Le Vicente-Calderón, un monument en phase terminale

Un an et demi après son abandon, le Vicente-Calderón, l’enceinte dans laquelle l’Atlético Madrid est installé depuis 1966 sera détruite. Ce sont plus de 50 ans d’histoire, d’émotion et de défense à onze qui partiront très bientôt en poussière.

Dans la langue espagnole, certains mots sont plus compliqués que d’autres à prononcer. Il y a « pelirrojo », « otorrinolaringología » ou encore « sonrojado ». Ça, c’est pour les Français qui débarquent à Madrid avec leurs restes de la classe de seconde. Le 22 mai 2017, c’est un autre mot que les aficionados de l’Atlético n’ont pu, au mieux, que bredouiller : Adiós. Pire, le même soir, il a fallu le sortir à deux reprises. La première, pour Tiago, qui partait à la retraite. Le Portugais a quitté la pelouse les joues mouillées sous une ovation tonitruante descendue des gradins. La deuxième, pour le Vicente-Calderón, qui accueillait l’Atlético Madrid, son Atlético Madrid, pour la dernière fois de son histoire. Lorsque les deux équipes sont entrées sur le terrain accompagnées de la chanson de Joaquin Sabina « Motivos de un sentimiento », écrite en 2003 en hommage au club, tout le monde était parfaitement conscient de la teneur de l’événement.

Au coup d’envoi de ce match si particulier face à l’Athletic Bilbao (3-1), l’ambiance était déjà électrique. Après le troisième coup de sifflet de Javier Estrada Fernandez, plus personne ne voulait s’en aller. Rarement on a ressenti aussi palpable émotion. Plus tard, deux autres rencontres ont été disputées dans cette enceinte : la finale de la Copa del Rey, remportée par le Barça contre Alavés (3-0), puis une exhibition entre les joueurs historiques de l’Atlético et des légendes du football mondial. Une despedida en grande pompe pour fêter une ultime fois le Vicente-Calderón.

Lieu de naissance du carré magique

Diego Simeone, personnage emblématique du club, n’était pas de la partie, mais il aurait largement pu rejoindre les autres Colchoneros face aux Ronaldinho, Higuita et autres Clarence Seedorf. « Il est clair qu’en tant que footballeur et entraîneur, le Calderón a été un endroit qui restera dans l’histoire de ma vie », admettait-il en conférence de presse avant le match contre Bilbao. D’ailleurs, tous ceux qui y sont passés ont été marqués par ce stade. Grégory Coupet n’y est resté qu’un an (saison 2008-2009), mais ne lésine pas sur les superlatifs : « C’était génial, que du bonheur. J’ai découvert un club fantastique, avec des personnes extraordinaires et une atmosphère que ne j’oublierai jamais. »

L’actuel entraîneur des gardiens à l’OL avait été frappé, le 26 novembre 2008, par un match de Ligue des champions, à huis clos, face au PSV Eindhoven. « On dit que c’est quand quelqu’un n’est plus là qu’on remarque vraiment son absence. Là, c’était triste, se marre-t-il. C’était criard comme il y avait un manque incroyable. L’Atlético sans ses supporters, c’est terrible… » En rembobinant encore plus loin, jusqu’à la Coupe du monde 1982, Bernard Genghini rappelle même que ce stade a été d’une importance fondamentale dans l’Histoire du football… français. « Même si, plus tard, Luis Fernandez a pris ma place, c’est sur ce terrain-là, contre l’Irlande du Nord (4-1 pour les Bleus), qu’est né le premier carré magique, avec Platini, Giresse, Tigana et moi, se souvient l’unique buteur du match précédent, sur coup-franc, contre l’Autriche, déjà au Calderon. Par la suite, avec ou sans moi, l’Équipe de France a toujours joué avec quatre milieux de terrain. »

