[Interview] Philippe Genin : « Le jeu a énormément changé en Italie »

Lorsqu’il débuta à la télévision, Moise Kean, Lautaro Martinez et Gianluigi Donnarumma n’étaient pas encore nés. 23 ans de Série A plus tard, Philippe Genin est considéré comme la référence du championnat italien depuis deux décennies. Celui qui conte magnifiquement chaque derby de la Lanterna ou de la Madonnina depuis sept ans sur les antennes de beIN Sport s’est prêté au jeu de l’interview. Balayage total du prochain exercice à venir avec la voix officielle de la Série A.

Nouvelle saison, quels arguments donneriez-vous à une personne qui ne suit pas le foot italien pour suivre ce championnat ? Et les joueurs à suivre ?

P. Genin : Déjà, il ne faut pas écouter les mauvaises langues, il y a eu beaucoup de bashing Italie, bashing Série A. Le championnat a connu un déclin logique en partie à cause de la crise qui a touché l’Italie ces dernières années, une crise que l’on a pas vécu de la même manière en France. J’invite les gens à comprendre que depuis quatre ans, une équipe comme la Juventus fait deux finales de  Ligue des champions, que le Napoli et la Fiorentina ont fait demi-finale d’Europa League. Ça fait 3 ans que la Série A est sur la pente ascendante, si on regarde le nombre de buts par journée, on tourne à 27 buts par journée. De plus, on voit de plus en plus de jeunes joueurs de qualités, notamment à l’Atalanta. Et puis aujourd’hui, on a une figure de proue comme Cristiano Ronaldo qui va changer totalement le regard des gens sur le championnat, on ne parlera plus que de la Liga, que du Real et de Barcelone dorénavant.

Un des principaux aspects qui empêche l’amateur de football de suivre avec attention la Série A est la réalisation. Ensuite la vétusté des stades, l’habillage visuel du championnat un peu vieillissant complète le tout, est-ce que tout ceci n’est pas un frein considérable au développement international du championnat ? 

P.G. : (il coupe). Sur la réalisation, c’est beaucoup mieux depuis que Sky a les droits du championnat quand même. C’est ma vingt-troisième saison sur la Série A, c’est le jour et la nuit maintenant, il y a eu énormément de progrès, c’est à souligner. Après évidemment, les stades sont vieillissants. l’Italie a loupé le coche en n’organisant pas d’Euro qui aurait pu permettre de rénover ou construire de nouveaux stades. Malheureusement, c’était la grosse crise économique en Italie, on en revient à cela. Et quand tu vois le Juventus Stadium, la Dacia Arena de l’Udinese, les rénovations à San Siro, San Paolo, la volonté chez la Fiorentina de construire un nouveau stade, tout le monde a compris qu’il fallait avoir un stade moderne avant de construire une équipe.

La grande satisfaction de cet été dans la planète série A, c’est de voir le championnat retrouver une certaine attractivité. La Roma et l’Inter notamment ont réussi à chiper des joueurs courtisés dans les quatre coins de l’Europe et ont tenté de rapatrier des très gros poissons. Est-ce que la Série A est enfin de retour?

P.G. : Déjà ce qu’il est important de noter, c’est que ces équipes là ont gardé leurs joueurs importants et conservent une grosse ossature. C’est merveilleux de voir la Roma rapatrier Javier Pastore, voir des jeunes joueurs comme Justin Kluivert choisir la Louve. Il y a une vraie intelligence dans la politique de Monchi, c’est exceptionnel ce qu’il est entrain de faire depuis son arrivée. Après l’Inter, on peut dire « enfin ». J’espère qu’ils signeront Modrić, ça serait un autre signe très fort. L’équipe est très forte, ils étaient encore loin du titre la saison passée mais on peut espérer qu’ils se rapprocheront du Scudetto.

Est-ce qu’après un tel recrutement de la part des gros, on peut enfin dire que la Série A est de retour et qu’on peut enfin la mettre au même niveau que les autres championnats?

