Lors du premier match en terres russes de la Nati face au Brésil, le nom de Manuel Akanji est apparu sur la feuille de match. Pour les Suisses, c’était une petite surprise tant on sait l’importance de Djourou en sélection. Pour le reste du monde en revanche, la découverte fut totale. Cet énième représentant du multiculturalisme helvétique de par ses origines a ainsi représenté son pays, celui où il est né d’un père Nigérian et d’une mère Suisse. Et sans que quiconque n’ait son mot à dire, il s’est sûrement imposé pour de longues années en une poignée de minutes.
Lors du mondial Brésilien, la carrière du jeune central alors âgé de 18 ans était autrement plus complexe puisqu’il suivait alors son équipe depuis son salon. Peut-être loin de penser qu’il allait être titulaire d’entrée lors de la compétition en Russie bien qu’intégré au sein de l’équipe espoir. Mais paradoxalement, à ce moment-là, le jeune homme fait ses classes en deuxième division, loin de l’élite Suisse ou Européenne. À Winterthour, club qui le fait grandir, tout proche de chez lui mais aussi de la frontière allemande et de Zürich, il évolue sans broncher.
Son parcours n’a rien de fulgurant, comme s’il ne rêvait pas de toucher les étoiles. C’est ce qu’il transparait plus ou moins quand il déclare à S. Meier (journaliste pour Schweizer Illustrierte) « j’espérais aller loin mais je n’y croyais pas vraiment ». Le football a beau être le grand amour de Manuel Akanji, une certaine incertitude se dégage de ses propos qui tranchent avec sa situation actuelle qui était probablement impensable il y a plusieurs années. Avec une carrière qui s’est mis en place lentement avant de prendre une trajectoire ascendante. Coïncidant avec sa tardive intégration au sein des sélections de jeunes. Démontrant à quel point sa discrétion et le peu de considération qui lui sont accordés sont marqués.
Jamais loin de sa grande sœur, qui, comme lui ne vit que pour le football parce qu’elle a décrété que « je ne vais pas seulement regarder mais jouer aussi », comme elle l’explique au magazine Schweizer Illustrierte. Les deux compères évoluent ensemble. Si aujourd’hui Sarah joue toujours sous les couleurs de Winterthour, son frère a pris une autre trajectoire. Sous le regard d’une famille sportive et précieuse dans l’évolution du joueur.
À l’aube de son vingtième anniversaire, le FC Bâle décide qu’il est l’heure de placer Manuel Akanji sous les lumières. Son arrivée nécessite une adaptation et il passe tantôt par le banc, puis par la réserve. Mais rien ne presse pour lui, puis patience est mère de sureté. Comme chez les espoirs Suisses, il ne fait pas de vagues. Pourtant d’après le sélectionneur de l’équipe, Gérard Castella, « ses qualités sautaient aux yeux » comme il l’explique au journal Le Temps.
La saison suivante (2016/2017), le temps de jeu progresse lentement mais sûrement jusqu’à ce que l’avion n’atterrisse brusquement avant d’entamer un freinage d’urgence. Les croisés cèdent au cours du mois de mars, stoppant net une progression régulière. Alors le temps s’arrête, le dur labeur de la rééducation s’installe, et il faut que le genou se remette en place. Mais le jeune homme ne perd pas sa hargne, qui se développe au moment où son caractère s’étoffe durant de longues semaines où il n’a comme seul compagnon la douleur.
De là va aussi naître son envie de montrer à ses détracteurs – ceux lui lançant au visage des propos racistes ou ceux disant qu’il a quitté le cocon trop tôt pour le géant Bâlois – qu’il a confiance en lui. Un sombre tatouage apparaît sur son avant-bras, son leitmotiv inscrit dans sa peau. « Prove them wrong », d’une simplicité débordante mais démontrant que mentalement, Akanji a bien grandi. Et cela s’est passé en une fraction de secondes.
