Cristiano Ronaldo à la Juventus, la partie cachée de l’iceberg

La Juventus de Turin, la Vieille Dame ou Vecchia Signora dans la langue de Dante, 34 scudetti et 2 ligue des Champions au compteur, vient de frapper le plus grand coup médiatique du championnat. Un tremblement de terre qui a coûté 105 millions. Cristiano Ronaldo vient de réaliser un rêve d’enfant, un vrai, rejoindre le club qui l’a fait aimer le football. Le maillot bianconero lui a toujours provoqué des papillons dans le ventre, et il a décidé de franchir le pas. CR7 est juventino et peut se permettre de chantonner « Juve, Juve » avant d’entamer probablement dans 9 mois le fameux « Siamo noi, Siamo noi, i campioni dell’Italia siamo noi ». Ce transfert a crée en engouement certain du coté du Piémont et pourtant, l’Italie risque de ne pas s’en relever.

Plus grand coup médiatique depuis … Ronaldo

La Serie A ne pensait plus vivre ça un jour. Un moment iconique, un jour qui a des airs de jour férié pour certains tifosi, ou de deuil pour d’autres. La signature d’un champion confirmé chez un club italien. Malgré la stature, la puissance et l’exposition de la Serie A dans les années 1990 et 2000, rares sont les joueurs qui ont rallié l’Italie depuis. Le dernier en date, à nuancer certes, car il n’était à l’époque qu’un cyborg en pleine mutation, était Ronaldo à l’Internazionale. La signature de R9 avait beau avoir un impact monumental sur le football de l’époque, la portée n’est pas la même. L’armoire à trophées du Brésilien n’était pas garnie comme l’est celle de CR7, et il n’était qu’un jeune homme malgré son statut déjà de star. Là, la Juventus a signé un quintuple ballon d’Or, quintuple vainqueur de la Ligue des Champions, l’homme de tous les records. Si Gianni Rivera, première grande rock star de la Serie A, a hérité du nom de Golden boy italien dans les années 60, Cristiano mérite celui du Golden Boy Ultime. Lui qui a fait tant de mal à la Juve lors des deux dernières confrontations entre le Real et sa nouvelle maison s’est laissé tenter par un dernier défi.

La conquête de nouveaux territoires ne s’arrête jamais. Christophe Colomb n’a pas cessé de repousser les lois de la mer, Ronaldo lui préfère celles du rectangle vert. Cette nouvelle conquête s’appelle l’Italie et semble être à sa portée. « C’est pas l’homme qui prend le terrain, c’est le terrain qui prend l’homme ». Voilà Cristiano affilié à la botte, sa luxure, son froid montagneux, ses belles femmes et ses voitures. Et pourtant derrière tout l’engouement provoqué par son arrivée dans le Piémont, l’atmosphère est particulière. Médias et joueurs turinois (même d’autres clubs) se réjouissent d’un tel transfert mais l’ambiance est lourde, pesante, comme si l’arrivée de CR7 ne bénéficiait qu’à une partie du football italien et du pays. L’impression que les inégalités dans le foot italien mais aussi dans la société italienne vont se décupler au fur et à mesure.

Un avant et un après Cristiano

Evidemment, Cristiano Ronaldo est potentiellement le dernier maillon de la chaîne pour gagner la Ligue des Champions après trois échecs de suite. Mais il est difficile d’imaginer voir un autre vainqueur que la Juventus dans l’histoire. Certes, quelques joueurs vont peut être rester en Serie A pour affronter le médiatique et fantastique Cristiano, d’autres vont probablement rallier des clubs italiens pour se confronter à lui, mais cela ne reste qu’une minorité. La vérité est que la Juventus s’est renforcée pendant que les autres clubs doivent faire encore preuve d’imagination pour espérer titiller le sextuple champion d’Italie. Le plus marquant reste le Napoli. Le dauphin des bianconeri peine à faire un recrutement digne d’un potentiel vainqueur de scudetto malgré l’arrivée de Carlo Ancelotti. Et pire, le club a vu Jorginho quitter le navire. Entre résignation et manque de fond, De Laurentiis a logiquement cédé aux avances de Chelsea. La Roma a pris un virage considérable avec une nouvelle politique de recrutement. La Lazio semble trop loin et ne parlons pas de l’AC Milan. Seul l’Inter fait figure d’exception avec un mercato plein de cohérence.

