Le 17 mai dernier, la rédaction d’Ultimodiez était conviée à la présentation du dispositif mis en place par BeIN Sports à l’occasion de la Coupe du monde 2018 en Russie, avec la diffusion en exclusivité de l’intégralité des 64 matchs. Le tout disséqué et analysé par les journalistes et consultants de la chaîne dans diverses émissions tout au long de la journée. Lors de cette journée nous avons eu la chance d’échanger avec le commentateur vedette de la chaîne. Au programme Argentine, football, souvenirs et arbitrage il ne manquait plus que l’asado et le maté et nous étions à Buenos Aires.
Omar, penses-tu que l’Argentine est armée pour faire une bonne Coupe du monde ?
Non. Dans ce groupe, à presque 90% ce sont exactement les mêmes joueurs qui ont joué la Copa América de 2011 en Argentine. Donc, depuis cette échéance nous avons eu trois éditions de Copa América et 2 Coupes du monde. Nous avons toujours eu un réservoir de joueurs individuels très forts et qui jouent tous depuis 10 ans dans les meilleures équipes d’Europe (Messi, Higuaín, Agüero, Tévez, Pastore, Lavezzi, Di María, Mascherano, Banega).
Nous sommes allés en finale de la Copa América au Chili et aux États-Unis, car à chaque fois Messi sort son costume de sauveur de la nation en inscrivant le coup franc ou en appuyant sur le bouton pour réaliser l’action décisive à la dernière minute. Mais d’un niveau plus général et footballistique nous n’avons jamais été supérieurs à nos adversaires, à l’image des éliminatoires de cette année qui ont été une catastrophe. J’étais au match contre le Pérou où on doit gagner à la Bombonera mais on a tiré que trois fois au but. Idem à domicile contre le Vénézuela, on fait match nul alors que tu te dis qu’il y a Agüero et Higuaín.
Aux antipodes de ces talents, tu ne peux pas faire jouer Mercado, stoppeur reconverti. C’est un miracle qu’il soit dans le même vestiaire que Messi. Tu te rends compte ce mec-là se change avec Messi ?! Rojo… Rojo… Il a zéro qualité de pied. Il ne sait pas centrer, comment tu veux que Messi se débrouille au milieu de ça. C’est l’aventurier au milieu du désert ! Je préparais des palettes pendant les éliminatoires pour cette édition de la Coupe du monde, tu vois Messi qui prend la balle tu as Agüero et Higuaín devant lui et huit autres derrière lui. Alors qu’à Barcelone, quand il prend le ballon tu as Sergi Roberto, Jordi Alba, Iniesta. Lui, il s’insère. Il faut qu’il ait des options pour pouvoir créer.
En dehors du fait que beaucoup de joueurs soient en dessous de leur niveau (Mascherano, Di María il ne sait plus où il en est, Banega qui touche 18 fois la balle avant de pouvoir la donner à Messi…), le but de l’Argentine c’est de mettre Messi dans les meilleures dispositions et qu’il prenne la balle le plus proche de la surface. Aujourd’hui, il part de trop loin. Par le passé il faisait une quinzaine d’accélérations par match. Le poids des années se faisant, il n’est aujourd’hui qu’en mesure d’en faire huit tout au plus. L’Argentine part avec un handicap de mauvais souvenirs, cependant nous avons Messi.
Est-ce que cette Coupe du monde n’est pas la dernière chance qu’a Messi pour gagner le cœur des Argentins ?
Oui c’est sûr, mais je ne pense pas qu’on puisse la gagner.
Un mot sur Sampaoli ?
Il m’a plutôt laissé perplexe. Je le connais depuis son passage à Séville, et d’un point de vue lexical il a toujours prôné le beau jeu, il apprécie les joueurs aimant se projeter, le côté technique, mais dans les actes, il a dit à son premier match que son leader était Pizarro. Je me suis dit mais il est fou lui ! Tu as Messi et d’autres joueurs de classe et tu mets en avant Pizarro alors que c’est un joueur neutre. Il s’entête à vouloir jouer sur les côtés alors qu’il ne dispose pas des joueurs nécessaires. Pour jouer sur les côtés dans le football moderne, il te faut des joueurs du profil de Daniel Alves, Marcelo, Alaba, Lahm, Kimmich. Des joueurs qui ont un volume de jeu et une technique à faire valoriser. Et nous, nous faisons jouer des Mercado ou Rojo, des stoppeurs reconvertis qui restent dans leurs positions sans rien proposer. Ce sont des défenseurs dans l’âme mais dès qu’ils s’approchent de la surface adverse, ils ont des vertiges, ils vomissent ou il ont la diarrhée.