En décembre 2016, lorsqu’il fait son retour sur les terrains après de longs mois dans le silence, il ne quitte plus ses coéquipiers. Et pour la simple et bonne raison que la Coupe du monde qui arrive, il veut la jouer. Les matchs passent et le central s’installe, lentement mais sûrement. Sûr de ses capacités, sans une trace d’arrogance, juste une bonne dose de confiance en lui, il gagne sa place à la régulière malgré son jeune âge. En Super League ou en Ligue des champions, il se montre.
Lors d’une de ces soirées européennes, il joue d’ailleurs face au club qui est littéralement celui qu’il tient tout près de son cœur, depuis que Cristiano Ronaldo y a brillé : Manchester United. Match retour à la saveur unique lors des phases de groupe et durant lequel il va même avoir l’occasion de briller. La rencontre n’a rien d’anecdotique du fait malgrê la défaite 3-0 en terres Mancuniennes. Encore en vie, Bâle tente le tout pour le tout et le jeune homme est décisif sur le seul but de la partie inscrit par les siens. Le temps d’un instant, l’enfant a sans doute resurgi dans le corps de l’homme qu’il est devenu.
La saison suivante, en terres Suisses encore, et l’ultime avant la plus grande des compétitions qui le hante matin et soir, le jeune joueur poursuit ses progressions. Au point d’être repéré par le club qui fait vibrer son cœur mais aussi par le Borussia Dortmund, destination appréciée par les Suisses. Et c’est finalement l’Allemagne que le central va décider de rejoindre. Sûrement parce qu’il y a moins de pression mais aussi parce que son précieux entourage reste proche. Et surtout sa grande sœur.
Dans la Ruhr, la situation est un peu compliquée. Pas inscrit en Ligue Europa car le club n’avait qu’une seule place vacante donnée à Michy Batshuayi, Peter Stöger est le troisième entraîneur d’un groupe fragile en un an et demi et cela se voit. Alors le temps de jeu se réduit mais il n’en faut pas beaucoup pour les observateurs du BvB pour voir qui ils tiennent entre leurs griffes. Rapide, vif, agile techniquement et confiant, Akanji n’a pas peur. Les journées passent et il joue de plus en plus, jamais sans trembler ni céder face à ses adversaires.
En trois années, le jeune défenseur central est passé de l’ombre à la lumière, de la Challenge League à la Bundesliga. Sorti de l’anonymat pour prouver qu’il avait bien le talent et le caractère pour rejoindre un grand d’Europe. Mais ce n’est pas tout. Vladimir Petković l’avait bien remarqué lui aussi. Et début 2017, il lui a offert sa première sélection. Et le joueur a plus tard été récompensé car de par ses performances mais aussi son ascension fulgurante, il a battu à la régulière l’habituel titulaire pour accompagner Fabien Schär. Quand le pays que Manuel Akanji représente avec fierté a affronté le Brésil, il a justifié les espoirs placés en lui. Et contre la Serbie également. Au duel, sans jamais lâcher le marquage, dur sur l’homme, celui que l’on peut penser comme inexpérimenté fait déjouer ceux qu’il croise.
Du haut de ses 22 ans, lui qui a tout pour devenir un leader technique mais aussi un meneur d’hommes sur les terrains a chamboulé une hiérarchie et un ordre à la vitesse de l’éclair. Si vite qu’il a dépassé le mur du son. Si vite que lorsque l’on y repense, quatre ans auparavant, il n’était rien qu’un jeune joueur sans grand avenir. Un jeune joueur dont l’on avait jamais songé à associer le nom à de grands clubs ou titulaire lors d’une Coupe du monde. Pourtant, Manuel Akanji leur a prouvé le contraire, comme il l’avait rêvé étant enfant, mais aussi un peu plus grand. Il démontre, au sein de cette belle équipe Suisse qui représente bien un pays haut en couleur, que lui aussi avait sa place. Une place qu’il n’est probablement pas prêt de perdre. Pas seulement du fait de son talent mais aussi parce qu’il a été taillé pour cela.
Crédit photo: JEWEL SAMAD / AFP