La première page de notre histoire s’écrit le 6 décembre 2005 face à Rosenborg. Ce jour-là, Karim Benzema disputait son premier match en Ligue des champions et y inscrivait déjà son nom au tableau d’affichage. Quinze années, sept dizaines de buts et quatre étoiles plus tard, il est devenu un grand de la compétition.
Quelques heures avant le quart de finale aller du Real Madrid face à Liverpool, laissez-moi vous conter cette formidable aventure. Divisée en cinq chapitres, celle-ci retrace l’évolution d’un joueur brillant, auréolé d’un destin étoilé.
Chapitre I : L’éclosion
Avant d’être une étoile parmi les étoiles, le protagoniste de ce livre dut faire ses preuves. Des lettres de noblesse acquises au prix de performances remarquées dès le plus jeune âge. Loin de toute forme de pression, le garçon de Bron parachevait son apprentissage sous la tunique à l’écusson brodé d’un lion.
20 février 2008, Olympique Lyonnais – Manchester United (1-1)
Pour sa première saison dans la peau d’un titulaire, Karim Benzema s’impose comme l’uns des meilleurs joueurs de Ligue 1 mais se fend aussi de quelques grandes prestations en Coupe d’Europe. Deuxième de sa poule derrière le Barça, Lyon reçoit les Red Devils lors du huitième de finale aller.
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Les Lyonnais d’Alain Perrin se présentent en 4-3-3 avec un François Clerc très proche de sa ligne à droite. De l’autre côté, Sidney Govou est lui plus prompt à rentrer à l’intérieur et peut permuter avec Karim Benzema. Le jeune attaquant doit pour sa part faire face à la terrible charnière Vidić-Ferdinand.
Très vite, le numéro 10 lyonnais est recherché par ses partenaires. Il dézone déjà beaucoup, que ce soit en décrochant dans l’axe ou sur les côtés. Le plus souvent pris par Vidić, Benzema est très mobile et tente de le faire sortir de sa zone. D’autant que Patrice Évra est positionné assez haut, le Serbe est en difficulté car il a beaucoup d’espace à gérer dans son dos.
Dans ce match, l’OL cherche systématiquement à trouver sa pépite le plus vite possible à la relance. Il est la clé de voute des sorties de balle lyonnaises et va toucher énormément de ballon dos au jeu qu’il ne perdra que rarement. Même s’il est encore frêle, son bon jeu de corps lui permet de résister aux rigides mancuniens, mais c’est surtout sa qualité technique qui parle.
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Il multiplie les remises à une touche quand le marquage est serré, faisant sortir un central et ouvrant de l’espace. Surtout, il est souvent recherché sur des ballons longs, de Coupet notamment. L’un des pans forts de son jeu se dévoile : ses réceptions aériennes. Comme il continuera à le faire plus tard, ses contrôles sont impeccables sur ballons longs et le désignent comme une vraie cible à la relance.
Lorsqu’il est touché, Benzema a majoritairement deux schémas dans cette rencontre. Soit il conserve dos au jeu en attendant le soutien d’un ailier ou relayeur, soit il parvient à se retourner et peut attaquer la défense balle au pied. Juninho et Källström ne se projetant pas énormément, les décalages dans le cœur du jeu viennent essentiellement de lui. Les occasions lyonnaises aussi. Karim gagne beaucoup de coups francs aux 30 mètres en attirant un central sur lui et offre des munitions à Juni.
En deuxième période, Coupet cherche souvent Clerc le long de la ligne, qui gagne tous ses duels aériens face à Évra. Il remise ensuite de la tête dans l’axe et c’est de cette manière que le premier but arrive. L’ailier droit lyonnais est trouvé et remise vers Benzema. Le numéro 10 contrôle, se retourne avant de servir Toulalan et se projeter immédiatement vers l’avant. Il est resservi aux 20 mètres et déclenche le fameux enchaînement pied droit – pied gauche qui battra van der Sar.
Finalement, ce but résulte de ce qu’il a fait tout le match. Ciblé dos au jeu à la relance, remises et précision dans les petits espaces. Remplacé par Fred en fin de match, Karim verra du banc Carlos Tévez égaliser. Lyon s’inclinera au retour 1 but à 0 et sortira face au futur vainqueur de l’épreuve.
