Apocalypse. Ce terme, issu d’un héritage latino-grec, paraît, au premier abord, désigner un désastre absolu, l’armageddon, le cataclysme. Ce n’est que partiellement vrai. L’apocalypse désigne, en réalité, la levée du voile, la révélation de la chose cachée. Soyons clairs, la situation de l’équipe nationale algérienne relève effectivement de l’apocalypse. En ce qui concerne l’aspect tragique de celle-ci, les arguments sont légion et un historique s’avère nécessaire.
Vahid Halilodzic, la peine au coeur, quitta une Algérie qu’il a rendu flamboyante, qualifiée en 8èmes de finale de la Coupe du Monde 2014 et éliminée d’extrême justesse en prolongations par le futur lauréat allemand. Lassé par la cabale journalistique à son encontre, le tyran de Jablanica démissionna, le sentiment du devoir accompli l’accompagnant.
Le sieur Gourcuff lui succéda pour une période trop rapidement écourtée par les mêmes raisons, lui qui, pourtant, a doté l’Algérie d’un jeu enthousiasmant, ponctué dans un premier temps de 5 victoires en 6 matchs de qualifications pour la Coupe d’Afrique des Nations 2015, avant de s’incliner en quarts de finale face au futur vainqueur, la Côte d’Ivoire. Passée cette période nécessaire de rodage – prometteuse, au possible -, Christian Gourcuff multiplia les essais, notamment en amical, et se vit alors noyé sous le flux des critiques ininterrompues du Buteur, de Compétition et autres El Watan, quotidiens algériens à la langue souvent fourchue et à la critique acerbe. Déçu du manque de soutien de sa direction et notamment du – déjà – très décrié Raouraoua, président de la Fédération Algérienne de Football puis pulvérisant, dans un baroud d’honneur, la Tanzanie et l’Ethiopie par les scores de 7-0 et 7-1, le breton jeta l’éponge et démissionna.
Le départ de Christian Gourcuff sonna très clairement le tocsin de la déchéance du football algérien. L’EN, la fière khadra, capable par une seule action d’haranguer 20 millions d’algériens, n’était que l’arbre qui cachait la forêt – en réalité, le champ d’abomination digne de Verdun – de l’échec total du football algérien, pourtant extrêmement prometteur et pétri d’un talent reconnu par tous ceux qui ont pu l’observer mais, hélas, rongé par la corruption, l’amateurisme et la désorganisation. Rares sont les pays de football comme celui du drapeau au croissant et à l’étoile rouge mais diamant sans polissage reste vulgaire roche. Dès lors, les fennecs, eux-mêmes, allaient se muter en symbole de cet échec absolu.
Au d’abord glorieux puis séduisant football, succéda le ridicule absolu. Bossuet écrivit un jour “ Dieu se rit bien de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes “ et l’Algérie se charga d’incarner cette maxime. L’incompétent Rajevac fut nommé, son quart de finale de Coupe du Monde avec le Ghana comme seul fait notable en guise de CV, et démissionna/fut renvoyé – probablement autant l’une que l’autre probabilité – après trois mois et deux matchs conclus par une victoire face au Lesotho et un nul face au Cameroun. En réalité, aucun de ces deux résultats n’a été obtenu par son propre fait, le serbe ne maîtrisant pas les noms de ses joueurs – passe encore (?) – ni même leurs postes (!), le repositionnement de Yacine Brahimi en libéro (!!!!!!!!!!!) sonnant le glas de son aventure au sein de l’ancien pays le plus révolutionnaire au monde, la révolte contre lui de son équipe en guise de pogrom populaire.
Dans la précipitation et l’austérité, le sympathique incompétent Georges Leekens, aux 23 clubs et sélections entraînées depuis 1984 (jamais plus de 3 ans, évidemment), qui avait lui même déjà pris les commandes de la sélection algérienne en 2003 (formidable époque où l’EN était classée 62 èm au classement FIFA Coca-Cola des Nations, place qu’elle occupe de nouveau aujourd’hui, entre la Jamaïque et la Chine) avec pour bilan, l’excellente performance de 2 victoires (face à la Namibie et à Madagascar, deux colosses du football mondial), 1 nul et 3 défaites. Étonnamment, 14 années plus tard, les résultats ne furent pas au rendez-vous avec une superbe CAN 2017 ponctuée d’une défaite contre les voisins tunisiens (absents de toute Coupe du Monde depuis 2002) et d’un nul face au Zimbabwe et au Sénégal.
