Dans un groupe composé de la Serbie, de la Suisse et du Brésil, il serait facile et évident, à la vue des différents effectifs, de catégoriser le Costa Rica comme l’outsider et le petit poucet de ce groupe E. Et d’ailleurs cela ne déplairait pas aux Costariciens, tant les plus belles pages de l’histoire des Ticos se sont écrites dans l’exploit et la surprise, en rabattant toutes ces cartes prédisposées et en détruisant avec brio cette initiale impossibilité. Ce sont justement sur ces pages d’histoire que nous avons décidé d’écrire aujourd’hui. De sa première participation en Coupe du Monde en 1990, à l’extraordinaire parcours de 2014, retour sur les deux plus grands exploits du football costaricien.
1990 : A Gênes naissent ses gènes
Le Costa Rica, premier et unique pays à avoir abrogé son armée et indépendant depuis 1821, voit naître son football cent ans après sa propre genèse, en 1921. C’est justement cette même année que l’équipe nationale du Costa Rica participe à son premier match officiel, à sa première compétition officielle : les Jeux du centenaire de l’indépendance de l’Amérique Centrale. Une compétition forte en symbole pour le Costa Rica, le Salvador et le Guatemala, les trois participants, qui tous trois crièrent leur indépendance le 15 septembre 1821. Ce lien d’union ne se matérialisera pas aussi concrètement sur la pelouse, le Costa Rica explosant respectivement 7-0 et 6-0 le Salvador et le Guatemala, et remportant haut la main son premier trophée.
S’ensuivent des années d’hégémonie continentale pour les Ticos, sans ne pouvoir s’exposer aux yeux du monde, le Mexique remportant à chaque fois l’unique billet qualificatif à la Coupe du Monde attribué à cette zone. En 1978, les choses changent et deux pays de la CONCACAF peuvent prétendre à la plus grande des compétitions sportives mondiales. Le moment pour le Costa Rica de se faire connaitre, grâce au football. Il faut néanmoins attendre douze ans après cette restructuration pour que le Costa Rica se qualifie enfin à sa première Coupe du Monde, en 1990, en Italie.
Après un premier tour de qualification maîtrisé face au Panama, la Sele hérite d’une montagne au second tour : le Mexique. La tâche semble insurmontable. A moins d’un coup de tonnerre, l’aventure costaricienne devrait s’arrêter là. Vous le devinez, ce coup de tonnerre a bien eu lieu. Plus surprenant encore, il a eu lieu sans même que la foudre n’ait eu à toucher les joueurs costariciens. En effet, les Ticos ne joueront jamais face au Mexique, ce dernier étant interdit par la FIFA de toutes compétitions internationales en raison d’une histoire de dépassement de limite d’âge lors de la précédente Coupe du Monde U20. Le Costa Rica se retrouve parmi le prestigieux club des 5 de la Coupe des Nations de la CONCACAF. Les deux premiers de ce mini-championnat gagnent leur sésame pour l’Italie. Après une victoire en terre salvadorienne, la Sele se qualifie, avec les USA, pour la coupe du monde 1990, en Italie. Une première dans l’histoire du Costa Rica.
Incantations et autres prières ne suffiront malheureusement pas, cette fois-ci, lors du tirage au sort. L’équipe d’Amérique centrale doit partager son groupe avec l’Ecosse, la Suède et… le Brésil. Pire encore que ce tirage, la préparation à ce mondial est totalement chaotique. La fédération costaricienne est atteinte d’une Vahid Halilhodzic aiguë et décide de licencier le sélectionneur Marvin Rodríguez à quelques semaines du début du tournoi. Bora Milutinović arrive à la tête de la sélection, à un peu plus d’un mois de l’entrée en piste en Coupe du Monde de cette dernière. Et puisque trop de bordel ne tue pas le bordel, le néo-sélectionneur décide, à la surprise générale, de laisser au pays plus de huit joueurs cadres, tous titulaires lors de la phase de qualification. Cette décision, initialement apparentée à un coup de folie, se révélera être un coup de génie.