Plus que sa performance en elle-même, c’est l’ultra-responsabilisation du joueur qui frappe, en dépit de son âge et de l’adversité. À seulement 20 ans, celui qui deviendra KB nueve au Real s’illustre et met à mal l’une des charnières les plus fortes de son époque.
Chapitre II : Le grand bain
Maintenant qu’il a brillé sous sa tunique de jeunesse, il est temps pour notre héros de s’émanciper. Dans ce nouveau monde qui s’offre à lui, c’est la capitale ibérique que le jeune homme choisit. Bercé par les légendaires récits qui parent la ville, le voilà plongé dans le grand bain.
16 mars 2011, Real Madrid – Olympique Lyonnais (3-0)
Après une première saison timide sous les ordres de Manuel Pellegrini à Madrid, Karim voit l’ami José Mourinho prendre la tête de l’équipe. Si les rapports entre les deux hommes sont d’abord conflictuels, Benzema se fait une place dans l’équipe à force de travail. Il retrouve son ancien club à l’occasion des huitièmes de la Ligue des champions 2010-2011.
Le coach portugais aligne son habituel 4-2-3-1 avec Karim en pointe, Özil derrière lui, Cristiano Ronaldo à gauche et Di María à droite. Si les attaquants permutent tout de même, cette formation est moins souple en terme de mouvements. Le 9 madrilène a moins de liberté et ne décroche pas autant avec le meneur de jeu allemand derrière lui.
Karim est très dépendant des mouvements de CR7 et Özil dans son positionnement. La balle est attirée côté gauche par la relation Cristiano-Marcelo et Özil qui est souvent proche d’eux. Leur connexion fonctionne très bien, le Portugais et l’Allemand sont recherchés en priorités sur les sorties de balle. Les deux sont aussi en charge de la création et on a encore ce Ronaldo «aspirateur à ballon» d’antan, qui est alors un joueur plus total qu’aujourd’hui.
De son côté, le Nueve passe après eux à la construction, davantage touché sur des longs ballons lorsque la sortie de balle peine un peu. En ce sens, il est utile pour sauter des lignes et Casillas le cherche à plusieurs reprises. Benzema est aussi souvent trouvé comme relai sur attaque rapide, mais ne porte pas beaucoup la balle. Utile pour combiner dans le dernier tiers, il déclenche plusieurs appels courts dans la surface quand l’équipe est haute, Cristiano étant plus loin du but. Déjà buteur à Gerland (1-1), il récidive après une erreur de la défense lyonnaise en battant Lloris en face à face.
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S’il ne fait pas un mauvais match, cette partie illustre son rôle plus obscur de l’époque. L’attaque madrilène est beaucoup plus centrée sur Cristiano ou Özil tandis que Karim est plutôt dans l’ombre. Chargé d’être un relai pour ses collègues plus qu’un animateur du jeu, il occupe aussi l’espace qu’eux n’occupent pas. Si le quintuple ballon d’or rentre vers l’axe, Karim prend l’aile. Quand le futur ex-joueur d’Arsenal monte très haut, il peut décrocher.
Mais cette formation, certes assez rigide, permet au Real d’avoir des joueurs plus proches pour combiner dans les petits espaces. Surtout, la Maison Blanche s’offre quatre contre-attaquants d’exception qui feront sa force sur transition.
Chapitre III : La première étoile
Bientôt dix ans après le début de l’histoire, voici que l’acteur de celle-ci va y glaner sa première étoile. Mais avant de participer au dénouement épique de cette épopée, une ultime menace l’attendait. Un lointain envahisseur venu de Bavière était bien décidé à lui bloquer l’accès aux cieux.
23 avril 2014, Real Madrid – Bayern Munich (1-0)
Les Madrilènes courent toujours après leur Décima et accueille un nouvel adversaire germanophone, après avoir sorti Schalke puis Dortmund. Cette demi-finale oppose deux des favoris, menés par Carlo Ancelotti et Pep Guardiola.
Les Madrilènes sont positionnés en 4-4-2 avec Isco à gauche, Di María à droite et Cristiano proche de Benzema devant. Dès le début de la partie, les Merengues proposent un bloc très bas qui abandonne la possession au Bayern et sévit en transition. Ronaldo joue assez axial en restant haut tandis que le numéro 9 bouge davantage.
