Jardim, l’idiot utile du grand capital

Avec l’annonce de son départ de l’AS Monaco, c’est une supposée belle histoire du championnat de France qui s’en va avec Leonardo Jardim. Pourquoi supposée? Parce qu’en réalité, l’entraîneur a été la marionnette d’intérêts financiers qui le dépassent. Retour sur le parcours monégasque du Portugais.

D’après notre très cher Wikitionnaire, l’expression idiot utile signifie “personne, souvent perçue comme naïve, et qui, qu’elle en ait conscience ou non, sert les intérêts d’une faction politique, d’un groupe d’influence, d’un gouvernement ou d’un État hostile, d’un mouvement terroriste, etc., en promouvant et en diffusant leurs idées ou leur propagande aux dépens de ses propres intérêts.” Rassurons par avance nos lecteurs : cette expression n’est définitivement attribuable à aucun bord politique.

Pareille qualification sied parfaitement, en ce jour, à Leonardo Jardim. L’histoire s’annonçait pourtant si belle. Parti de nulle part et arrivé avec un anonymat total dans le championnat français, José Leonardo Nunes Alves Sousa Jardim – c’est son nom complet – avait pourtant alors eu la lourde charge de remplacer un Claudio Ranieri sur le départ.

Plus qu’un simple changement d’entraîneur, c’est un changement de philosophie qui s’annonçait à l’AS Monaco. Le faste de l’été 2013 n’avait été qu’un songe et aux prestigieux James Rodriguez et Radamel Falcao succédèrent les inconnus d’alors Tiémoué Bakayoko et Bernardo Silva.

Le projet s’annonçait simple et excitant. On a pu espérer voir un Borussia Dortmund bis – et un bon, n’en déplaise à un certain Vincent L. – se présenter en Ligue 1. Des jeunes qui s’épanouissent ensemble, un projet qui se monte au fur et à mesure et une équipe compétitive au bout de deux ou trois saisons, après tout, pourquoi pas ?

Avec cet effectif jeune et inexpérimenté, Jardim s’adapte. Peu importe l’affluence d’un Louis II digne d’une division 3 grecque, le Portugais n’a pas le temps de procéder à des essais grandeur nature. Les résultats doivent être rapides et clinquants.

Leonardo fait immédiatement ce qu’il fait de mieux : courber l’échine et bosser. Il opte pour un style rapidement décrié mais extrêmement efficace, c’est-à-dire celui d’une défense extrêmement basse et d’un milieu solide. Sous ses ordres, Aymen Abdennour se révèle être un roc. Le club, lui, termine à une belle troisième place en Championnat et échoue en quart de finale de la Ligue des Champions, éliminé par la Juventus d’un seul but (1-0, 0-0) tout en ayant balayé Arsenal en huitièmes.

Vint alors le mercato d’été 2015, comme un funeste présage des suivants. Partirent Kondogbia, Berbatov, Yannick Ferreira Carrasco, Aymen Abdennour, Anthony Martial et Radamel Falcao (en prêt, de nouveau). Toutes ces signatures ne furent comblées que par l’apport – le seul réellement notable – d’un certain Thomas Lemar.

Nous laissons à notre humble spectateur le soin de deviner ce qu’a fait Leonardo Jardim avec le départ de cinq de ses cadres. Un indice : la même chose que ceux qui oublient la vis 3 qui maintient le socle du meuble Groujeök.

Le miracle perdure. Si les résultats européens sont forcément moindres, avec une élimination en barrage de Ligue des Champions puis en poules d’Europa League, l’essentiel est assuré en Championnat, avec une troisième place. Précisons que le seul buteur monégasque était le grand (par la taille) Lacina Traoré.

Passons de nouveau au mercato d’été suivant. Cette fois, l’ASM décide, après la difficulté de la saison précédente – comme ne l’attestent pas les résultats en Championnat – d’être ambitieux. Leonardo Jardim, lui, avait été fortement contesté par ses supporters. C’est vrai quoi, ce gros nul de Portugais qui ne sait pas faire d’énormes résultats alors qu’il perd toute sa colonne vertébrale chaque été, il est vraiment incompétent!

