Alors que le bras de fer entre le gouvernement espagnol et les indépendantistes s’intensifie de jour en jour et semble compromettre l’unité du pays, le monde du football s’éveille à une nouvelle question, celle de l’avenir des clubs catalans. De cette problématique, qui emporte avec elle son lot de considérations politiques, économiques, sportives et identitaires, est née une interrogation parfois ironique, parfois sincère, et de plus en plus persistante : le Barça pourrait-il jouer en Ligue 1 ?
Derrière cette formulation tape-à-l’oeil, un réel sujet, celui de la participation de certains clubs à des championnats de pays étrangers. A priori incongrue, cette pratique n’est en réalité pas si rare. Au point d’être imitée par les clubs catalans ?
Monaco, mieux vaut être mal accompagné que seul
Dans la catégorie des clubs qui jouent dans le championnat d’un autre pays, on oublie souvent le plus évident et le plus proche : l’AS Monaco. On l’oublie parce que sa présence dans notre Ligue 1 est aujourd’hui indiscutable. Pourtant, Monaco n’est pas un club français. C’est bien un club étranger évoluant dans le championnat français.
Si la participation de l’AS Monaco à la Ligue 1 est aussi peu remise en cause, c’est parce qu’elle constitue la seule solution offerte au club rouge et blanc, qui a son siège dans un tout petit Etat de 2km2, composé d’un gros caillou, de beaux hôtels et d’un prince légèrement bedonnant, et qui ne compte ni championnat propre ni aucune autre équipe de premier plan. C’est pour cette raison que l’ASM a été affilié à la Fédération française de football dès sa création. La même stratégie a d’ailleurs été adoptée par les clubs de handball et de basket de la principauté notamment.
Le bât blesse en revanche au niveau du régime fiscal avantageux dont bénéficient les joueurs étrangers évoluant à l’AS Monaco. Au coeur d’un bras de fer juridique avec la LFP, qui souhaitait pour remédier à ce traitement de faveur imposer dans son règlement que chaque club de football professionnel évoluant dans le championnat ait son siège en France, cette question avait été réglée par un accord prévoyant le versement d’une somme de 50 millions d’euros à la Ligue pour rééquilibrer les débats, accord finalement annulé par le Conseil d’Etat il y a un an.
« Le Conseil d’État juge que la transaction par laquelle la Ligue de football professionnel s’était engagée à modifier son règlement pour mettre fin au litige qui l’opposait à l’AS Monaco et permettre à ce club de participer aux championnats de Ligue 1 et 2 sans transférer son siège en France a été adoptée au terme d’une procédure irrégulière. L’article L. 122-1 du code du sport n’impose pas de contraindre l’AS Monaco à fixer son siège en France pour pouvoir continuer de participer aux championnats de football et le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que des règles particulières soient prévues pour ce club. »
Vaduz & Co, les déserteurs
La même situation existe dans un championnat voisin, le championnat suisse de football, qui a vu une ribambelle de clubs gonfler ses rangs tout au long du XXème siècle.
Cet afflux vient du Lichtchtaïne. Ou Liechtenstein pour les LV1 Allemand (on compatit). Dans un pays relativement rural et peu enclin au développement du sport le plus populaire du monde, la précarité des infrastructures et l’indifférence des autorités ont conduit les premiers clubs (Balzers et Triesen), créés dans les années 30, à intégrer immédiatement le championnat suisse, faute d’alternative. Ils seront bientôt rejoints par le FC Vaduz, qui s’était initialement affilié à la fédération autrichienne de football. En 1934 est créée la Fédération du Liechtenstein, qui tente sans succès de mettre en place un championnat national. A l’issue de la seconde guerre mondiale, une convention est signée avec l’Association suisse de football pour intégrer définitivement les équipes liechtensteinoises au championnat suisse.
Si le Liechtenstein compte à ce jour sept équipes professionnelles de football, soit six de plus que Monaco, elles ne sont toujours pas assez nombreuses ni de qualité suffisante pour constituer un championnat à part entière et continuent donc d’évoluer à divers niveaux du championnat suisse. La Fédération du Liechtenstein de football subsiste néanmoins, encadrant notamment la coupe du Liechtenstein, l’unique compétition nationale du pays, remportée à 45 reprises par le FC Vaduz.
Swansea fait de la résistance
Certaines nations, en revanche, possèdent un championnat propre auquel peut néanmoins se déroger telle ou telle équipe qui préfèrerait évoluer dans un pays étranger.
C’est le cas notamment de Swansea, mais aussi de Cardiff, Newport County et autres, qui refusent de s’affilier au championnat gallois. Pour leur défense, il convient de préciser que le championnat du pays de Galles de football a été créé en 1992 à la demande de l’UEFA pour le substituer aux championnats régionaux qui s’y disputaient jusqu’alors, et que Swansea évoluant en Angleterre depuis 1920 a préféré y rester plutôt que de rejoindre un championnat nouveau et de moindre renommée.
Le Barça, le choix du roi ?
Monaco, Vaduz, Swansea, les Wellington Phoenix qui évoluent en championnat australien, le FC Andorra qui végète en Primera Catalana, le San Marino Calcio qui joue en 350ème division italienne et bien d’autres clubs obscurs dont on vous passera la liste parce que trop de culture épuise un champ fertile, évoluent donc, pour des raisons historico-économiques diverses, dans des championnats étrangers.
Alors quid du Barça, de l’Espagnol, de Gérone ? En cas d’indépendance, en théorie, fédération catalane ou pas, championnat catalan ou pas, chaque club est potentiellement libre d’évoluer dans un pays étranger. Les clubs catalans pourraient donc effectivement rejoindre la Ligue 1. Ou rester en Liga. Ou partir jouer en Serie A. Ou même au Panama.
En pratique, c’est plus qu’improbable. Sans parler du Panama, une affiliation à la Ligue 1 semble utopique. Dans tous les cas évoqués plus haut, les connivences culturelles et historiques existant entre le club et le championnat dans lequel il choisit de jouer sont d’une toute autre ampleur que celles qui lient les clubs catalans à la France. Le Barça en Ligue 1, ce serait aussi irréaliste qu’artificiel. Juridiquement, il faudrait également attendre la reconnaissance par la FIFA de la Catalogne pour imaginer un quelconque accord entre les deux nations.
L’autre option envisageable, qui serait celle de rester en Liga, semble être la solution de facilité pour ne pas bouleverser encore plus l’ordre établi et entraîner un torrent de conséquences sportives, juridiques et économiques. Au vu de la rivalité qui oppose à ce jour la Catalogne au reste de l’Espagne et des prises de position tant des clubs que de la Ligue espagnole, rien n’est encore gagné. D’autant plus que la législation espagnole ne prévoit pas que des clubs étrangers puissent évoluer en Liga. Mais le championnat espagnol est-il prêt à se séparer d’une de ses têtes d’affiches ? Une exception ayant déjà été concédée pour Andorre, on peut très bien imaginer voir la Ligue mettre un peu d’eau dans son vin et adapter sa réglementation pour jalousement conserver dans son élite l’actuel leader du championnat.
Alors quel avenir pour le Barça ? Liga ? Pas Liga ? Ligue 1 ? Sans doute pas. Championnat catalan ? L’avenir nous le dira. Laissons les rivalités se tasser et le futur de l’Espagne se préciser avant de penser à nous délecter d’un savoureux Amiens – FC Barcelone qui viendrait illuminer nos soirées automnales…. Advienne que pourra.
Photo credits : AFP PHOTO / Josep LAGO