Le Costa Rica coupe le ruban rouge à Gênes, au Stadio comunale Luigi Ferraris, face à l’Ecosse, le 11 juin 1990. La première période se montre serrée entre Costariciens et Ecossais, et se conclue sur un 0-0. Mais dès le retour des vestiaires, Juan Cayasso, l’un des deux numéro 9 de cette équipe, rentre dans l’histoire de son pays en inscrivant le premier but de l’histoire du Costa Rica en Coupe du Monde. Mieux encore, grâce à ce but splendide collectivement et techniquement, Cayasso offre pour la première fois aux Costariciens ce doux plaisir, cette frissonnante sensation : une victoire en Coupe du Monde.
Pas le temps de sortir les cotillons et le champagne, la seconde rencontre arrive et s’annonce orageuse. Le Brésil se présente face à la Sele, à Turin, dans un match qui pourrait d’ores et déjà qualifier la Seleçao. Tout le monde voit ses derniers enfiler les buts et se déchaîner sur les pauvres novices costariciens, à tort. Hargne et combativité costaricienne font de ce match un sacré casse-tête pour les Brésiliens. Après une ouverture du score à la demi-heure de jeu, les Auriverdes butent sur un bus rouge et bleu. Le temps passe, le score ne bouge pas, le Costa Rica espère une égalisation héroïque, le Brésil craint une micro désillusion. Rien de tout cela n’aura lieu, le Brésil l’emporte 1-0. Mais qu’importe, les Ticos auront bravement résisté face à la nation du football, et auront inscrit le nom et le drapeau de leur pays dans toutes les têtes, dans tous les esprits.
Le Costa Rica n’a rien du petit bleu, du petit nouveau. Le Costa Rica n’est pas là pour apprendre, il est là pour gagner, pour briller, pour atteindre les phases finales. Mais pour cela, il lui faut battre la Suède, à Gênes de nouveau, elle aussi en quête d’une victoire potentiellement qualificative. Le rêve mute en cauchemar, à la 35ème minute, quand la Suède ouvre le score et grille la place de second du groupe à la Sele. Les Costariciens doivent marquer deux buts en 45 minutes, soit le double de but inscrit dans leur histoire en Coupe du monde. Ne faisons pas trop durer ce faux suspense. Les Ticos l’ont fait, oui. Un coup franc et un contre. 76ème minute et 88ème minute. Un exploit qui envoie au septième ciel et en huitième de finale ce neuf de la Coupe du Monde, en seulement dix minutes, grâce à onze hommes.
Pour sa première participation en Coupe du Monde, le Costa Rica, du haut de ses quatre millions d’habitants et de ses 60 ans de football, réalise l’exploit de se qualifier pour les 1/8ème de finale. Des huitièmes qui sonneront comme le terminus pour l’équipe costaricienne. La Tchécoslovaquie se présente face aux Ticos, mais la marche est beaucoup trop grande. La Costa Rica se fait violemment éjecter : 4-1.
2014 : La récidive à Recife
Le retour au pays est triomphal, le retour à la réalité, lui, est beaucoup plus brutal. Le Costa Rica ne réussit pas à se qualifier aux Coupe du Monde 1994 et 1998, et lors de ses deuxièmes et troisièmes participations, en 2002 et en 2006, rentre au pays dès la fin du premier tour. Néanmoins, le parcours de 2002 se démarque avec une seule défaite à l’actif des Ticos, face au Brésil au terme d’un match fou où la Sele remonta notamment deux buts à la Seleçao avant de s’incliner 5-2. La deuxième place fut perdue au goal-average au profit de la Turquie, surprise cette année-là. Deux participations en 12 ans, et deux éliminations au premier tour coup sur coup, avant d’en frapper un grand, de nouveau, huit ans plus tard, au Brésil.
Les rouge et bleu débarquent sur les terres de l’éternel pays d’avenir, la boule au ventre et des incertitudes pleines la tête. Malgré un parcours éliminatoire parfaitement géré, la Sele arrive au Brésil en probable bouche-trou, en punching-ball potentiel, en victime parfaite et désignée. Le Costa Rica devra se partager le groupe D avec l’Uruguay, l’Italie et l’Angleterre. Le fameux groupe de la mort pour une équipe dont personne ne l’aurait imaginé en vie à la fin des phases de poules. Et pourtant. Jorge Luis Pinto, en place depuis 2011, ne le savait peut-être pas, mais ses hommes allaient s’élever au rang de vaillants, de héros, de presque dieux.