Ambiance chaude dans un stade glacé

Il faut dire que le Calderón est spécial. Il ne ressemble à aucun autre. « L’architecture fait que c’est un stade atypique, ajoute Coupet. Il y a une proximité assez incroyable avec les supporters. Certes, il est un peu vétuste, mais ce n’est pas un stade banal. Il y a même une route (le périphérique M-30) qui passe sous la tribune… » Autre particularité, moins amusante : le froid. Si l’ambiance est aussi bouillante dans les travées, c’est peut-être pour combattre les températures glaciales qui y rodent. « Je me rappelle d’un Atlético-Racing Santander il y a quelques années, à la mi-décembre, raconte David, fidèle supporter des Rojiblancos. Je n’ai jamais eu un aussi gros rhume de ma vie. Je portais une polaire et un T-shirt thermique sous mon manteau, mais le froid les a percés. »

La rivière Manzanares qui coule juste à côté est pointée du doigt pour cet inconvénient, mais n’a jamais empêché les aficionados de se ruer chaque semaine au Vicente-Calderón. Ni même les abonnés de venir récupérer le siège sur lequel ils étaient assis, accompagné d’un certificat d’authenticité, le 2 juillet dernier. Le club de West Ham avait déjà mis en place quelque chose de similaire lorsqu’il a quitté Upton Park en 2017. L’opération a évité d’envoyer plus de 70 tonnes de plastique à la décharge de Madrid. Les 24 000 supporters qui ont répondu présent sont rentrés chez eux avec un morceau d’histoire.

Luis Aragones, à jamais le premier

Une histoire qui commence le 2 octobre 1966. L’Atlético Madrid reçoit le Valence CF pour le compte de la quatrième journée de Liga. C’est le premier match à domicile de la saison pour les madrilènes. Mais l’événement du jour, c’est l’inauguration de sa nouvelle forteresse, l’Estadio Manzanares, du nom de la fameuse rivière qui fait trembler le thermomètre. Ce jour-là, devant 62 000 supporters – les règles de sécurité n’étant pas ce qu’elles sont aujourd’hui -, c’est Luis Aragones qui inscrit le premier but de l’histoire du stade. Ce n’est qu’en 1972, pour célébrer sa première rénovation et à l’occasion d’une rencontre entre l’Espagne et l’Uruguay (2-0), que l’enceinte est officiellement renommée Vicente-Calderón. Il s’agit d’un hommage au président qui est resté 21 ans à la tête du club, de 1964 à 1980 puis de 1982 à sa mort, en 1987. Un record de longévité. Mais voilà, ce qui faisait le charme de ce monument vieillissant est devenu problématique et, l’été dernier, les Colchoneros ont posé leurs valises au Wanda Metropolitano, fort de ses 70 000 places, soit 15 000 de plus. Ils ont cédé le Calderón à la ville de Madrid.

Démoli après Noël

Dix ans plus tôt, déjà, un accord avait été signé entre le club et la mairie pour détruire l’arène mythique et la déplacer ailleurs. Beaucoup d’aficionados avaient protesté et le plan était tombé à l’eau. Cette fois, il aboutira. Rita Maestre, la porte-parole de la municipalité de Madrid, a confirmé en conférence de presse que le stade sera détruit. De nouveaux logements et des espaces verts seront installés à la place, dans le cadre du projet d’urbanisation du quartier Mahou-Calderón. Celui-ci s’exécutera en trois étapes qui s’étaleront sur 34 mois et coûteront 42,2 millions d’euros au total. La première, qui commencera après Noël, entre fin décembre et début janvier, consiste à démolir le Vicente-Calderón. Seule la tribune située au-dessus de la M-30 obtiendra un peu de sursis avant de rejoindre les autres au paradis des tribunes, en attendant qu’une déviation soit mise en place.

« C’est dommage que ça se termine, mais bon… Moi je n’ai pas d’a priori par rapport à ça, assure Grégory Coupet. J’ai connu le stade d’Arsenal (Highbury, démoli en 2006), maintenant, c’est complètement autre chose. C’est l’évolution actuelle qui veut ça. » Quel que soit la langue, « farewell », pour les Gunners, ou « adiós », chez les Colchoneros, dire « adieu » représente une épreuve. Mais elle ne dure qu’un jour. Bientôt, la douleur sera éternelle pour les fans de l’Atlético. Pour évoquer le Vicente-Calderon, il faudra conjuguer à l’imparfait.

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