Gardien de but est sans doute le poste où la hiérarchie entre les joueurs est la plus significative et où le plus difficile est de se faire une place en tant que titulaire. Ce ne sont pas les seconds gardiens du Bayern Munich qui diront le contraire. Obligés de rester dans l’ombre du meilleur gardien du monde, Manuel Neuer, Tom Starke n’a disputé que douze matchs depuis 2012 et Sven Ulreich n’avait disputé que six rencontres en deux ans. Cette saison, ce dernier a profité de la blessure de Neuer pour devenir l’un des hommes forts du club bavarois. Un quasi sans faute qui fait de lui un sérieux candidat dans la potentielle liste des 23 de Joachim Löw pour la Coupe du Monde en juin prochain.
Souvenez-vous, c’était il y a un an, le Bayern Munich affrontait le Real Madrid en quart de finale de la Ligue des Champions. Au retour, Manuel Neuer, le gardien numéro un allemand avait permis à son équipe d’arracher la prolongation, mais avait terminé la rencontre blessé. Il avait ensuite tenu sa place le reste de la saison, mais malheureusement, c’est peut-être aussi ce qui l’a fait rechuter (opéré en septembre dernier d’un métatarse du pied gauche). Aujourd’hui, c’est son remplaçant, Sven Ulreich, qui est titulaire face à ce même Real pour la demi-finale. Si on nous avait dit ça il y un an, tout le monde aurait répondu qu’avoir le gardien de secours serait fatal pour le Bayern. Mais maintenant, cela n’étonne plus personne de voir la doublure de Manuel Neuer occuper le poste de dernier rempart de son équipe. Encore mieux, les Bavarois sont même sereins à l’idée d’avoir un portier qui arrive à (presque) faire oublier l’absence de Neuer, depuis déjà sept mois. À tel point que son retour à l’entraînement alimente les discussions et entraîne de nombreuses interrogations : doit-il retrouver sa place de titulaire tout de suite ? Si le Bayern atteignait la finale, faudra-t-il alors en priver Ulreich ? Sachant qu’il y a aussi une finale de Coupe d’Allemagne contre Francfort à disputer. Même s’il était physiquement prêt, le coach pourrait-il raisonnablement relancer Neuer juste à ce moment de la saison ? Ce soir, en tout cas, ce sera bel et bien Ulreich dans les cages pour le match retour. Une juste récompense pour l’Allemand de 29 ans.
À l’été 2015, quand il arrive au Bayern Munich, Ulreich n’est ni plus ni moins qu’un simple gardien de Bundesliga, venant de réaliser cinq saisons complètes comme titulaire dans les buts de Stuttgart. Évidemment, en arrivant en Bavière, il savait très bien que Neuer allait lui barrer la route et ne lui laisserait que quelques miettes de temps de jeu. Cela lui rappelle forcément les moments où il a entamé sa carrière professionnelle à l’âge de dix-neuf ans, devenant le suppléant du portier de renom, Jens Lehmann. Deux années plus tard, Sven prendra le relais, mais l’image qui se dégage de lui est celle d’un gardien peu fiable, aux sorties approximatives et au jeu au pied catastrophique. Au Bayern, il prend le rôle de Pepe Reina, parti à Naples, et devient le disciple du gigantesque Neuer. Ce second passage de l’ombre à lumière, quand le portier du lui céder sa place, est cependant bien moins douloureux pour lui. En l’espace de quelques mois, le sauveur a changé de visage.
UNE SAISON POUR TOUT CHANGER
Au début, remplacer l’irremplaçable était un défi bien trop lourd pour le gardien qui n’avait joué que deux matches de C1 jusque-là. Il commence par une faute de main sur un coup franc contre Wolfsburg (2-2) avant de se faire transpercer par le PSG (0-3) fin septembre. Un désastre en perspective pour la suite de la saison. Jupp Heynckes se souvient très bien de l’homme qu’il a découvert à son arrivée sur le banc cet automne, en remplacement de Carlo Ancelotti : « J’ai trouvé un gardien qui n’avait pas de reconnaissance et aucune confiance en lui ». C’est lui qui trouve les bons mots et va le remobiliser.
Très vite, il se rend indispensable et ne doit ses deux absences qu’à une blessure aux adducteurs sans gravité. Avec Heynckes, il récupère un coach qui lui témoigne un soutien constant, une défense qui le protège mieux, et des réflexes décisifs. Après la victoire des siens lors du match retour de Ligue des champions contre le Paris Saint-Germain, on l’a même surnommé « Sven The Wall ». Un clin d’œil au surnom d’ordinaire réservé à Neuer. On peut également résumer ses performances à la demi-finale de Coupe d’Allemagne. Le Bayern a fait exploser Leverkusen (6-2), mais ce n’est pas tant le festival offensif qui a marqué les esprits, que celui d’Ulreich sur sa ligne. Le portier a réalisé trois parades de classe qui ont empêché l’adversaire de revenir dans le match.
Sans oublier le match aller face au Real Madrid (1-2) où l’Allemand s’est montré précieux en n’encaissant seulement deux buts face à l’une des meilleures attaques de la planète et en repoussant toutes les tentatives des madrilènes. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. « Sven Ulreich est dans une forme sensationnelle ces derniers mois, se réjouit son coéquipier Joshua Kimmich. Il arrive toujours à faire de gros arrêts, ce qui est génial pour nous. C’est important pour l’équipe de savoir que, quand la défense est franchie, il y a quelqu’un derrière pour nous sauver de certaines situations ».
LA CDM EN LIGNE DE MIRE ?
Ulreich est tellement bon cette saison qu’on n’en vient même à se demander s’il ne sera pas du voyage en Russie pour disputer la Coupe du Monde. Comment Joachim Löw pourrait-il se passer d’un gardien qui n’est pas seulement champion d’Allemagne, mais peut-être à la fin, un artisan majeur d’une saison grandiose ? Le sélectionneur l’a confirmé, il apparaît sur les radars. « Il est particulièrement fort dans les un contre un et s’est également amélioré footballistiquement », précise-t-il. Pour son compatriote allemand et partenaire en club, Thomas Müller, ce serait la suite logique d’une saison aboutie : « C’est justice de faire de lui l’homme de l’année. Il mérite qu’on pense à lui pour le Mondial. Il constitue une option excellente ».
Pas sûr, néanmoins, que Joachim Löw bouscule ses habitudes, lui qui a jusqu’ici fait confiance, dans l’ordre, à Manuel Neuer, Marc-André ter Stegen (FC Barcelone), Bernd Leno (Bayer Leverkusen) et Kevin Trapp (PSG). Si Neuer retrouve la forme, Löw va déjà devoir laisser l’un de ces trois-là à la maison cet été. Alors deux… Le choix s’avère encore plus compliqué quand on sait que Loris Karius brille avec Liverpool. Le verdict tombera dans le courant du mois de mai. D’ici là, Ulreich a le Real à arrêter. De quoi donner des maux de tête à « Jogi » ? « Si Neuer ne peut pas être du voyage pour le Mondial, à mon avis Löw doit miser sur Sven Ulreich, parce qu’il connaît par cœur la défense : Hummels, Boateng, Kimmich, Süle. Ils ont des automatismes », a ainsi suggéré Sepp Maier, gardien de la glorieuse Mannschaft de 1974, championne du monde avec Franz Beckenbauer, Gerd Müller, Paul Breitner ou encore Jupp Heynckes.
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