les autres acteurs du foot ? Comment un arbitre gère-t-il les huis clos ? Quel est le ressenti des joueurs ?
Pour arbitres et joueurs, « difficile de se concentrer » sans ambiance
Nous avons contacté la Direction Technique de l’Arbitrage (DTA), branche de la Fédération Française de Football (FFF), qui n’a pas souhaité nous répondre. Au contraire de Tony Chapron, arbitre de Ligue 1 entre 2005 et 2018, toujours prompt à partager son expérience. Des huis clos, il en a connu « quelques-uns ». « Ces matches sont désagréables, reconnaît le consultant de Canal+. Je crois que c’est comme pour les joueurs. On a besoin de la présence du public, de la ferveur. Ça permet de rester concentré. Sinon, il y a un risque de divaguer un peu. »
Car oui : contrairement à la croyance populaire, les arbitres ne souffrent pas d’une grosse ambiance. « Le brouhaha du public fait un bruit de fond, mais il ne vous perturbe pas, souligne Tony Chapron. Vous ne pouvez pas identifier ce qu’il se dit dans un stade de 20.000 places, donc ce n’est pas gênant. En revanche, dès lors qu’on interprète des phrases, on sort de sa concentration habituelle. » Les consignes entre joueurs situées à 40 mètres deviennent aussitôt audibles. Des « bruits parasites » selon l’ancien arbitre. Un sentiment partagé par Cédric Kipré, défenseur franco-ivoirien de Wigan, en deuxième division anglaise. Qui plaisante d’abord sur un autre souci : « On entend tout ce que dit le coach (rires). Quand il y a les supporters et qu’il t’engueule, tu peux faire semblant de ne pas avoir entendu. Là… il se fait plaisir. »
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Au-delà de l’entraîneur qui vocifère, Kipré approuve les propos de Tony Chapron sur la difficulté de se concentrer : « Il a raison. On a un peu l’impression que c’est un match amical. Quand il y a beaucoup de bruit, tu restes “focus”. » Sans parler de ce fameux 12e homme qui galvanise. « Vers la fin du premier match de reprise, j’étais un peu fatigué, raconte Kipré. Mais avec les supporters, la fatigue, tu ne vas pas trop la sentir. Là, c’est beaucoup plus dur. » La question se pose alors : joueurs et arbitres aimeraient-ils que cette ambiance artificielle ne s’entende pas seulement à la télé, mais aussi au sein du stade ?
« Je vais vous raconter mon match au Qatar… »
« J’aimerais bien, sourit le défenseur de Wigan. En plus, des matches que j’ai vus, ils le font super bien ! Quand il y a un tacle ou un but, ils sont dans un bon timing. Ça nous mettrait plus dans le truc. » Tony Chapron, lui, est davantage sceptique. Et pour cause : il l’a déjà (presque) expérimenté. « J’avais arbitré un match au Qatar, se souvient l’ancien homme en noir. Le stade devait faire 25.000 ou 30.000 places. Et il y avait environ 2.000 spectateurs. On est quasiment de l’ordre du huis clos quand vous avez un très grand stade avec une si petite jauge. Sauf qu’au Qatar, ils trouvent une parade via une tombola ou autre pour faire venir du public. » Problème : ces spectateurs « n’y connaissent rien au foot ». « À un moment, le ballon sort en touche, et le public se met à hurler. Ils sont à contretemps. Ils crient, mais ça n’a rien à voir avec ce qui se passe sur le terrain. » L’ambiance artificielle, bien que réactive, est souvent victime d’un temps de latence sur un but ou une lourde faute. « L’émotion, elle est instantanée, pas différée de 2 ou 3 secondes », rappelle Tony Chapron.
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Cette configuration qatarie s’apparente à ce qui attend la finale de la Coupe de France le 24 juillet, et celle de la Coupe de la Ligue le 31 juillet. Lundi, le Conseil d’État a maintenu l’interdiction des rassemblements de plus de 5.000 personnes. « Si vous jouez au Stade de France, une enceinte de 80.000 places alors qu’il n’y a que 5.000 personnes présentes, ça va sonner creux », prévient M.Chapron. Cédric Kipré, qui qualifie l’expérience des huis clos comme « négative », insiste pour tenter le coup de l’ambiance artificielle : « Dans mon équipe, on trouve tous que ça (l’absence de supporters, ndlr) fait bizarre. On est tous un peu pressés que la saison finisse et que les choses reviennent à la normale… » Les supporters français sont d’accord. Mais restent fidèles à leur ligne de conduite, ayant « réclamé (et obtenu) que les télévisions ne diffusent pas de bande sonore ou d’image de foule virtuelle » lors des finales de Coupe, rapporte Le Parisien.
L’image des tribunes, la peur du vide
Enfin, le son n’est pas l’unique problème des diffuseurs. « Ceux qui regardent à la télé, ils ont l’image des tribunes vides, ce qui n’est pas agréable », remarque Alexis Boucard, référent-supporter nantais. « J’ai trouvé ça un peu grotesque », s’étonne Georges Huguet, supporter lyonnais, à propos des mannequins en plastique à l’effigie de spectateurs dans les travées. Une pratique aperçue en Allemagne, finalement peu utilisée. En Angleterre et au Portugal, on recouvre les sièges par des bâches. Dans ce dernier pays, il n’y a d’ailleurs aucune ambiance artificielle. Un parti pris, comme en Italie. Tout le contraire de l’Espagne, qui a tenté l’incrustation d’un faux public via une astuce technologique.
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Au final, les acteurs des matches que sont joueurs, arbitres et supporters s’accordent sur un point : le football, ça ne doit pas se jouer à huis clos. « Après, on comprend très bien la problématique du FC Metz qui doit payer ses salariés, nuance Graouz. C’est clair que si on (les ultras, ndlr) peut faire un geste, on le fera. Mais c’est difficile d’accepter que les matches reprennent à huis clos, car ce n’est pas notre vision du football. » La crise sanitaire a engendré une crise économique qui esquinte le monde du ballon rond. Elle a remis sur la table le débat de la démesure financière dans ce sport. « Si ça peut permettre de refonder certaines bases plus saines, il y aura eu du positif tiré de cette situation », espère l’ultra messin. Pour l’heure, le foot se joue. Et comme le pointe Georges Huguet, l’ambiance artificielle, « c’est mieux que rien ».
Crédit photo : PA Images / Icon Sport