L’Uruguay d’Oscar Tabarez se présente devant le Costa Rica comme premier bourreau attitré. Mais en cette année 2014, les Ticos n’en ont pas grand chose à faire de la fatalité et de la logique. Fusillée par Cavani dès la 25ème minute, la Sele se réveille et démarre sa compétition grâce à l’égalisation de Campbell à la 54ème minute, avant de passer la seconde et la troisième, respectivement à la 57ème et 84ème minute. Avec cette victoire 1-3 face à la Celeste, le Costa Rica bifurque déjà dans le camp des équipes que l’on veut voir le plus longtemps possible. Jeu spectaculaire basé sur des transitions rapides vers l’avant, symbolisé par la flèche Joel Campbell et orchestré par l’élégant Bryan Ruiz, qui nous rappela comme le foot était si beau à regarder lorsqu’il était pratiqué avec cette patte gauche et cette élégance, aura séduit la planète foot durant ce match. En plus d’émerveiller leurs compatriotes ainsi que les amoureux et puristes du football, les Ticos s’offraient avec cette victoire une finale de groupe inattendue et inespérée, face à l’Italie, elle aussi vainqueur du premier match, face à l’Angleterre.
Les deux équipes se retrouvent à l’extrême-est du pays, à Recife, pour un match qui pourrait propulser en 1/8ème de finale le vainqueur. L’Italie qui commence fort ce match voit sur sa route se hisser un obstacle au nom inconnu à l’époque, au flow bancal, mais à la détermination et à l’acrobatie fantastiques : Keylor Navas. Le portier du Real Madrid, alors à Levante à cette époque, se transforme en véritable rempart face aux assauts italiens du début de match. Une résistance qui portera ses fruits, lorsqu’à la 45ème minute, Bryan Ruiz, meilleur joueur à la chevelure soyeuse ce soir-là, propulse le ballon au fond de la cage de Buffon.
La seconde période est un remake des 25 premières minutes. L’Italie bute sur Navas tandis que le Costa Rica se crée des situations intéressantes en contre-attaque sans parvenir à conclure. Trois coups de sifflet de l’arbitre et c’est tout un pays qui se retrouve entraîné dans l’euphorie, et le reste de la planète plongé dans la stupéfaction. Le Costa Rica, victime attitrée, se mute en bourreau et se retrouve comme premier qualifié de ce groupe de la mort, après ses deux exploits. Il lui reste désormais l’Angleterre à jouer, déjà éliminée, pour un match aussi pauvre qu’intéressant finalement, puisque finissant sur un bon 0-0 des familles. Seize ans après, les Ticos retrouvent les 1/8ème de finale d’une Coupe du Monde. Seize ans après, l’exploit est tout aussi tonitruant et inouï. Seize ans après, le Costa Rica, cette fois-ci, se qualifiera pour les 1/4 de finale.
En 1/8ème de finale, les Costariciens retrouvent un miraculé des phases de poules : la Grèce, qualifiée à la dernière minute grâce à un but de Samaras. Les deux équipes surprise du tableau final se retrouvent là où la plus belle page de l’histoire des Ticos s’est sans doute écrite il y a quelques semaines de cela : à Recife. Le match commence dans l’appréhension et, disons-nous-le, dans l’ennui. Mais dès le retour des vestiaires, les choses vont changer. A la 52ème minute, Bryan Ruiz délivre les siens d’une merveille de plat du pied qui viendra prendre à contre-pied le portier grec. Douceur.
A la suite de ce but, le match s’accélère, s’envenime, trop pour les Costariciens. Duarte découpe Holebas, et écope de son second carton jaune. Le Costa Rica se retrouve, dès la 65ème minute, en infériorité numérique. Les Grecs poussent, acculent ces derniers dans leurs seize derniers mètres, butent face à un Keylor Navas absolument, encore une fois, fantastique. Jusqu’à la 92ème minute, où après une énième parade de ce dernier, Sokratis égalise pour la Grèce. Après ce but-là, plus personne ne donne cher de la peau des Ticos. Mais messieurs, il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, encore moins quand c’est Keylor Navas qui protège l’ours. Le portier costaricien mute en Octopus durant la prolongation, écœurant la Grèce entière et éclaboussant le monde entier de son talent en s’interposant à six reprises, en 30 minutes, face aux assauts hellènes, notamment en réalisant deux exploits face à Kostas Mitroglou.