Comment expliques-tu la différence de niveau entre la ligne d’attaque et les deux autres lignes ?
Les histoires des arrières latéraux, j’en discutais avec mon ami le sélectionneur du Pérou. À une époque on replaçait des joueurs là où ce n’était pas leur poste (exemple de Lassana Diarra), mais le pré requis c’est qu’ils avaient un minimum de niveau technique. En 1978, Menotti quand nous avons gagné, a replacé arrière droit un milieu. Celui-ci se débrouillait pour faire le travail défensivement mais il était surtout utile dans les sorties de balles. Je trouve qu’en Argentine, il y a encore la théorie italienne : à partir du moment où tu appartiens à la ligne défensive tu défends. Le défenseur doit être fort, rugueux, il faut montrer qu’il a une espèce d’agressivité. En Argentine, je connais beaucoup de techniciens qui croient que plus ta goutte de sueur à l’entraînement est grosse, mieux tu vas jouer le week-end. Il y a une approche pour moi triste.
De l’autre côté tu as Dybala qui est une énigme en sélection. Pour toi Dybala – Messi c’est compatible ? Ça semble évident mais…
Bien qu’il soit dans la liste élargie des 35, deux journalistes très connus ont fait un article pour annoncer sa non-sélection. Quand on essaie de nous vendre le côté négatif, que ce sont des joueurs aux profils similaires, gauchers tous les deux, moi je pense tout l’inverse. Il faut d’abord créer le lien entre les deux personnes en dehors pour le renforcer sur le terrain. C’est inconcevable pour moi de ne pas pouvoir aligner ces deux joueurs ensemble.
Le poids de Messi dans les choix ?
Messi, je l’ai côtoyé à plusieurs reprises et pour moi il est incapable d’imposer ses choix. Quand on essaye de me faire croire que c’est lui qui met son veto je n’y crois pas une seconde. Après son environnement c’est autre chose. Son père, c’est le même que celui de Neymar…
Est-ce que tu crois que l’échec de 2002 est le plus grand échec de l’Albiceleste ?
Je n’en sais rien, car nous avons eu des échecs dans pas mal d’endroits. À l’époque de Maradona en 90 on aurait pu faire le back to back. 2014 aussi, par rapport au parcours plus que laborieux et on arrive en finale, si Higuaín marque son occasion… À une époque tu te souviens quand il y avait Redondo, Verón, Simeone, Batistuta, Crespo, Ortega, Aimar, tu avais un paquet de joueurs avec derrière Sorín, Ayala. Quand tu compares aux joueurs actuels tu te rends compte du gap.
Justement l’Argentine a été fournisseur de talents au niveau des défenseurs et milieux, pourquoi aujourd’hui on a du mal à voir des jeunes qui poussent dans ces secteurs du jeu ?
C’est un problème structurel. On fait un championnat avec 28 équipes. C’est brouillon et désorganisé à tous les étages. L’entraîneur des moins de 20 ans c’est le fils de Grondona. l’Argentine, c’est très désorganisé. Quand tu compares avec le Brésil ne serait-ce que sur le poste d’arrière latéral, le nombre de joueurs qu’ils ont et arrivent à former, c’est historique chez eux.
La France et l’Argentine peuvent se rencontrer en huitième de finale, quand on est un Argentin expatrié en France comment vit-on la situation ?
Mal. Je suis en France depuis 30 ans, mes enfants sont français, mes petits enfants le sont aussi. Ce pays m’a accueilli, m’a tout donné. Après le jour J au coup d’envoi, il n’y aura plus de contrôle (rires).
Quel est ton plus grand souvenir avec l’Argentine en Coupe du monde ?
