Avec l’avènement du sport business et de la starification des sportifs, l’intérêt des marques est devenu grandissant depuis plus de vingt ans. En parallèle du métier d’agent sportif (négociation d’un contrat entre un club et l’athlète) s’est développé celui d’agent d’image, celui qui fait fructifier les contrats en dehors des terrains. Agent d’image de Raphaël Varane, Kévin Gameiro ou encore Alphonse Areola, Frank Hocquemiller, nous parle de son activité de l’ombre et décrypte le football business.
Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter votre agence, VIP Consulting ?
Depuis 2002, nous gérons l’image des personnes célèbres dans le monde du sport et du showbiz. Nous commercialisons les droits d’images de ces personnes auprès des marques et des annonceurs qui veulent organiser des événements, des campagnes de publicités, des posts sur les réseaux sociaux, etc. Nous sommes l’intermédiaire entre les parties, ce qui nous permet de prendre un pourcentage (entre 13 et 30 %) sur les contrats que nous faisons signer. On est parfois mandatés par la personnalité et parfois par la marque. Ils peuvent nous demander d’aller chercher des personnalités en particulier ou tel profil par rapport aux objectifs et au budget de la marque.
Y a-t-il des spécificités dans la gestion de l’image d’un footballeur ?
Le monde du sport est un monde rapide, donc les sportifs ont une carrière « bankable » alors qu’un artiste par exemple, peut faire 40-50 ans de carrière. Les deals et la façon de travailler ne sont pas forcément les mêmes mais les objectifs sont similaires : il faut essayer d’en tirer le plus de profit possible. C’est un travail quotidien avec plein de paramètres à gérer comme la photo, la e-réputation, la presse, les interviews, les réseaux sociaux, etc. C’est un travail que nous « offrons » car les personnalités ne nous payent pas pour faire cela. En revanche, dès qu’un contrat est signé, c’est là que nous prenons une rémunération. La personnalité ne prend pas de risque financier, car dans le pire des cas elle ne trouvera pas de contrats mais jamais elle n’aura dépensé quoi que ce soit.
De combien de joueurs vous occupez-vous ?
Si on ne parle que de football, nous nous occupons d’une trentaine de joueurs. Nous avons à peu près 300 contrats avec des personnalités. Mais il y a des contrats plus légers notamment avec des consultants qui ont leur carrière derrière eux et qui vont plutôt nous demander des contrats « event ». Contrairement aux joueurs de l’Équipe de France par exemple, qui vont préférer des contrats publicitaires. Notre valeur ajoutée, c’est de faire du sur-mesure en collant le plus possible aux envies de toutes les parties tout en étant rentable. Souvent, on va passer deux ans à façonner une image et ce sera seulement deux ans plus tard que nous prendrons notre première commission si nous avons trouvé un contrat. Il n’y a aucune garantie de retour sur investissement. Et c’est là tout l’enjeu de trouver une personnalité assez mature pour qu’un deal puisse être gagnant-gagnant.
Dans la sphère médiatique, on voit souvent les joueurs entourés de leur famille, les membres de leur club, leur agent… Mais pas leur agent d’image. Peut-on parler d’un métier de l’ombre ?
Exactement, mais je pense que c’est plutôt une bonne chose. C’est vrai que l’image prend de plus en plus d’importance. Si on prend des cas extrêmes comme Neymar, Messi et Ronaldo : ce sont des joueurs qui gagnent davantage d’argent grâce à leur image plutôt qu’avec leur salaire en club. Cela veut quand même dire que si vous êtes au top de la performance, l’image que vous renvoyez est plus importante que le côté sportif. Il nous arrive régulièrement d’avoir des demandes de joueurs qui ne sont pas chez nous, mais les marques s’en remettent à nous car nous sommes des spécialistes de l’image depuis bientôt 17 ans.
L’exemple le plus marquant est sans doute David Beckham au PSG ; peut-on dire aujourd’hui qu’un club achète un joueur en partie pour sa marque ?
Oui mais là on parle d’une poignée de joueurs, ils sont très peu. Beckham au PSG c’était clairement ça. Neymar aussi même s’ils l’ont principalement acheté pour ses performances. C’est une alchimie entre les deux et comme le PSG veut devenir une marque internationale, ils se reposent sur des joueurs très « bankable » à l’étranger. À performance égale, un club ira logiquement vers le joueur le plus attractif qui va lui permettre de vendre un maximum de maillots, de faire venir un maximum de spectateurs, de faire des produits dérivés ou de faire du merchandising.
Vous parlez de joueurs de niveaux équivalents… Dans ces cas-là est-il plus simple de gérer l’image d’un joueur très médiatisé (donc très voire trop exposé) ou d’un joueur très peu médiatisé (peut-être pas assez pour son niveau) ?