Dans cette configuration, les schémas de relance espagnols sont clairs. À la récupération, Karim Benzema décroche bas dans le cœur du jeu pour une remise, souvent en écartant sur l’aile. Après celle-ci, il se projette immédiatement, multipliant les longues courses. Les Munichois étant hauts pour mettre la pression sur le Real, il y a beaucoup d’espace à attaquer derrière eux.
C’est exactement de cette manière qu’il marque l’unique but du match, à la 19e minute. Madrid récupère le ballon dans sa surface. Benzema touche le ballon très bas dos au jeu et écarte sur Xabi Alonso. L’action se prolonge côté gauche et Cristiano lance Coentrão sur l’aile. Pendant ce temps-là, KB nueve a traversé le terrain et pousse le ballon au fond, sur un service parfait du latéral au second poteau. C’est d’ailleurs un appel très régulier chez lui. Lorsqu’il n’est pas côté ballon pour combiner, Benzema attaque en général le second poteau. Beaucoup de ses buts de la tête ont eu lieu de la sorte.
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Lors de cette partie, les remises du Français sont très précises. Que ce soit sur transition ou lorsque Ramos allonge pour le trouver de loin, il fait du bien à son équipe. Ses déplacements sont eux aussi variés et son volume de course conséquent. En seconde période, le Real a fait le score et a moins besoin de prendre ce risque d’être très bas pour profiter de l’espace en contre-attaque.
La Casa Blanca touche donc plus la balle et subit moins. C’est alors Modrić qui s’occupe de la sortie de balle tandis que Benzema fixe davantage les centraux que lors du premier acte. Le Croate réalise lui aussi une grande performance et sort très bien du contre-pressing bavarois. Victorieux, les hommes d’Ancelotti gagneront le retour 4 à 0, avant de filer en finale face à l’Atlético.
Cette saison est un peu la fin de la première partie de carrière de Benzema, dans un système plus permissif. Si Bale est remplaçant sur ce match, la BBC et le 4-3-3 madrilène offrent plus de liberté au Français, sans 10 derrière lui. C’est aussi la transition définitive d’un Cristiano Ronaldo désormais plus buteur et qui vampirise moins le jeu.
Chapitre IV : Le sommet
Épris de ces dernières victoires, le héros continuait son chemin vers le succès. Au sort funeste qu’attendait ceux qui l’affrontaient, nul ne pouvait échapper. De cette constellation d’étoiles, il en attrapa une poignée, réussissant là où nombreux avaient échoué. Le voici arrivé au sommet.
26 mai 2018, Real Madrid – Liverpool (3-1)
Pour la troisième fois consécutive, le Real Madrid se qualifie en finale de la Ligue des champions. Alors qu’elle a remporté les deux premières, la Casa Blanca affronte cette fois les Reds de Klopp à Kiev, en quête d’un triplé historique.
Zinédine Zidane aligne son 4-3-3 avec le traditionnel milieu Casemiro-Kroos-Modrić et devant eux le trio Ronaldo-Benzema-Isco. Durant cette rencontre, Liverpool ne presse pas et ne met pas vraiment l’intensité propre à son identité qui fera ses succès les saisons suivantes. Ainsi, c’est le Real Madrid qui contrôle le ballon et conserve plutôt largement la possession.
Isco, Kroos ou Modrić s’occupent des sorties de balle. Systématiquement, l’un des trois redescend à auteur des centraux et oriente le jeu. Benzema descend aussi occasionnellement, sur les remises en touche notamment. Une chose qu’il fait d’ailleurs encore très souvent aujourd’hui. Le circuit madrilène, partant du milieu le plus bas, cherche généralement un relai dans l’axe ou Marcelo à gauche. Benzema arrive en bout de chaîne, il va servir de liant idéal entre milieu et attaque pour combiner dans les 35 derniers mètres.
L’essentiel de la construction des actions du Real est assuré par le «carré» Kroos-Modrić-Isco-Benzema dans l’axe plus Marcelo sur le côté. Cristiano lui reste haut dans l’axe ou à gauche et sort assez peu. De son côté, Karim bouge bien plus et peut décrocher.