À l’ironie du précédent paragraphe succède le questionnement sur l’avenir. Raouraoua, suite à une succession d’événements tous plus honteux les uns que les autres et dont, hélas, l’Algérie a le secret, fut poussé à la démission, non par la presse mais bien par la vindicte populaire. Kheireddine Zetchi lui succéda. Cet homme d’affaires est notamment reconnu pour son travail au sein du Paradou AC, seul véritable club de formation en Algérie. Le club algérois, reconnu pour la qualité de son enseignement – innovant, au passage, puisque les joueurs s’entraînent et jouent pieds nus pour étendre au maximum leur bagage technique et leur coffre physique – doit énormément au natif de Bordj Bou Arreridj et évoluera en Ligue 1 Mobilis pour la saison 2016-2017. En sont notamment issus les deux prometteurs défenseurs Ramy Bensebaini et Youcef Attal.
Sa première décision fut de nommer l’espagnol Lucas Alcaraz, au parcours espagnol très moyen, à la tête de la sélection. Il ne put redresser le niveau sans cesse déclinant d’une sélection agonisante et, fort logiquement, l’Algérie brillera par son absence en terre des tsars à l’été 2018. Néanmoins, dans une volonté de construction, il ne présenta pas sa démission et n’y fut pas poussé par sa direction.
Les cloches de la fin de récréation ont sonné, l’heure du bilan arrive. Les paradoxes s’accumulent et témoignent d’un dysfonctionnement généralisé, à la limite de l’anarchie absolue, au sein des instances algériennes.
Le tragique de l’apocalypse a laissé place à la levée du voile des lacunes d’un système de bricolage constant où le risible côtoie le misérable. Le football algérien connaît une crise majeure qui ne se limite pas aux simples échecs sportifs de son équipe nationale. Les stades algériens sont une zone de non droit absolue où familles – présence féminine encore moins – n’ont pas leur place et où la violence des “ supporters “ est mitoyenne de l’abandon des instances. Les grèves, les non paiements de salaire, la corruption, sont monnaie courante et constituent le quotidien du ballon rond au pays de l’Émir Abdel Kader.
La khadra est constituée pour majorité de joueurs bi nationaux et ce n’est ni un parti prix idéologique, ni le fruit du hasard puisque le joueur local algérien ne dispose que très rarement d’une formation de qualité voire même, dans de trop nombreux cas, d’une système de méritocratie qui lui permettrait d’exercer son talent dans les meilleurs clubs. Les exemples de jeunes surdoués renvoyés de leur clubs pour laisser place au fils d’untel sont monstrueusement nombreux et suscitent, au mieux la tristesse, au pire le dégoût profond d’une jeunesse qui cultive, dans une ambivalence absolument fascinante, l’amour absolu de sa terre et le désir farouche de la quitter.
En ce qui concerne le carré vert en soi, l’Algérie connaît des difficultés quant à son renouvellement générationnel : si les “nouveaux” entrants tels que Mahrez, Brahimi ou, pour les plus jeunes, Ounas notamment, sont probablement bien plus talentueux que leurs aînés, c’est la question du leadership et du collectif qui pose problème : le légendaire Anthar Yahia et son acolyte de défense centrale Madjid Bougherra n’ont pas été remplacés. Islam Slimani semblait incarner cette mentalité là mais, sous le flot de critiques extrêmement déplacées quant à son investissement personnel, il semble manquer de crédibilité et d’influence.
L’Equipe nationale algérienne ne doit pas l’oublier, elle est l’héritière de celle du FLN, de ceux qui ont abandonné gloire et richesse pour dévouer leur âme – et parfois, leur vie – à une lutte qui les dépassait tous. De ceux qui, naguère, rêvait d’une grande Algérie, de ceux qui, devant l’espoir de lendemain qui chantent, ont tout délaissé pour cette terre et cette terre seule. L’amour du maillot vert, la passion absolue qu’il suscite, ont toujours été et demeureront les seules vertus de la Khadra. Pour des lendemains qui chantent, l’Algérie ne devra, jamais, oublier son passé qui saigne.
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