L’une des très nombreuses conséquences de la crise du Covid-19 a été la bataille judiciaire entre des clubs mécontents de leur sort et les décisions discutables de la Ligue. Depuis l’annonce de l’arrêt des championnats en France le 30 avril dernier, huit clubs professionnels ont saisi le Conseil d’État pour obtenir gain de cause. Avant de se heurter à un mur.
Il y aura toujours des gagnants et des perdants. Devant les annonces du gouvernement annonçant l’arrêt définitif de la saison de football en France, la LFP s’est empressé d’inventer une manière de terminer les championnats. Et fatalement, il y a eu des déçus. Amiens et Toulouse parce qu’ils descendaient en Ligue 2. Ajaccio, Troyes et Clermont parce qu’ils y restaient. Et Lyon parce qu’il ne serait pas européen, une première depuis 1997. Tous ont saisi le Conseil d’État et tous ont perdu face à la plus haute autorité administrative de France. C’est précisément ici que se pose une question vieille d’une quarantaine d’années : où commence la compétence du Conseil d’État, et jusqu’où va-t-elle ?
Le football, un mini-monde autonome ?
Pour jouer, il faut des règles. Celle du football est simple : deux équipes de onze joueurs s’affrontent et doivent envoyer un ballon dans le but adverse à l’aide des pieds. Et pourtant. Le football est un domaine ultra réglementé, où chaque détail concernant la taille du flocage sur un maillot ou la façon d’éclairer un terrain est régi par des règlements. Et plusieurs autorités sont présentes pour faire appliquer ces centaines de règles. L’arbitre est chargé de les faire respecter sur le terrain durant 90 minutes. Mais quand le coup de sifflet final est donné, plusieurs instances différentes prennent le relais. La LFP (Ligue de football professionnel) et la FFF (Fédération française de football) sont les deux organes principaux auxquels les clubs peuvent faire appel s’ils s’estiment lésés.
Amiens, débouté par le Conseil d'État, jouera bien en Ligue 2 https://t.co/IVD3wHIlIC pic.twitter.com/4l30wyAxF5
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D’apparence, le monde du football est parfaitement autonome. Il édicte ses propres règles, qu’il fait appliquer avec ses propres moyens et rend la justice dans ses propres conditions. Néanmoins, le footballeur reste un employé et les clubs de foot des employeurs, tous deux soumis au Code du Travail. Le footballeur reçoit un salaire, des fiches de paie, bénéficie d’une protection sociale et a le droit à une retraite. En d’autres termes, rien ni personne n’est au-dessus de l’État. Dans la pyramide juridique du droit français, les règlements sont en-dessous des lois, les règles doivent donc être en accord avec les lois promulguées.
Foot et conseil d’État, une vieille histoire
Le juge administratif fait son apparition dans le monde du ballon rond en 1974. Cette année-là, le Conseil d’État rend un arrêté sur une affaire d’excès de pouvoir de la part de la Fédération française de tennis de table et se reconnaît, par la même occasion, compétent pour trancher les litiges issus des compétitions sportives. À partir de cette date, le juge administratif ne fera qu’accroître son degré de contrôle sur le monde du sport, en particulier sur celui du football, et il sera de plus en plus sollicité.
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Dans les années 1990, c’est le côté business du foot qui fera l’objet d’un arrêté du Conseil d’État. En 1997, Nike et Reebok saisissent le juge administratif pour dénoncer la concurrence déloyale dont a fait preuve Adidas. La marque à trois bandes, grâce à la modification du règlement des championnats de France professionnels de D1 et D2, était devenu le seul fournisseur d’équipements sportifs pour les clubs de ces deux divisions pour une durée de cinq saisons. Adidas était aussi le sponsor exclusif de la Coupe de la Ligue, d’une partie de la Coupe de France et également aussi l’équipementier exclusif de l’équipe de France. Plus simplement, Adidas était le fournisseur exclusif de 60% des équipes bénéficiant d’une retransmission télévisée en France.
Le Conseil d’État inflige alors de lourdes amendes à Adidas ainsi qu’à la Ligue et ordonne la suppression des clauses de priorité pour le renouvellement des contrats entre Adidas et les clubs français. En cassant ce monopole et en donnant raison à Nike et Reebok, le juge envoie un message fort : il est désormais capable d’avoir le dernier mot non seulement sur le sport en lui-même mais aussi sur les acteurs qui gravitent autour de lui. Le football français n’est plus alors une simple institution réglant ses problèmes en interne. Il devient un sujet politique, économique et social.
Quand on dénonce «la judiciarisation du football»
Les recours de Lyon, Toulouse et consorts auprès du Conseil d’État ne sont pas des faits nouveaux. Il faut remonter en 1991 pour retrouver la première relégation ordonnée par le juge administratif. À l’issue de la saison 1990-91, les Girondins de Bordeaux présentent un déficit budgétaire de 300 millions de francs (environ 45 millions d’euros). Le règlement de la LFP prévoyait, déjà à l’époque, la possibilité de rétrograder en division inférieure un club qui faisait l’objet d’un dépôt de bilan. Saisi par le FCGB, le Conseil d’État donna raison aux instances du foot français, arguant que la rétrogradation pour cause financière permettait de garantir le bon déroulement des compétitions nationales.
Ronan Salaün : "La saison 1991-1992 ? C'était une équipe de Ligue 1 qui jouait en Ligue 2, quand on se déplaçait les stades étaient souvent bien remplis"
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Ce n’est qu’en 2001 que le monde médiatique met véritablement en lumière les décisions du Conseil d’État concernant le football et dénonce même la « judiciarisation » de ce dernier. Au cours de la saison 2000-01 éclate l’affaire des faux passeports qui dénonce l’usage de passeports frauduleux par des joueurs argentins, brésiliens et chiliens afin de se soustraire à la règle du quota n’autorisant que trois joueurs extra-communautaires au sein d’un effectif. Plusieurs clubs ont ainsi eu recours à la voie juridique et il a fallu attendre le 1er juillet 2001, soit cinq semaines après la fin du championnat, pour connaître le classement définitif, homologué par le Conseil d’État.
Au regard de ces faits, on remarque que les recours formulés auprès du juge sont essentiellement motivés par un intérêt financier. Les budgets des clubs sont toujours plus élevés, comme les recettes des droits télévisés ou les transferts des joueurs. Les problématiques engendrées n’en sont donc que plus grandes. Au regard des sommes en jeu, les frais de justice peuvent paraître dérisoires et semblent motiver les clubs à engager une bataille judiciaire. L’accroissement permanent de ces enjeux financiers contraint donc le juge administratif à intervenir de plus en plus souvent.
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