P.G. : Déjà, c’est bien au dessus de la Bundesliga depuis trois ou quatre saisons. Le jeu a énormément changé en Italie, je trouve très agaçant qu’on continue à se moquer sur les 0-0 qu’on a en Italie en avançant avec conviction que c’était un match nul. Il y a aussi des 0-0 exceptionnel en  Série A. Le championnat est à sa place, le fait aussi que des jeunes entraîneurs italiens en place a changé le jeu. On a gardé le fait de savoir défendre parce que défendre fait partie du football et c’est aussi un art, on l’a vu avec l’équipe de France à la coupe du monde. La plupart du temps, ceux qui critiquent la Série A ne regardent pas les matchs. C’est systématique, on va critiquer sur des a priori, sur des « on dit » alors qu’on ne regarde pas. Il faut se faire sa propre impression.

On parlait de la nouvelle génération de coachs. l’an dernier, il y a eu Eusebio Di Francesco, Simone Inzaghi, Massimo Oddo à l’Udinese. Cette saison, il y a Pippo Inzaghi qui entraîne Bologne, quelle part a cette génération dans le renouveau de la Série A?

P.G. : Elle est importante. Ces garçons là ont eu des locomotives qui se nomment Carlo Ancelotti, Massimiliano Allegri ou Antonio Conte, des entraîneurs qui ont connu des belles carrières et des palmarès importants. Certains ont même entrainé ces joueurs-là donc ils ont énormément appris à leurs cotés. Ils ont eu un enseignement avant d’ensuite imposer leurs styles. La Lazio était géniale à voir jouer par exemple. Le plus plaisant dans cette évolution, c’est la volonté des équipes dès le coup d’envoi de marquer, elles ne sont plus dans l’attente comme c’était le cas il y a quelques années. Pour l’anecdote, j’ai discuté avec Mehdi Benatia juste avant le match entre Naples quand la Juve devait s’échapper pour gagner le titre. Et dans la causerie d’avant-match, Allegri avait énormément appuyé sur le fait que l’équipe devait gagner et ne pas faire match nul même si cela les arrangeait aussi. Il fallait prendre trois points à tout prix, quoiqu’il arrive et ils ont gagné ce match au final. C’est intéressant de mettre en lumière cet aspect.

L’arrivée de Cristiano Ronaldo à la Juventus a été un véritable boom que ce soit en Italie ou en Europe, est-ce qu’on a déjà vu un transfert aussi médiatique dans l’histoire de la série A?

P.G. : Disons qu’il y en a eu mais on ne les a pas pris de la même façon. Aussi, il faut prendre le fait que cela fait longtemps que ce n’est pas arrivé. Qui plus est nous sommes face à un quintuple Ballon d’or. Pour moi, c’est le meilleur joueur. Que ce soit dans la mentalité, dans le jeu ou dans le risque. Ce garçon a brillé à Manchester, au Real et va briller à la Juve. C’est une « pression » pour lui parce qu’il arrive dans un nouveau championnat et qu’il va être attendu dans tous les stades.

De l’autre coté, les Bianconeri ont fait revenir Leonardo Bonucci en échange de Mattia Caldara. Pendant longtemps, la Juve a fait étalage de son « insititution » afin de justifier sa vente pour au final trahir ce principe. Est-ce qu’elle ne s’est pas mis en danger en agissant ainsi?

P.G. : Je dirais plutôt non parce que la Juventus n’est pas le genre de club à faire n’importe quoi. Bonucci revient avec des conditions, il sait pertinemment que s’il y a un souci, il ira sur le banc ou en tribune. Il a eu des discussions avec Chiellini et Allegri, je pense que ce retour est important. Après par contre, avec les Tifosi ça risque d’être plus compliqué. On sait que le transfert à Milan n’a pas plu. Là il revient, il faut voir comment cela va se passer avec lui.

Malgré l’arrivée de nombreuses recrues d’envergure en série A, un joueur a quitté l’Italie : Jorginho. La perte de l’Italo-Brésilien qui a rejoint son mentor à Chelsea est considérable. Quelles peuvent être les répercussions d’un tel départ sur le Napoli ?

P.G. : Je suis déçu que le Napoli ne l’ait pas gardé. Nous ne sommes pas au coeur des discussions, c’est un joueur dont on parle peu mais qui est d’une très grande efficacité. C’est une des grosses interrogations côté Naples. Après bien sûr, il y avait une volonté de changement mais d’un autre côté, l’effectif n’a pas énormément bougé. Offensivement, tous les joueurs de la saison dernière sont encore au club et c’est déjà important. Il y a une ossature qui n’a pas été démembrée, mais il reste un cas à régler, c’est celui d’aller chercher une pointure.

