Ce devait être une grande fête, un cadeau venu de nulle part, une histoire à écrire. Ce River Plate – Boca Juniors était ce que la Copa Libertadores pouvait nous offrir de mieux, le « match du siècle », le paroxysme d’une rivalité cristallisée dans une finale continentale. Mais l’histoire est tragique. Et le football argentin blessé dans sa chair. Hier soir, un Superclásico qui promettait d’être dans les plus beaux de l’histoire a tourné au drame. Et certains l’ont regardé sans en prendre conscience.
Ils étaient près de 50 000 à s’amasser dans les travées. 50 000 à chanter et sauter dans un stade qui peine à encaisser les chocs de l’ambiance. Le sol tremble. Dans les cabines de commentateurs, les écrans vacillent. Nous sommes à la Bombonera, un simple jour d’entraînement. Mais les supporters ne s’y trompent pas. Le rendez-vous est historique. Deux jours plus tard, leur équipe affrontera le rival de toujours dans une finale déjà épique par son match aller, reporté à cause des intempéries qui s’étaient abattues sur Buenos Aires. Peut-être était-ce déjà là un avertissement que la foudre allait frapper si l’on ne faisait pas attention.
Mais pour l’heure, on croit, optimiste ou naïf, que tout se passera bien, que ce match est déjà simplement entré dans l’histoire. On est tellement optimiste que Mauricio Macri, le président argentin et ancien président de Boca Juniors, pensent que des supporters visiteurs pourront venir assister au match, chose qui n’existe plus en Argentine depuis de nombreuses années. Les présidents de Boca et de River l’ont vite calmé. Que se serait-il passé ?
Les supporters sont saufs mais les joueurs n’ont échappé à rien. Leur bus a été mené dans la foule ennemie, les vitres sont caillassées, les éclats de verre heurtent les yeux des joueurs, la police dégaine les balles en caoutchouc et les gaz moutarde. Les joueurs entrent finalement au stade, blessés pour certains, pris de vomissement pour d’autres, tous énervés.
Derrière cette attaque, il se murmure que se cachent (plus ou moins discrètement) la barra brava de River, ce groupe de supporters mafieux et criminels. Au domicile de certains de ses membres ont été saisies des millions de pesos et des faux billets pour le match. Un match où certains supporters n’ont pas pu entrer parce que leurs places avaient été prises.
Très vite, sur les réseaux sociaux, les images sont dévoilées. Celles des bousculades et des émeutes hors du stade, celles aussi de ces joueurs de Boca qui peinent à respirer dans leur vestiaire, pris à la gorge par les gaz moutarde, celle enfin du capitaine de Boca Juniors, Pablo Perez, l’œil recouvert d’un pansement. Il ne pourra pas jouer ce soir lors du report. Au stade, aucune information ne circule officiellement mais tout le monde est sur son téléphone, tout le monde découvre les images, tout le monde comprend ce qui se passe hors du stade, à défaut d’une action dans le stade.
Cette action dans le stade, ce match si attendu, les autorités y croient encore. La CONMEBOL en premier lieu, la FIFA aussi par la voix de Gianni Infantino. Car en Argentine, il n’y a pas d’autres lois que celles de l’absurdité et de la corruption. Alejandro Dominguez, le président de la CONMEBOL l’affirme : le match se jouera. Gianni Infantino a fait le voyage pour y assister, Mauricio Macri a pris congé de son rôle de Président pendant deux jours pour y assister. Le match doit se jouer.
Heureusement, il reste les clubs. Boca et River se mettent d’accord pour ne pas entrer sur le terrain. La décence et la raison semble avoir encore un espace de vie dans ce capharnaüm. C’était sans compter sur le président de Boca qui émit l’hypothèse de faire une requête pour gagner le match sur tapis vert. Finalement, il n’en sera rien.
Reste que ce soir se jouera une finale historique, tragiquement historique parce qu’elle est le témoin des plaies qui rongent encore le football et plus largement la société argentine. Ce match ne sera pas la grande fête promise parce que quel que soit le résultat, les têtes seront basses, les regards tristes et les souvenirs amers.
On ne sait pas quelle postérité ce match aura, on ne sait pas s’il a mis en lumière les failles des autorités, la prégnance des groupes mafieux, la bêtise des fédérations. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que le football est blessé et qu’il sortira perdant de ce rendez-vous. Ce que l’on sait, c’est que ce River – Boca était un drame argentin.
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