L’écart se creuse encore plus entre la Juventus et le reste. Le mariage Cristiano et Allegri est la pire chose qui pouvait arriver pour la Serie A. Les cauchemars vont être encore plus sombres pour les 19 autres équipes. Derrière les festoiements se cache une vérité complètement oubliée par les médias : le mal être du football italien. Ce transfert ne doit pas faire oublier à quel point l’Italie est mal en point. L’influence de la mafia chez certains groupes de supporters -notamment à la Juventus et à l’AC Milan-, les histoires de match truqué de Parme et les potentiels dépôts de bilan de Cesena et Bari hantent le pays. La non qualification au mondial était un signal d’alarme déjà important, le nouveau titre d’une Juventus à la peine a renforcé cette idée, et l’émergence des vieux démons a finalisé le tout. Malgré l’arrivée de CR7, le football italien n’a jamais été autant face au doute.

Dans un pays aussi amoureux du ballon rond, le football reflète l’état du la nation. L’Italie n’a jamais été autant dans la tourmente, entre choix d’hommes politiques douteux, mutisme face à la question des migrants et taux de chômage élevé. Car oui, Matteo Salvini semble être un homme politique plus intéressé par les déclarations médiatique chocs et par l’idée d’aller porter la poisse à la France plutôt que par le fait d’accueillir quelques migrants ou de régler les 32% de jeunes italiens au chômage. Le problème est plus profond, les fondations de l’Italie ont été détruites. Les piliers d’une nation portent un nom, et ça s’appelle l’éducation. La jeunesse italienne est perdue et pense à l’envers. « En Italie, quand les gens ne réussissent pas, ils se disent « le problème, c’est l’Italie », personne ne se dit « le problème c’est moi » » explique parfaitement le rappeur Sfera Ebbasta. L’enfant de Cini remet en cause la réflexion de chaque Italien de la meilleure des manières. « Le problème vient toujours d’un autre, c’est lui, c’est le climat, c’est ma mère » conclue Sferra. Ce « lui » ressemble aujourd’hui aux migrants ou aux étrangers qui ont volé le travail des jeunes italiens d’après l’opinion publique.

Plutôt que de mettre les sujets essentiels sur la table pour trouver des solutions, l’Italie ne rêve que des débuts de Cristiano Ronaldo pour oublier volontairement la situation alarmante. Mais d’autres n’oublient pas les travailleurs d’en bas, ceux qui font avancer le pays depuis de nombreuses décennies, les employés de l’usine. Le Piémont comme la grande majorité des autres régions d’Italie ont vu Fiat s’implanter partout. Ces usines qui voient des pères de famille se casser le dos pour pouvoir payer un maillot de Dybala et un abonnement à leurs fils en plus d’une miche de pain en guise de repas. Ces employés et tifosi de la Juve ont vécu l’arrivée de Cristiano Ronaldo comme une trahison. Enième coup de couteau dans le dos. Car ces gens voient la Juventus et donc indirectement Fiat investir à nouveau 100 millions sur un joueur de football. Une situation pesante pour les travailleurs qui ont vu leur pouvoir d’achat baisser de 10,7% en 10 ans et n’ont pas vu leurs salaires augmenter pour autant. Logiquement, une grève a été effectuée pour protester contre la venue de Cristiano. Qu’on ne se méprenne pas, le Portugais n’est pas visé, c’est bien Fiat, le groupe Fiat Chrysler, le groupe Exor, actionnaire majoritaire de la marque italienne et John Elkann qui sont visés. Ces pères et mères de famille se battent pour leurs droits et pour qu’on ait enfin le sens des priorités au pays. Car oui le football est un vecteur de société extraordinaire, mais il nourrit les souvenirs, pas les bouches. Et l’Italie doit s’en souvenir dans sa reconstruction, ce n’est pas Cristiano Ronaldo qui fera que Cesena et Bari pourront se sauver, ni que le jeune italien lambda retrouvera du travail. Mais c’est plutôt Fiat et ses 5 milliards de chiffres d’affaires net par an et Matteo Salvini qui doivent trouver des idées pour redresser la botte.

 

Photo credits : Mauro Ujetto / NurPhoto

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« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois.»