L’attaquant français excelle autant sur ses réceptions aériennes que dans ses remises ou ses combinaisons et joue énormément en une touche. Symboliquement, c’est l’un de ses matches les plus aboutis en terme de propreté et de sobriété. Le Nueve ne perdra que très peu de ballons et sera surtout très juste en proposant toujours une solution au porteur entre les lignes anglaises.
S’il marque grâce à un peu d’instinct et une belle boulette de Karius, c’est l’idée d’un rouage essentiel à l’animation collective qui se dégage. Cette finale clôt la période dorée du Real, la fin d’une collaboration réussie avec Cristiano et un système dans lequel Benzema aura joué un rôle fait pour lui : celui d’un attaquant plus milieu que buteur.
Chapitre V : La jeunesse éternelle
Insaisissable, le temps s’écoule sans que quiconque n’ait d’emprise sur lui. Pourtant, le garçon ne cessait de briller en dépit du poids des années. Bien qu’il ait déjà tout gagné, son aventure ne pouvait que continuer. Orphelin de son compagnon d’armes portugais, c’est de sa main que s’inscrit l’avenir des siens.
26 novembre 2019, Real Madrid – Paris Saint-Germain (2-2)
Seconde saison de l’ère post-Cristiano, l’exercice 2019-2020 confirme la prise de pouvoir total du Nueve sur l’attaque madrilène. Pour la cinquième journée des poules de Champions League, le Real reçoit Paris, au Bernabéu.
Ce soir-là, Kroos et Casemiro restent dans l’axe, tandis que Hazard et Valverde jouent sur les ailes. Benzema et Isco sont assez libres dans l’axe et rentrent à leur guise dans le cœur du jeu.
Le quatuor Isco-Kroos-Hazard-Marcelo assure les sorties de balle et leur précision dans l’exercice permet à Benzema de ne pas avoir à redescendre outre mesure. Il a aussi moins de ballons aériens à jouer, symbole de relanceurs qui réussissent à ressortir court face aux Parisiens.
Son rôle n’en demeure pas moins essentiel lors des phases de jeu plus hautes, dans lesquelles il est primordial pour combiner avec Hazard dans le demi-espace. Sa facilité technique dans les petits périmètres permet au Real de rester haut et de jouer autour de la surface adverse.
Mais les Madrilènes sont aussi très forts à la perte et Benzema participe activement au contre-pressing, l’une des forces de l’équipe l’an passé. Il a par ailleurs toujours un gros volume de course et reste un athlète affuté, malgré la trentaine passée. Le Lyonnais a pris du corps au fil des années, sans pour autant dénaturer sa morphologie, faisant de lui un joueur toujours vif et qui ne peine pas à multiplier les efforts.
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L’attaquant enchaine aussi les appels et doit compenser le départ de Cristiano, devenant le seul joueur de surface viable de l’effectif. Buteur une première fois en suivant une frappe sur le montant d’Isco, il score un doublé sur une tête après un fameux appel au second poteau.
Bien que le PSG égalise à deux partout dans cette rencontre, la performance collective madrilène reste aboutie. Mais c’est loin d’être toujours le cas depuis trois saisons et la forme de l’équipe demeure très fluctuante. Celle-ci dépend essentiellement de la présence ou non des cadres. Mais parmi eux, Benzema n’est pas loin d’être le plus important. Sans lui, les milieux parviendront à tenir le ballon, mais peu de monde pourra créer des occasions dans le dernier tiers. Pas plus que quelqu’un ne pourra les conclure.
Cette dépendance naît peut-être d’un Benzema devenu une combinaison de tout ce qu’il a toujours un peu été au fil de son parcours. D’abord, un joueur pour finir les actions, comme il pouvait l’être de manière attitrée à l’OL. Dans le même temps, un attaquant qui a conservé son apport fondamental dans le jeu. Un sens du ballon qu’il a développé tout au long de sa carrière.
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De ces quelques extraits, voici un bref aperçu du destin hors-norme de ce garçon. Bien d’autres péripéties nourriront son vécu, au regard d’un voyage chargé d’intrigues. Alors même après tous ces chapitres, l’aventure n’est pas encore finie. Auteur de sa propre histoire, il n’appartient qu’à lui de poser de sa plume les dernières lignes de ce fabuleux livre.
Crédit photo : Icon Sport