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Et là, contrairement à ce que nous pensions tous une demi-heure plus tôt, on se dit que rien ne peut arriver à la Sele tant Navas est divin. Et cette fois-ci, nous n’avons pas tort. Le Costa Rica s’impose 5-3 aux tirs au buts, après que Navas stoppe le dernier penalty grec. Un match qui, en plus de le conforter dans son siège de meilleur gardien de la compétition, le propulsa, les semaines suivantes, comme remplaçant d’Iker Casillas au Real Madrid. Costa Rica way of life. Pour la première fois de sa jeune histoire, le Costa Rica s’offre le droit de jouer sa place en demi-finale de Coupe du Monde.
Mieux que d’avoir réussi à placer le Costa Rica sur une carte du monde, les Ticos auront réussi à se faire une place dans le cœur de tous les amoureux du football. Un parcours que l’on a tous encore en tête, également grâce à la manière dont la Sele s’est faite sortir, après ce quart de finale hallucinant, où la folie de Louis Van Gaal détruit le rêve costaricien. Le petit novice d’Amérique centrale est opposé donc aux Pays-Bas de ce dernier. Vices-champions du monde, ayant étrillé les champions en titre espagnols 5-1 quelques jours auparavant et miraculés des 1/8ème de finale, après être venus à bout des Mexicains au terme d’un match aux décisions litigieuses (coucou Arjen), les Oranje entament ce quart de finale sur les chapeaux de roue. Pas étonnant pour des Néerlandais.
La première période est à sens unique, et les Pays-Bas ne font face qu’à un seul Costaricien : Keylor Navas. La seconde période se rééquilibre petit à petit. Les partenaires de Navas se créent quelques opportunités et ne sont pas loin d’obtenir un penalty après une action très limite dans la surface des Néerlandais. En fin de match, Sneijder trouve la transversale de Navas à deux reprises, à la 83ème et 94ème minute. Miracle, les Ticos vont en prolongation au terme d’un match où les Pays-Bas auraient pu et dû se qualifier dans le temps réglementaire. La prolongation est une copie des 90 précédentes minutes. Les Oranje martyrisent la défense costaricienne, obligée de se référer aux exploits de leur portier pour survivre. Mais à la 117ème minute, le match bascule dans l’irréel total.
Les Ticos sont à quelques mètres, sur leur seul tir cadré de la partie, d’ouvrir le score. Ce n’était sans compter sur Cillessen qui réalise une parade navasienne. Sur l’action qui suit, Sneijder trouve encore une fois le montant de Keylor Navas. A la suite de cette action, le sélectionneur néerlandais, Louis Van Gaal, décide de s’inscrire dans la légende de la Coupe du Monde. Cillessen est remplacé par Tim Krull, troisième gardien, pour la séance de tirs aux buts qui semble inévitable. Coup de génie pour Louis, le Costa Rica s’écroule face à Krull. Ce dernier stoppe les tirs au but de Ruiz et d’Umana et met un terme à la campagne folle de la Sele.
Le Costa Rica sort la tête haute, fier, grand et en ayant propulsé certains de ses joueurs sur le devant de la scène. Navas s’imposa au Real Madrid, Campbell s’imposa, une saison seulement, à Arsenal, et Bryan Ruiz est désormais une pièce indispensable du système de Jorge Jesus au Sporting Lisbonne, pour ne citer qu’eux.
A leur retour aux pays, les Ticos sont accueillis comme des dieux. Gratifiés par le président costaricien, ces 23 hommes auront, en plus d’avoir offert à leurs habitants une reconnaissance à la hauteur de leur ferveur et de leur amour pour le football, immortalisé leur pays dans les manuels d’histoire du football et fait de ce pays un attendu du Mondial 2018 pour tous les fans de foot. Messieurs, on compte sur vous !
Crédit photo : JOHAN ORDONEZ/ AFP