[Tactique / Rétro] Analyse du match Olympique de Marseille – AC Milan, la finale du 26 mai 1993

Depuis plusieurs années, les clubs français ont eu quelques parcours honorables en Ligue des champions, allant même jusqu’en finale de la compétition. Mais jamais un autre club de l’Hexagone n’a réussi ce que l’Olympique de Marseille a fait : soulever la coupe aux grandes oreilles.

Deux ans après un match marquant en quarts de finale de cette coupe d’Europe, les deux équipes historiques de leur pays respectif se retrouvent du côté de l’Olympiastadion pour la bataille finale de l’édition 1992-1993.

Auteur d’une saison exceptionnelle, l’AC Milan fait office d’ultime favori avant le début de la rencontre. Vainqueur du Scudetto avec 18 matchs gagnés, l’équipe de Fabio Capello est solide défensivement tout en restant très efficace : c’est la meilleure défense ainsi que la meilleure attaque du championnat italien. Avec l’arrivée de nouvelles recrues telles Jean-Pierre Papin, le club lombard cherche à absolument tout gagner cette saison et les résultats se font même ressentir au niveau européen. L’équipe italienne fait un parcours parfait avec 10 victoires d’affilée en ayant marqué 23 buts. Une chose est sûre : Berlusconi veut que sa squadra montre sa puissance aux yeux de toute l’Europe.

De l’autre côté, le club phocéen connaît quant à lui une année sportive aussi fructueuse que celle de son adversaire. Champion national durant la saison, l’OM réussit un exercice pour le moins réussi avec 22 victoires en 38 journées disputées et la meilleure attaque française (71 buts marqués, Alen Boksic meilleur buteur avec 23 buts). Composée de joueurs internationaux français (Desailly, Sauzée, Deschamps) et d’un gardien très jeune (Barthez a 21 ans), l’équipe de Raymond Goethals arrive du côté de l’Allemagne pour disputer cette finale avec moins de certitudes que son adversaire au niveau européen : 5 matchs gagnés, 3 matchs nuls, 24 buts marqués et 4 buts encaissés. En plus du côté sportif, la saison est entachée de l’affaire OM-VA sur fond de corruption et de pollution médiatique avant la rencontre la plus importante de l’histoire du club.

Mais l’histoire ne se rédige jamais à l’avance, surtout dans le football.

Les compositions d’équipe :

Pour cette rencontre, les deux équipes étaient prêtes à aller à la guerre sur le pré pour gagner la compétition la plus prestigieuse du Vieux Continent. Les entraîneurs ont donc décidé de mettre des compositions adéquates :

Dans les cages, on retrouve Fabien Barthez qui sort d’une saison complète pour ses 21 années et arrive pour cette finale en pleine confiance, ce qui se ressentira au fur et à mesure de la partie.

Au niveau de la base arrière, Raymond Goethals a décidé d’aligner 3 défenseurs centraux avec Marcel Desailly dans l’axe gauche, Basile Boli dans le rôle de libéro et Jocelyn Angloma dans l’axe droit : c’est un axe solide physiquement et prêt à répondre au combat que les Italiens vont mettre en place. Sur les côtés, on retrouve deux profils différents avec Éric Di Méco à gauche, toujours présent pour sortir la hache et découper ses adversaires. De l’autre côté, on trouve Abedi Pelé, le Ghanéen qui est plus dans le style d’humilier tout ce qui se trouve autour de lui.

Au cœur du jeu, le club phocéen aligne un milieu à 3 avec Eydelie-Sauzée-Deschamps. Les deux premiers cités sont là pour répondre au duel physique que l’AC Milan voudra mettre en place car ce sont des défenseurs qui ont l’habitude de ce genre de combat. Quant à Deschamps, il est là pour apporter son volume de jeu et ses qualités techniques qui font de lui le capitaine de cette vaillante équipe.

Sur le front de l’attaque, Voller et Boksic sont alignés pour déverrouiller le cadenas et donner à la France la coupe qui manque à son palmarès.

En face, Fabio Capello aligne son équipe type à une exception près : son joueur star qu’est Ruud Gullit est suspendu et a été remplacé par Albertini au milieu du terrain, profil un peu plus défensif. On retrouve après les 3 grosses têtes derrière avec Costacurta, Maldini et Baresi pour laisser briller les éléments offensifs comme Van Basten, choisi par Berlusconi dans la guerre face à Sacchi.

Une guerre sur le terrain

Dans les années 1990, le football n’était pas aussi épuré et aussi pensé que le football actuel, avec le jeu de position par exemple. Les équipes restaient pour la plupart très solides défensivement en travaillant le jeu sans ballon et en étant capables de subir sur 4-5 séquences consécutivess contre leur adversaire. Par la suite, il fallait envisager l’utilisation du ballon pour se créer des occasions de but.

Sur cette finale de 1993, les idées reçues sont bien présentes et elles nourrissent les équipes tout le long du match.

Lorsque l’on voit la composition des deux équipes, on en déduit que les deux entraîneurs ont décidé d’empêcher l’adversaire de progresser dans son camp de deux façons différentes. Et cela va être confirmé sur le terrain.