J’ai vécu à votre âge le sacre de 1978. J’avais une Fiat 600 toute bleue. Le jour où nous avons gagné 6-0 contre le Pérou, il fallait marquer avec un minimum de 4 buts d’écart, on en met 6 ! Je me souviens on était 6 dans cette petite voiture. Toute la ville de Buenos Aires était dans la rue sous un déluge de papelitos. À l’époque le plastique n’existait pas, nous avions découpé une tonne de journaux. Cette édition est particulière car les suivantes je les ai vécues en Europe.
Celle de 1990, je l’ai vécue à Toulouse, où il y a une grosse communauté argentine. Je me souviens lorsque nous sortons l’Italie à Naples et en finale nous perdons contre l’Allemagne avec notre hymne sifflé par tout le stade et la fameuse réaction de Maradona à ses sifflets.
Tu te souviens où tu étais lors de la finale de 1998 ?
Bien sûr, j’étais au match avec mon fils et ma maman. C’était un beau souvenir, on avait fêté ça comme il se doit. J’avais une relation privilégiée avec Trezeguet, je connaissais Christian Karembeu, Emmanuel Petit, Marcel Desailly, Liza. J’avais été à Clairefontaine.
L’assistance vidéo va être utilisée au niveau de l’arbitrage dans cette édition. Quelle est ta position par rapport à cette nouveauté ?
Je suis pour à 200 %.
Même de la façon dont elle est utilisée aujourd’hui ?
Non non. Ça c’est évident. Il ne faut pas être aveugle, bien sûr que non. On ne peut plus rester cette position vis-à-vis de l’arbitre. Avant le match tu as des discussions sur sa désignation, pendant le match on le massacre à la moindre erreur, et après on le pourrit pour sa prestation. Au Mexique, ils ont fait une étude sur un nombre très important d’actions de jeu ne devant pas porter à confusion. Dix personnes (deux femmes, trois personnes amateurs de football et cinq arbitres professionnels) devaient avoir le rôle d’arbitre vidéo et avaient à leur disposition deux boutons : certitude et doute. Résultat des courses : consensus à hauteur de 78%. Donc selon moi, il faut développer ce système. Tu mets trois personnes et la décision se fait selon le résultat de ce retour. Mettre en avant l’argument selon lequel cela va casser le rythme du match c’est faux. Par exemple le centre de Digne qu’il réalise en étant 1 mètre en dehors du terrain, on avait le ralenti avant même que le gardien puisse récupérer le ballon. A l’exception d’être de mauvaise foi, d’avoir des problèmes de vue ou d’avoir un intérêt quelconque tu ne peux pas nier que l’arbitrage vidéo doit être mis en place. Les modalités d’applications doivent être revues, certes, mais il faut l’instaurer.
Je le dis tout le temps, moi j’ai mes petits enfants et dans l’éducation que je prône la fin ne justifie pas les moyens. Gagner en trichant ce n’est pas une valeur que je veux transmettre. Quelle réponse je vais leurs apporter quand ils m’interpellent : « Papi, mais au foot la main c’est interdit ? » je ne me vois pas leur répondre : « Ah tu sais, on la fait à l’envers à l’arbitre, pas vu pas pris ! »
Dernière question, notre site s’appelle Ultimodiez en référence à Riquelme, qu’est-ce que tu penses de ce joueur ?
Je vais te faire mal peut-être, je dis toujours que c’est quelqu’un qui met des fleurs dans la maison. Il était dans la décoration. Dans beaucoup de match lorsque son équipe gagnait il se mettait sur le côté à régaler mais ça n’a jamais été un joueur décisif. Il était fort dans le coté esthétique. En somme, c’est un joueur de grandes actions mais très rarement un joueur qui te fait gagner un match. Pendant un temps il y a eu le débat entre Aimar et Riquelme. Après Aimar c’est un joueur qui a eu de gros soucis physiques à l’instar d’un Pastore aujourd’hui. Pour moi, Aimar était plus dans la provocation et la percussion alors que Riquelme était plus statique. Cela dit en Argentine c’est une icône de par son passage à Boca. Chez nous dès que tu viens au monde tu es associé à un club et c’est ce qu’il manque à Messi. C’est la raison pour laquelle il est dévalorisé et critiqué car il n’a jamais évolué en Argentine.
Crédit photo: Icon Sport / MADEINFOOT