Radamel Falcao décide de redevenir un joueur de football et reste à l’ASM. À ses côtés vinrent Benjamin Mendy et Kamil Glik. Presque aucun départ notable n’est à relever, si ce n’est celui de Jérémy Toulalan.

Bizarre. Jardim peut enfin travailler dans la continuité avec ses joueurs sans risquer de perdre 90% de son effectif pour des considérations exclusivement financières? Mince alors. Qu’est-ce que ça va donner?

C’est simple. Demi-finaliste et finaliste de la Coupe de France et de la Coupe de la Ligue, n’en étant éliminé que par le Paris Saint Germain et parce qu’ils avaient un trop grand nombre de matchs à jouer pour la taille de leur effectif. Demi-finale de Ligue des Champions, éliminés par l’expérience de la bête noire Juventus de Turin. Champion de France avec 30 victoires, 5 nuls et 3 défaites mais surtout 107 buts pour, soit près de 3 buts par match (!!).

On a surpris le sympathique Jardim espérer mieux. Ayant enfin pu enseigner un football de qualité à des jeunes qu’il eut enfin le temps de réellement former, ses résultats furent tout bonnement hallucinants. Les crétins d’observateurs que nous sommes ont pu alors espérer que les dirigeants monégasques tireraient les leçons de ces résultats et tâcheraient de limiter la casse au mercato suivant.

Car certes, et évidemment, il n’a pas échappé à l’oeil averti qu’un club comme l’ASM a des résultats financiers limités de par la taille de son stade. Il ne faut cependant pas être naïf pour autant. L’AS Monaco n’a pas les mêmes contraintes fiscales que ses camarades du Championnat de France et dispose de finances extrêmement saines (grâce à l’action de Rybolovlev, il est vrai). Il ne faut donc pas être prêt à avaler les couleuvres du père Vasilyev qui vient, une larme à l’oeil, regretter chaque été que la survie de l’ASM ne dépende à ce point de ses ventes.

Raymond Aron le répétait hier encore, l’histoire est tragique. Les artisans du titre s’en allèrent et furent remplacés par d’énièmes paris, toujours plus jeunes, toujours moins expérimentés. Les résultats, eux, furent toujours aussi exigeants. Étonnamment, ils furent moins bons, et le coupable était tout trouvé : l’entraîneur. Bossuet et son “Dieu se rit bien de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes” n’a jamais sonné aussi vrai.

C’est ce calvaire qu’a eu à vivre, chaque été, Leonardo Jardim. Cette cupidité sans cesse grandissante de ses dirigeants, toujours plus avides de profit, de rentabilité, de marge. « Remplaçons nos titulaires par une dizaine de joueurs achetés 10 millions d’euros après tout ! Il y en aura bien un qui va faire sensation ! Et puis de toute façon, si notre projet foire, on aura bien l’idiot utile qui nous servira de fusible!« 

Et c’est ainsi que le portugais, brave couillon comme disait Charles de Gaulle d’un certain Marcel Barbu, a une nouvelle fois joué les faire-valoir de ses dirigeants. Le projet entier ne dépendait que de lui. Les joueurs, arrivés par wagons, n’espéraient de Monaco que la seule formation prodiguée par le technicien chauve avant de s’en aller dans un club ambitieux, un vrai.

Alors certes, d’aucuns argueront que Jardim y a trouvé son compte et n’a pas crié son mal-être à qui veut l’entendre. Pourtant, et malgré tout, on ne peut que s’apitoyer sur le sort d’un des meilleurs entraîneurs que la Ligue 1 n’ait eu ces vingt dernières années. Aujourd’hui, plus qu’hier et moins que demain, le ballon rond est à genoux face au grand capital et sa logique effrénée.

Crédits photos : VALERY HACHE / AFP

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