C’est une question difficile. Moi, j’ai toujours dit que c’était plus compliqué d’être l’agent d’image, ou sportif d’ailleurs, d’un joueur lambda plutôt que d’une star. Il faut le vendre tous les jours car les annonceurs ne le connaissent pas. Ce qui est compliqué avec un joueur qui est au sommet, c’est de gérer son égo, son nombre de sollicitations, le planning et les exigences car elles vont aussi avec la notoriété du joueur.
Est-ce qu’il existe des manières différentes de gérer l’image des joueurs en fonction des postes occupés ? On peut penser aux attaquants qui sont plus exposés aux critiques…
Il n’y a pas de manière différente mais par contre les sollicitations que vous aurez et le montant des contrats dépend du poste dans le football. Il est clair que les attaquants, il y en a peu, sont les plus « bankable ». À performance égale, si vous prenez un Français qui a gagné la Ligue des champions, un attaquant aura plus de sollicitations qu’un défenseur. C’est presque normal car les enfants dans les magasins, ils vont vouloir les crampons du buteur, pas du défenseur. Les marques ne sont donc pas là que pour se faire plaisir, elles sont là pour vendre. Le sentiment d’appartenance et d’identification se fait plus facilement sur les buteurs. Quand on regarde un résumé de match à la télé, on vous montre les buts, rarement les arrêts et jamais les tacles des défenseurs. Tout cela est proportionnel avec l’image et la médiatisation. C’est parfois un peu compliqué de l’expliquer car quand vous avez un défenseur qui a gagné quatre fois la Ligue des Champions et qu’il a moins de contrats qu’un attaquant, on se pose des questions. Mais c’est logique finalement. Mbappé est un bon exemple. Il est champion du monde et il y a énormément de Français qui ont un bien meilleur palmarès que lui mais ils sont moins en vogue car ils ne sont pas attaquants et ne jouent pas au PSG.
Vous qui vous occupez de Raphaël Varane, est-ce que les titres des saisons précédentes et surtout la Coupe du monde ont changé votre manière de vous occuper de lui ?
On va voir car c’est en cours de discussion. Il est possible qu’il reprenne ses affaires avec sa famille donc je ne peux pas totalement répondre. Quand vous êtes champion du monde et que vous avez gagné quatre Ligues des champions, vous devriez être en pôle position sur les contrats de sponsoring. Mais c’est encore un peu trop tôt car l’effet « Coupe du monde » au niveau sponsoring n’a pas été immédiat. Après c’était les vacances, pour les marques il faut s’occuper de la rentrée, on s’occupe ensuite des budgets. C’est à partir de noël jusqu’à fin 2019 que l’on va véritablement voir si les annonceurs ont envie de mettre en scène les footballeurs. Il n’y a pas de compétition majeure pendant cette période à part peut-être la ligue des champions. En tout cas nous venons de faire des contrats tels que Areola-JBL. On a des propositions pour Lucas Hernandez. Il y a pas mal de dossiers qui sont en cours.
Pourquoi y a-t-il si peu d’icônes françaises par rapport à nos voisins espagnols, italiens ou allemands ?
On se rapproche de plus en plus depuis quelques années tout de même. La Coupe du monde pourrait inverser la tendance. Quand j’ai créé l’agence il y a 17 ans, nous n’avions aucune concurrence. Il y en avait une dizaine en Angleterre. Aujourd’hui on est bien une dizaine d’agences en France. Les choses évoluent, on tend vers un modèle anglo-saxon mais toujours avec des années de retard, comme beaucoup d’autres domaines. Si on est si peu nombreux c’est qu’il y a très peu de joueurs qui peuvent prétendre à obtenir des gros contrats régulièrement. Tous sports confondus, il n’y a qu’une trentaine de sportifs d’envergure exceptionnelle.
On a tendance à surmédiatiser les très bons joueurs pour les rendre plus « bankable » à l’image de Paul Pogba, mais n’est-ce pas dangereux dans le sens où on les expose beaucoup plus aux critiques ?
Bien sûr. Je trouve que l’on a été sévère avec Paul, parfois à raison pour être honnête. Il avait parfois une nonchalance qui pouvait énerver par rapport à ce qu’il est capable de faire mais lors de cette Coupe du monde, il a très bien répondu à la presse et sur le terrain. On en fait beaucoup aussi autour de Mbappé, il va forcément être exposé aux critiques quand il sera moins bon, il l’a d’ailleurs été un peu pendant le mondial. Il avait pris un peu la « mouche ». Ce sont des choses qu’il faut que les joueurs comprennent : on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
Des jeunes joueurs comme Kylian Mbappé semblent constamment sur la retenue dans les médias, un mot n’étant jamais plus haut que l’autre. Est-ce un enjeu nouveau dans votre métier d’encadrer des prodiges qui se révèlent de plus en plus jeunes ?
