Antoine Griezmann et le chuchotement de son gourou

Lors de l’Euro 2016, Antoine Griezmann s’était montré au moment où l’on avait besoin de lui. Sans sa présence, la France n’aurait probablement pas atteint la finale. Et pourtant, comme pour la Ligue des champions quelques semaines plus tôt, le dénouement est similaire : un déchirement. Une blessure qui va rester ouverte de longues semaines, de longs mois. Une profonde coupure qui va pourtant finir par se colmater, deux ans plus tard. Ses deux finales, le Mâconnais les a gagnées. Et cela s’est fait au travers de deux tournois durant lesquels il a été capable de briller tout en se mettant au service du collectif.

Le collectif c’est d’ailleurs ce qui définit bien le joueur, lui qui est capable de donner sa vie sur le terrain uniquement pour voir les siens triompher, quelle que soit la manière. Si son Atletico, mais surtout celui de Diego Simeone, a remporté une Europa League qui lui était promise face à l’Olympique de Marseille, la Coupe du monde est une autre catégorie. Chaque trophée compte, chaque ligne d’un palmarès est importante. Pourtant, certaines victoires valent plus que d’autres. Et c’est à ce moment-là que la coupe en or massif entre en jeu, elle qui est prisée par tous les footballeurs. Il s’agit d’un objectif, plus ou moins défini, mais certainement ultime. Une fois que l’on a gagné le graal en représentant son pays, il s’avère dramatiquement délicat de faire mieux.

Cet objectif-là était sans doute dans la tête de chaque joueur, mais surtout ceux en partance pour la Russie. Eux sont partis en mission, avec les images déchirantes de 2016 en tête. Cet été, tout semblait plus ou moins différent. Puisqu’en plus de son talent, la bande à Deschamps a embarqué des leaders, des hommes qui se sont nourris de la souffrance. Comme Antoine Griezmann, lui qui en connaît un rayon en souffrance et en abnégation tout simplement parce que cela représente l’ADN du club où il évolue depuis quatre années maintenant. Avec son gourou, il a appris, il a souffert. Et bien que difficile, cela n’en reste pas moins gratifiant. Le sale travail n’est pas moins honteux qu’un autre et le leader français le sait pertinemment, lui qui n’a que faire de l’esthétisme.

D’abord poussif, celui qui n’est autre que la pierre angulaire du jeu de Deschamps monte ensuite en puissance, tout en restant dans l’ombre sans pour autant se faire oublier. Un jeu paradoxal mais d’une efficacité redoutable parfois difficile à saisir. Quand on a eu le plus besoin de lui, il est sorti sous la lumière. Sous une tunique française, ayant parfois des reflets Rojiblancos, le joueur a fait ce pourquoi il semble être né. Il s’est choisi un rôle qui lui a été enseigné par son maître argentin. Et pourtant, pour une vaste partie du public, il gâche son talent puisqu’un offensif n’est pas supposé exécuter les tâches ingrates comme il le fait. Comme si le sport n’avait qu’une seule et unique facette. Ceci dit, cela semble être le cadet de ses problèmes, lui qui s’amuse à répéter ses gammes. Il contrôle, lance les offensives, oriente, tacle, dégage en touche quand l’orage guette. Un travail de l’ombre ô combien important. Il est partout et nulle part en même temps, insaisissable.

Contre l’Uruguay, ce qui est sans doute le tournant français, Griezmann fait face à une formation qu’il connaît probablement par cœur. Il applique alors à la perfection ce qu’il a appris avec Cholo. Il le fait si bien qu’il entraîne les autres dans son sillage. Et c’est bien là que la France se mue en animal froid et redoutable. Avec le numéro 7 pour cerveau. La bête attaque une fois, elle met sa proie à terre et retourne dans l’ombre, en silence, sans jamais céder aux assauts des autres prédateurs étant eux-aussi affamés. Mais la bête française a toujours plus faim et son cerveau est toujours plus habile, plus rusé, plus fort.

 

Simeone celebra con Griezmann su gol al Levante. / Fernando Alvarado (EFE)

 

Griezmann fait alors ce qu’il aime, il prend du plaisir. Et il ne s’en cache pas, lui qui fait l’apologie de ce style abrupt et chirurgical dès qu’il en a l’occasion. Un style qui va d’ailleurs déteindre sur ses coéquipiers puisque la France s’est établie comme une vraie forteresse au fil des rencontres. Une tour imprenable où chaque soldat n’a pas pensé une seule seconde à sa vie, mais uniquement à défendre ce qui était en sa possession. Et avec pour seul objectif le graal, cette coupe dorée qui fait entrer les joueurs dans un panthéon étoilé.

Lors de la finale cette forteresse s’est pourtant trouvée fragilisée, comme si ses fondations s’étaient soudainement retrouvées au cœur d’une terre marécageuse. Toutefois, son cerveau était encore là, avec une soif de victoire insatiable. Son gourou lui murmurant à l’oreille, il s’est acharné à œuvrer pour ce qu’il avait entrepris il y a plusieurs semaines de cela. Pour son équipe, il s’est encore une fois mis minable, il s’est tué à la tâche jusqu’à ce que cela finisse par payer. Et cela a été le cas. Lui qui restera dans les mémoires comme le meilleur joueur de cette finale a déployé sa panoplie, il a révélé son jeu marqué du choloismo au monde entier. Il l’a martelé pendant toute la durée du match comme si la planète football n’était pas encore au fait qu’il a été bâti pour ce style fait de souffrance, de sueur et d’acharnement. Un rôle qui lui correspond merveilleusement bien. Finalement, rencontrer le maitre argentin était la meilleure chose qui pouvait arriver au joueur français, encore un peu plus marqué par un esprit sud-américain.

La conquête de la bête n’est sans doute pas terminée. Elle a peut-être touché le graal avec sa nation, mais elle rêve encore de le faire avec son autre famille, pour remercier de la plus belle des manières son gourou. L’Atletico de Madrid veut voir son rêve devenir réalité, lassé d’avoir la tête dans les nuages. Et le Français meurt d’envie de se parer une nouvelle fois d’or. Alors il va encore une fois préparer les soldats. Se nourrissant des précédentes défaites, ils finiront sans doute par parachever leur œuvre teintée de sueur et de sang. Comme la France de Griezmann l’a si bien fait sous le ciel menaçant de Moscou.

Et c’est Diego Simeone qui le dit le mieux « La derrota es para los perdedores. Para nosotros fue sólo una pausa en el éxito. »

Crédit photo : JORGE GUERRERO / AFP

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Parle d'Allemagne et de Bundesliga, et c'est à peu près tout.