L’Olympique de Marseille va s’orienter vers un bloc compact mais plus large que celui de son adversaire : le 5-4-1. La présence de densité dans l’axe central s’explique par l’opposition des deux attaquants qui se trouvent du côté du Milan avec Van Basten et Massaro. Deux des trois défenseurs centraux vont avoir la possibilité d’aller au contact pendant que le dernier sera à la couverture en cas de second ballon ou de déviation vers un joueur en projection. Ce rôle de libéro est tenu par un Basile Boli, plus dans la charcuterie de cheville et les tirs de projectile dès la récupération du ballon au lieu de chercher une propreté. C’était un peu comme ça pour tout les acteurs du terrain en réalité.

Concernant les côtés, Jean-Jacques Eydelie a eu un rôle ingrat tout le long du match. Positionné initialement dans un rôle de sentinelle devant la défense, le joueur formé à Nantes n’a eu aucune occasion de se projeter vers l’avant. Dès que son équipe se positionnait haut sur le terrain, il se repositionnait sur le côté gauche de la défense pour combler les montées d’un Abedi Pelé en feu ce soir-là.

Enfin, l’autre rôle ingrat était pour Rudi Völler, qui a dû mettre de côté son instinct de buteur pour se dévouer au collectif. L’international allemand a dézoné de sa zone axiale, laissant Boksic seul sur le front de l’attaque, en se repositionnant sur l’aile gauche du milieu marseillais.

Du côté du Milan, on se retrouve dans une configuration où l’animation défensive est la plus basique : le 4-4-2. Les joueurs de côté tels que Donadoni et Lentini qui ont cette qualité en termes de volume de jeu onta permettre aux deux milieux axiaux qui sont Albertini et Rijkaard d’avoir un soutien. Les latéraux milanais montrent aussi les intentions de Capello en termes d’animation avec le ballon : ce sont des joueurs avec des profils défensifs créant un soutien pour la charnière centrale et ne laissant aucun espace pour une possible contre-attaque.

Pour avoir cette idée d’être solide défensivement, les deux équipes ne veulent pas subir en laissant leur adversaire dans leur moitié de terrain. De ce fait, chacune décide d’utiliser la règle du hors-jeu applicable auparavant. Elle signale n’importe quel joueur en position illicite, qu’il soit passif de l’action où acteur principal.

Un exemple :

Ça devient plus facile de mettre les joueurs hors-jeu sans prendre autant de risques qu’à l’heure actuelle. Marseille et Milan vont donc l’utiliser mais d’une manière différente :

La 44ème minute

Tous les joueur de football rêvent de mettre un but important dans une finale pour offrir le titre à son équipe. Que ce soit à la 90ème ou pour le 1-0, si le but apporte la victoire, c’est une sensation individuelle qui est sûrement incroyable.

« Elle n’était peut-être pas très belle, ma tête. Mais je l’ai dosée pour qu’elle dépose le ballon là-bas, au deuxième poteau. Je ne l’ai pas vue partir dans le but de Milan, mais dans l’histoire.
Et j’ai pensé aussitôt : J’espère qu’elle va y rester, dans l’histoire ! » –
Basile Boli

Oui monsieur Boli, votre tête est restée dans l’histoire du club marseillais ainsi que dans le cœur des supporters français. Tout part d’une action anodine : sur une attaque placée, Sauzée ne trouve pas de solution et revient vers l’arrière. Il trouve un Pascal Angloma seul près du rond central, qui décide de chercher Alen Boksic sur une passe à la John Stones (Guardiola devrait le faire sortir de sa retraite vu les galères qu’il connaît à ce poste).

Le meilleur buteur du club en championnat n’hésite pas à décrocher et occuper l’espace libre entre les lignes pour ensuite trouver un décalage avec Abedi Pelé. Le papa des frères Ayew montre sur une action tout son talent et les difficultés qu’il a fait endurer au grand Paolo Maldini (très jeune à l’époque). Sur un coup de rein digne des danses orientales, il mystifie l’international italien (qui a dû se faire réprimander par son père à la fin du match) et arrive à provoquer un corner. Le reste n’est dû qu’à une extension de 15 cm, une épaule devant son défenseur direct et une tête orienté vers le but de Rossi.

Capello a essayé de changer de système, avec l’entrée de Papin à la place de Donadoni et en repassant à 3 attaquants mais rien n’y a fait, l’Olympique de Marseille d’un Barthez en folie était fait pour gagner ce match.

Comme vous avez pu le constater, il n’y a pas beaucoup d’éléments tactiques car le football n’était pas aussi complexe et autant réfléchi qu’à l’heure actuelle. L’efficacité, la hargne et l’envie avec des idées tactiques claires et simples pouvaient mener n’importe quelle équipe vers une victoire européenne. L’OM l’a prouvé ce soir-là en gagnant contre la plus grosse équipe de l’époque.

Maintenant, c’est au tour d’un autre club (ou encore l’OM) de renouveler le défi et de mettre la France une nouvelle fois sur le toit de l’Europe.

(Crédits photo : AFP PHOTO / BORIS HORVAT)

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Le football est une véritable partie d'échec.