C’est vrai mais il n’est pas le seul. Il a vraiment tout pour être un phénomène, il l’a prouvé avec le Mondial. Mais quand je lis la presse ou certaines déclarations, je trouve que l’on va très vite et il ne faut pas qu’il se brûle les ailes. On a un joyau absolument incroyable et il faut le préserver. Il faut lui rappeler de ne pas trop en faire, mais je pense qu’il le sait déjà.
Au même moment, des joueurs comme Kanté ou Modrić sont moins intéressants publicitairement parlant, comme ils sont dans l’ombre, mais ne récoltent aucune critique négative et sont aimés de tous. Où se situe le juste milieu entre l’image auprès des sponsors et auprès des fans ?
Je trouve que ces joueurs sont très humbles alors qu’ils ont un niveau énorme. Ils mettent toujours le collectif en priorité. Actuellement, il y a un déséquilibre très important qui se fait par rapport à leur traitement et leur sollicitation. Mais se pose la question : est-ce qu’un Modrić est assez vendeur ? Cela dit je trouve cela dommage que les annonceurs ne s’intéressent pas plus à des joueurs comme lui. Kanté est un autre très bon exemple, même si j’ai trouvé que ses performances ont été considérées à sa juste valeur. C’est plus par rapport aux annonceurs qu’il y a une injustice car à part Adidas, il n’y a pas de partenaires. Mais est-ce que le joueur cherche vraiment ça ? Est-ce qu’il en a envie et est-ce qu’il le ferait bien ? Je ne suis pas sûr. Il y a aussi des joueurs qui sont faits pour cela et d’autres non. Certains qui cherchent la lumière et d’autres veulent être un peu plus discrets car c’est comme ça qu’ils sont meilleurs. Il faut arriver à trouver un juste milieu et ce qui correspond au joueur. Je ne suis jamais dans la construction d’un personnage, je ne dis jamais à un joueur qu’il devrait faire ceci ou cela. Non, nous partons de l’image du joueur puis nous essayons de l’optimiser.
Quel est votre rôle sur la communication d’un joueur sur les réseaux sociaux ?
Il est important mais ce sont les joueurs qui postent. Nous nous occupons d’un planning de publications en fonction des contrats, mais pour tout le reste, ce sont eux qui ont la main. Nous sommes là pour les aider et nous faisons quand même attention. Par exemple, il peut se passer quelque chose dans le monde et on peut leur faire des suggestions mais après ce sont les joueurs qui décident. Nous avons des groupes de travail via Whatsapp avec le joueur et son agent sportif. Quand il faut poster un message important nous débattons tous ensemble jusqu’à ce que tout le monde soit d’accord.
Pour prendre l’exemple de l’affaire Serge Aurier où il avait critiqué Laurent Blanc (son entraîneur au PSG) sur Périscope. Est-ce qu’avec un agent d’image, une telle erreur aurait pu être évitée ?
Avec nous ça ne serait pas arrivé (rires). Je ne sais même pas comment cela a pu arriver. Cette erreur a affaibli l’institution du club et a eu des incidences sur les résultats. Il y a aussi eu d’autres erreurs comme plus récemment avec la communication de Rabiot lors de sa non-sélection pour le mondial. Quand il se passe des situations comme celles-ci, c’est un bon argument pour mieux expliquer à quoi l’on peut servir pour un joueur.
Qu’avez-vous pensé de la récente dérive d’Hugo Lloris (condamné à une suspension de permis pour conduite en état d’ivresse) ?
D’autres avant lui ont déjà commis cette erreur. Comme on dit « l’erreur est humaine ». Ce n’est pas rien certes, mais je trouve que le jugement a été assez sévère. C’est regrettable et je trouve qu’il a très bien réagi en s’excusant et en assumant les faits. Il a été parfait dans sa communication.
Est-ce envisageable qu’un joueur puisse être engagé politiquement ? Aux États-Unis, on pense à Colin Kaepernick qui a plié le genou pendant l’hymne pour signifier son opposition aux comportements policiers face aux noirs-américains, un engagement fort dans le football serait envisageable selon vous ?
Pour moi, c’est à exclure. La politique n’a rien à voir avec le sport. Je n’ai jamais eu un joueur sous contrat qui a voulu le faire. Il ne faut pas mélanger les deux car c’est clivant, ça ne peut qu’amener des divisions car il y aura toujours des fans du joueur qui seront pour et d’autres contre son opinion politique.
Un grand merci à Frank Hocquemiller d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
Crédit photo : Lionel Bonaventure / AFP.