C’est l’histoire d’un cheval surdoué dont la propriété était partagée entre le plus grand entraîneur de Manchester United et son actionnaire majoritaire. L’histoire d’un cheval tellement surdoué que plus personne ne voulait laisser ses droits à l’autre et que tous les coups bas étaient autorisés pour gagner la guerre qui s’était engagée. Un cheval surdoué dont le talent aura fait beaucoup de perdant et aura mené Manchester United à son propre rachat par la famille Glazer…
Nous sommes en 1997, au Festival de Cheltenham, l’une de plus grandes réunions de courses de chevaux en Grande-Bretagne. C’est là que ce sont rencontrés Alex Ferguson, pas encore Sir, et John Magnier, riche propriétaire irlandais, habitué des places boursières et des hippodromes. Tous les deux ont des choses à se dire. D’un côté, Magnier ne connaît pas grand-chose au football mais apprécie son potentiel financier, de l’autre Ferguson est passionné de chevaux mais peine à gagner des courses avec les modestes poulains qu’il a acquis. Alors le chemin des deux hommes se resserrent petit à petit. En 2001, John Magnier et son fond d’investissement Cubic Expression deviennent propriétaire de 6,77% des parts de Manchester United. Puis comme Ferguson et Magnier s’entendent bien, le riche irlandais fait un cadeau au glorieux écossais : un pur-sang de deux ans dont le talent dépassera ce que les deux hommes pouvaient imaginer au début : le fameux Rock of Gibraltar. En réalité, la propriété du cheval est partagée entre Ferguson et Sue Magnier, la femme de John pour laquelle l’étalon avait déjà couru deux courses. Nouveau propriétaire, nouvelles couleurs. Rock of Gibraltar et son jockey rouge comme Manchester commence à galoper dans les plus grands trophées du monde. Une année plus tard, la bête est élue cheval de l’année.
Il y aura eu en tout sept victoires, sept victoires de rang au cours d’une seule année. Un succès dont l’écurie de John Magnier nommée Coolmore détient le secret. Car Rock of Gibraltar n’est pas le seul cheval glorieux de Magnier. Au total, Coolmore possède près de 150 chevaux qui comptent dans l’ensemble plusieurs centaines de victoires sur les trophées les plus prestigieux du monde. Et ses chevaux, Magnier y tient. Il faut dire que cela rapporte beaucoup d’argent. D’une part l’argent des trophées mais aussi l’argent qui provient des saillies. Celle de Rock of Gibraltar coûte 132 000€ en 2002. De quoi donner envie de regarder à qui appartient vraiment ce cheval. Sauf que sur le papier, le nom d’Alexander Chapman Ferguson n’apparaît nulle part. Magnier confirme : Ferguson a le droit a une saillie par an mais il n’a jamais été question de co-propriété. D’ailleurs, Ferguson n’a jamais participé aux frais liés aux entraînements et à l’entretien du canasson, donc il n’y a pas de raison qu’il possède une quelconque part de l’animal.
Sir Alex Ferguson l’avait déjà montré au bord du terrain mais il a le sang chaud. Alors quand il apprend l’entourloupe menée par Magnier, il voit rouge et porte plainte devant la cour de Dublin. Il porte plainte contre son patron. Et dans ces histoires-là, ce sont souvent les plus riches qui gagnent. La preuve, Magnier a décidé de faire pression sur Ferguson en rachetant de nouvelles parts de Manchester United. Il passe de 6% à 10 puis 24, 25 et finalement 28,89% devenant ainsi le principal actionnaire du club. En Angleterre, le monde du foot s’affole et plus personne ne donne longtemps à Fergie à la tête des Red Devils. Mais ce n’est pas tout, Magnier a décidé de s’attaquer à ce qu’Alex avait de plus cher : sa famille. En mettant en lumière l’implication de l’agent Jason Ferguson, le fils du coach, dans le transfert de John Howard vers Manchester United, l’actionnaire principal du club montre que le système de transfert manque de transparence à Manchester. Il établit alors une liste de 99 questions auxquelles la direction devait répondre sous peine de se faire éliminer du club. Résultat : Jason Ferguson arrête sa carrière d’agent sportif.
Il n’y a qu’une seule chose que Magnier n’avait pas calculé : la force de l’amour des supporters pour leur club et pour leur coach. En janvier 2004, la maison du riche irlandais est retrouvée taguée d’un éloquent « Fuck you, Magnier ! ». Pas besoin de chercher le coupable, ils sont des millions. Des millions de supporters qui ont trouvé dans Fergie le coach qui leur a ramené la joie, des millions de supporters pour qui le football passe bien avant toutes ces histoires d’argent, des millions de supporters dont la force du cri et du sentiment est bien plus forte que la force d’un quelconque billet.
Finalement, ce ne fut pas la seule défaite de Ferguson mais au contraire une victoire. Une victoire parce que Magnier a donné 2,5 millions de livres à Ferguson en dédommagement. Une victoire, aussi parce que Magnier et son fond d’investissement s’en sont allés, recherchant un repreneur très rapidement, presque trop (Manchester United a failli se faire racheter par l’ancien dirigeant libyen Kadhafi) avant que la riche famille américaine Glazer ne reprenne les choses en main.
S’il n’y a qu’une leçon à retenir de cette histoire c’est qu’entre 1986 et 2013, les gens, même les plus vicieux, passaient mais Ferguson, lui, restait.
Crédit Photo : Ben Stansall / AFP.