Une victoire 4-0 en match d’ouverture de la Premier League (avec un doublé de Romelo Lukaku, un but de Paul Pogba et un but d’Anthony Martial), José Mourinho cachait pourtant sa satisfaction à l’issue de cette rencontre. Pour sa deuxième saison à la tête des Red Devils, le Special One vise un retour au sommet. Premier épisode de notre immersion au sein de la « méthode Mourinho ». Mais d’ailleurs, pourquoi est-il aussi méchant ?
La vie est un défi, José n’aime pas la défaite
« Je n’aime pas ma vie sociale. Si je vais à une fête, les gens voudront prendre des photos avec moi, me demanderont des autographes. Il y aura des gens qui vont m’insulter, d’autres qui insulteront mon fils de douze ans. J’ai mauvaise réputation car les gens ne me connaissent pas, mais pensent que oui. Ils ne connaissent que l’entraîneur et, en tant que tel, je ne suis pas là pour m’amuser. Mais pour travailler et pour gagner »
« Je n’ai rien à prouver à qui que ce soit : si ce n’est à moi-même. C’est ça, ma véritable nature »
José Mourinho
Né à Setúbal, en 1963, José Mourinho est le fils d’un père footballeur et d’une mère institutrice qui perdirent la plupart de ses biens après la révolution des Œillets en 1974. De cette époque, José raconte : « Être le fils d’une famille de droite à Setúbal dans les années 70, c’est apprendre très tôt ce qu’est l’adversité ». José contre le reste du monde ? Une longue histoire. Durant sa carrière d’entraîneur, Félix Mourinho fait monter l’Estrela de Portalegre, Caldas, Amora, Leiria et Rio Ave en division supérieure. Pas de quoi devenir le meilleur entraîneur du monde. Pas de quoi s’assurer non plus d’éviter le courroux d’un président désireux d’activer un siège éjectable. En quinze années de service, Félix Mourinho représente un modèle d’exemplarité auprès de ses joueurs. Un homme intègre respecté pour ses valeurs. Pourtant, cela ne suffira pas à l’empêcher d’être évincé sans explication à plusieurs reprises. Trop bon ? Trop con. Une maxime qui restera à jamais gravée dans l’esprit du petit José : « La pensée d’un homme est avant tout sa nostalgie », expliquait Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe (1942). Mourinho est bien placé pour le savoir : « En tant que fils d’entraîneur, tous les week-ends, j’étais angoissé, plus que mon père ». À la genèse du Special One, il y a bien de la frustration et une série de blessures narcissiques à la hauteur du caractère subversif du personnage. Les déboires de son paternel, viré à plusieurs reprises durant sa carrière, et le refus du FC Barcelone de lui accorder sa grâce – au profit de Pep Guardiola en 2008 – ont façonné le Special One : « Il nous avait montré des documents qui résumaient sa philosophie du football, souligne l’ancien vice-président catalan, Marc Ingla. Mourinho voulait révolutionner notre système de jeu et il nous a même expliqué qu’il voulait Guardiola ou Luis Enrique en tant qu’adjoint. Mais on a finalement opté pour Guardiola, car Mourinho nous avait prévenu qu’il ne changerait pas d’attitude avec les médias ». Des enfants de Barcelone, Mourinho resterait le vilain petit canard. Celui qui gagnerait différemment et s’octroierait le droit de renier le Maître en personne : « J’adore recevoir des leçons de Johan Cruyff. Mais il doit encore m’apprendre comment perdre une finale de Ligue des champions 4-0 ». L’insolence poussée à son paroxysme. « Mourinho devint l’exclu, le rebelle, l’ange déchu, écrit Jonathan Wilson. Il fit le serment, comme le Satan de Milton, de “faire, par ruse ou par force, une guerre éternelle, irréconciliable à notre grand Ennemi”. » Comme le petit Anakin rejoignit le côté obscur en cédant aux avances du Seigneur Palpatine, Mourinho devint le Mal nécessaire à l’établissement d’une mythologie du football moderne. Nous imaginerons ici Maître Yoda en Johan Cruyff. À moins qu’il ne soit Marcelo Bielsa ? En 2010, avec l’Inter Milan, face au club qui ne voulait pas de lui – et qui avait viré son mentor, Bobby Robson, sous ses yeux –, le Portugais s’offre alors une danse avec l’histoire. Cette blessure narcissique vaut bien un tour de piste mémorable. Les plus médisants peuvent bien crier au salaud. Le héros, c’est celui qui vit sa vie pleinement, dans les grands comme dans les petits moments : « C’est le plus beau jour de ma carrière, plus beau encore que mon premier match de Championnat ou ma première Ligue des champions. Qu’ils gardent le ballon, nous on va en finale ».