Carlo Ancelotti d’ailleurs qui est revenu en Italie pour un des plus grands défis de sa carrière. Est-ce qu’on peut espérer voir Carletto surperformer comme l’a fait Sarri avant lui ? Ou bien cela peut exploser en plein vol ? 

P.G. : C’est toujours le risque mais c’est un homme de défi Ancelotti. Quand il accepte cela, il sait pertinemment où il met les pieds. Naples sort de trois saisons exceptionnelles en ayant tutoyé le scudetto. C’est à lui d’imposer son style, d’apporter un peu de sérénité dans la ferveur napolitaine. Oui il y a un risque pour lui après on verra comment cela va fonctionner. On a vu que contre Liverpool, ça s’était très mal passé mais on ne va pas s’arrêter sur des matchs de préparation. On verra rapidement face à la Lazio.

Lors de la saison 2016-2017, l’Italie ne parlait que d’Andrea Belotti. Aujourd’hui, le capitaine du Toro fait moins les gros titres. On dit souvent que les médias italiens surestiment/surmédiatisent beaucoup et vite les jeunes joueurs, peut-on dire que le cas Belotti en est le parfait exemple?

P.G. : Oui, mais après Belotti a été perturbé par les fameux 100 millions que demandait le président Cairo pour un potentiel transfert. En plus de cela, il a été blessé par pas mal de petits trucs compliqués. Mais cela fait partie de sa phase d’apprentissage. Cette saison on peut espérer que Belotti revienne au top.

Les sélections italiennes ont passé un été assez paradoxal. La Nazionale n’a pas pris part à la Coupe du monde en Russie mais de l’autre côté, les U19 ont réussi l’exploit d’aller jusqu’en finale de l’Euro avec Moise Kean comme star. Est-ce que l’avenir de la Squadra Azzurra s’annonce radieux?

P.G. : Je pense qu’il faut déjà trouver une stabilité, Mancini peut réussir à ce niveau. La nouvelle génération pointe le bout de son nez et il faudra s’appuyer là-dessus mais surtout, ne pas laisser les jeunes talents partir à l’étranger. Ce qui me fait plaisir, c’est que les clubs soient de plus en plus attentifs sur eux, on veut garder les jeunes. Il vaut mieux les conserver pour les faire grandir, s’aguerrir et maintenant quand tu vois un joueur comme Ronaldo qui arrive, tu as plus envie de rester en Italie pour pouvoir jouer avec ou contre lui. C’est important, on ne s’en rend pas compte. Quand Cristiano vient dans ton championnat, tu as une grosse figure de proue qui peut engendrer tellement de choses.

La saison dernière, la Lazio a surpris tout le monde en terminant à la cinquième place du championnat et en quart de finale de l’Europa League mais a surtout terminé meilleure attaque du championnat à la surprise générale. Quelle équipe pourrait suivre le sillage des Biancocelesti pour ce nouvel exercice ?

P.G. : Je dirais le Milan parce que le club est entrain de retrouver une stabilité à sa tête, quand on voit qu’ils font revenir Leonardo et surtout Maldini, qui va apporter de l’expérience à tous les joueurs. Personnellement, le groupe me plaît. Il manquait un bomber, ils l’ont avec Higuaín. Offensivement, ça peut être sympa. Reste Donnarumma, j’espère qu’il a digéré son histoire de transfert avec Raiola. Je mettrais bien une pièce sur le Milan.

Si Phillipe Genin avait  une machine à remonter le temps, quelles équipes de Série A aurait-il aimé commenter sur beIN Sports?

P.G. : Ah c’est chaud (il réfléchit). L’armada du Milan avec Shevchenko bien-sûr. La belle Roma avec Totti, Delvecchio, Montella c’était fabuleux et la Juventus de Zizou, Conte, c’était une partie de ma carrière aussi.

 

Merci à Philippe Genin pour sa disponibilité et d’avoir accepté de répondre à cet entretien. 

Crédit photo : Beinsport.

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« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois.»