Séduire, pour mieux guider
« Dieu doit penser que je suis un type génial. Il m’a tellement aidé à obtenir tant de choses dans la vie, qu’il doit avoir une excellente opinion de moi »
José Mourinho
Avant d’être un manager tyrannique, capable d’agir sans le moindre état d’âme face aux collaborateurs qui ne répondaient pas à ses attentes, Steve Jobs cherchait principalement à fédérer ses équipes autour d’un destin commun. Des gens motivés par une mission qui les dépasse à titre individuel donneront bien plus qu’un groupe d’individus à la poursuite d’une prospérité individuelle. En 2008, il raconte dans les colonnes de Fortunes : « Lorsque j’embauche quelqu’un pour un poste vraiment important, la compétence est le premier critère. Il faut qu’il soit vraiment bon. Mais, pour moi, la vraie question, c’est de savoir s’il va tomber amoureux d’Apple. Parce que s’il tombe amoureux d’Apple, le reste se met en place tout seul ». Quelle est la mission la plus importante d’un leader, si ce n’est de savoir transmettre une vision commune à ses équipes ? Cette leçon sera parfaitement retenue par notre ami José Mourinho, adepte des méthodes de management de Microsoft et d’Apple. « The King of the Castle », selon son ancien joueur, John Obi Mikel : « Tout ce que je fais et ce que je dis relève du mind game. La seule chose qui ne tienne pas du mind game, ce sont les résultats. » Difficile de faire plus diabolique.
Dès 1984, dans cette même optique machiavélique, Jobs instaure la notion du Bon et du Méchant à travers le lancement du Macintosh. Deux jours avant son lancement officiel, Apple fait diffuser un spot publicitaire (nommé « 1984 » en référence au roman de George Orwell) durant le Super Bowl avec un objectif bien précis. Jobs veut partir en guerre contre IBM. Rien n’est laissé au hasard. D’après son propre aveu, « dans le fond, Macintosh, ça n’était qu’une petite boîte de Cupertino, en Californie, qui s’en prenait au mastodonte IBM et lui disait : “Une minute, vous vous trompez. Ce n’est pas comme ça que nous voulons que deviennent les ordinateurs. Ce n’est pas ce que nous voulons laisser derrière nous. Vous avez tort et on va vous montrer comment il faut faire. Voilà, ça s’appelle Macintosh et c’est vraiment beaucoup mieux. Ça va vous mettre par terre et vous finirez par faire pareil”. » Se constituer une adversité est la première étape vers l’héroïsme. Jobs l’avait très bien compris. Pour devenir grand, il faut d’abord commencer par croire à un idéal et faire preuve de convictions. Ancien responsable marketing d’Apple, Guy Kawasaki développe : « Les membres du département Macintosh avaient un rêve commun, celui de transformer le monde en fournissant des ordinateurs à davantage de gens afin qu’ils puissent accroître leur créativité et enrichir leur vie. Nous étions tous persuadés que nous allions changer la face du monde avec notre petit ordinateur ». Jobs à nouveau : « L’une des choses que j’ai faites lorsque je suis revenu chez Apple, il y a dix ans, a été de donner à Stanford tous les papiers et toutes les vieilles machines que nous avions entreposés. J’ai nettoyé les toiles d’araignées. Le message était : “Arrêtons de regarder en arrière. L’important, c’est ce qui va se passer demain”. » Et d’un 4-4-2 en losange, Apple passa en 4-3-3.
Pour Jobs, à l’inverse du « Mou », l’idée était très simple : l’esthétisme de ses produits était le point crucial pour assurer le développement d’Apple. Une recherche perpétuelle d’innovation afin de rendre toujours plus ludiques les nouveaux jouets de la firme à la pomme. Ce qu’il résumera (en 1999) par cette déclaration qui nous rappellerait aisément ces entraîneurs soucieux de la qualité du jeu produite par leurs équipes : « Je ne raisonne pas en termes de parts de marché, je réfléchis à la façon dont nous pouvons construire le meilleur ordinateur du monde et, si on peut le faire, je pense que nos parts de marché augmenteront ». Chez Jobs, il y avait bien du Cruyff ou du Guardiola, un mélange entre fantaisie et recherche du « beau » à travers ses produits : « J’ai découvert que les meilleures entreprises sont attentives à l’esthétique. Elles prennent du temps pour concevoir leurs cartes électroniques, faire en sorte que les choses soient bien proportionnées et j’ai l’impression que c’est tout bénéfice pour elles. Je veux dire qu’au-delà de l’intérêt fonctionnel, l’esthétique dit quelque chose de la façon dont ces entreprises se perçoivent, de leur sens de la discipline dans l’ingénierie, de la façon dont elles sont gérées, des choses comme ça ». Un idéal de production auquel le Californien ajoutait une communication directe, acide et provocante, à l’image d’un certain José Mourinho : « Mon boulot n’est pas d’être gentil avec les gens. Mon boulot, c’est de les rendre meilleurs ». Difficile de faire plus clair ; « Celui qui contrôle les médias contrôle les esprits », expliquait Jim Morisson. Ainsi, en 2010, avant de retrouver le FC Barcelone avec l’Inter Milan, le Special One décide d’activer la névrose d’un club n’ayant qu’une idée en tête : devenir unique en remportant deux fois de suite le trophée successivement. Le Portugais accentue sa conférence de presse sur la notion « du rêve catalan, de l’obsession catalane », souligne le lieu de la finale (à Bernabéu, chez l’ennemi intime blaugrana, le Real Madrid) et métamorphose son équipe en un véritable bataillon : « Gagner la Ligue des champions à Bernabéu, pour le Barça, ce n’est pas un rêve, c’est une obsession. Le rêve a quelque chose à voir avec la fierté d’arriver jusqu’à la finale. Mais, pour Barcelone, ce n’est pas cela qui les motive, mais plutôt leur anti-madridisme ».