En Angleterre, le Boxing Day est une tradition à laquelle tous les supporters des clubs britanniques sont viscéralement attachés. Depuis le 26 décembre 1860, date du premier match interclubs de l’histoire du football entre Sheffield FC et Hallam FC, toutes les équipes du Royaume jouent le lendemain de Noël. Mais à l’heure des matchs tous les trois jours, de la modernité et de l’uniformisation culturelle du football, la tradition d’outre-Manche a-t-elle encore sa place ?
Une tradition qui ne plaît pas à tout le monde
Assister à un match de son équipe de cœur le lendemain de Noël, c’est un nouveau cadeau uniquement offert aux fans du championnat anglais (et italiens depuis peu). Chaque année, les stades sont remplis, avec des taux d’affluence records. Les familles se réunissent au stade, sous le regard des bienveillants pères Noël qui, eux aussi, assistent aux matchs. Demandez à un anglais ce que lui inspire l’idée de la suppression du Boxing Day. L’accueil risque d’être glacial. Longtemps, la question ne s’est jamais posée. Les matchs le 26 décembre ont toujours existé, dès le début de la First Division, en 1888. Jusqu’aux années 50, les clubs jouaient aussi le 25, mais peu à peu, le jour de Noël est devenu férié et uniquement consacré à la famille. Mais l’ouverture de la Premier League aux coachs étrangers à partir de la fin des années 90 a lancé un réel débat. On reproche aux trois matchs du Boxing Day de se rajouter au rythme effréné du calendrier anglais et toutes ses spécificités (notamment les replays en Cup).
Depuis quelques années, les coachs en conférence de presse ne prennent plus de gants pour s’attaquer à la tradition anglaise. « Vous avez trop de matches, c’est certain, avait râlé Jürgen Klopp en décembre 2015, deux mois à peine après son arrivée à Liverpool. Vous n’avez pas de pause, trop de compétitions. Je pense que tout le monde sait que cela n’est pas la meilleure façon d’obtenir des succès (en coupes d’Europe, n.d.l.r). » Le coach de Manchester City, Pep Guardiola, était encore plus virulent en janvier dernier : « Quand on voit le nombre de joueurs blessés sur les dernières semaines… On est en train de tuer les joueurs. Ceux qui sont en charge doivent se pencher là-dessus : il est anormal de jouer le 31 décembre et le 2 janvier. (…) Vous ne pouvez pas jouer à midi un match dur à Crystal Palace, faire le jour de l’An, rejouer le 2 janvier… »
« C’est la chose la plus diabolique de leur culture. »
Lorsqu’il entraînait Manchester United (2014-2016), Louis van Gaal évoquait le même problème pour expliquer les mauvais résultats anglais des dernières années. « C’est la chose la plus diabolique de leur culture. Ce n’est pas bon pour le football anglais, pour les clubs ni l’équipe nationale. L’Angleterre n’a rien gagné depuis combien d’années ? Parce qu’ils sont épuisés à la fin de la saison. » Alors supprimer le Boxing Day, une solution magique ? Jouer en fin d’année n’a pas empêché les clubs anglais de régner sur l’Europe, avec quatre titres sur les vingt dernières éditions (mais aucun titre depuis le sacre de Chelsea en 2012). L’intensité de la Premier League et la multiplication des grands rendez-vous entre clubs du big 6 est, en réalité, plus épuisant que le calendrier resserré des clubs anglais. Et la disette britannique sur la scène internationale (depuis 1966) ne s’explique pas par quelques matchs supplémentaires, mais ces arguments dont pourtant mouche parmi les acteurs du football.
Car les entraîneurs ne sont pas les seuls à s’opposer au Boxing Day. Les joueurs restent souvent silencieux sur le sujet, tenus par leurs obligations, mais certains n’en pensent pas moins. Ils sont parfois privés de leur famille pour Noël, à cause des mises au vert et des entraînements de veille de match. Stéphane Henchoz, l’ancien défenseur suisse de Liverpool (1999-2005) expliquait il y a quelques jours au journal Le Temps : « Je n’aimais pas beaucoup le Boxing Day lorsque j’étais joueur. (…) Il y a le fait de jouer à Noël et il y a le fait de ne pas faire de trêve. (…) Un professionnel est suffisamment entraîné et suivi pour tenir physiquement toute une saison. Mentalement, c’est autre chose. Une semaine de pause peut paraître courte mais elle suffit pour couper un peu avec le foot et recharger les accus. » Mais l’ancien international l’avoue volontiers aujourd’hui, il est nostalgique de cette époque et de l’ambiance particulière qui règne dans les stades ces 26 décembre.
Le Boxing Day, une journée lucrative
Mais si la fédération anglaise n’est jamais intervenue à ce sujet, ce n’est pas tellement pour protéger la tradition, mais plutôt la poule aux yeux d’or. Car le Boxing Day rapporte. Depuis le début du siècle, le travail de Rupert Murdoch, le célèbre magnat anglais de la télévision Sky, a permis de valoriser le produit Premier League et de lui octroyer le titre distinctif et plus ou moins subjectif de « meilleur championnat du monde ». Une image de marque, valorisée par l’exception culturelle britannique du Boxing Day. Chaque année, au lendemain de Noël, des millions et les millions de téléspectateurs dans le monde entier sont prêts à consommer du football – et la Premier League est ce jour-là seule (à l’exception de la Serie A qui a réinstauré les matchs le 26 après près d’un demi-siècle d’absence). Les audiences explosent, les diffuseurs se frottent les mains.
Les stades aussi rapportent plus qu’à l’accoutumée ; les taux d’affluence frôlent les 100% et la consommation à l’intérieur des arènes augmente de 5 à 15% par rapport à la normale. Le Boxing Day est devenu un véritable spectacle, non plus réservé comme avant à la classe ouvrière, mais plutôt à une classe moyenne avide de football, prête à se payer un abonnement TV ou à investir une somme conséquente pour aller au stade, dans un pays où le prix d’une place est le plus cher au monde. Forcément, la fédération est réticente à toucher au Boxing Day. Mais face à la grogne des joueurs et des entraîneurs, elle a dû consentir à créer, dès la saison prochaine, une trêve de dix jours en février. Un véritable bouleversement dans le calendrier anglais, nécessaire pour préserver la tradition. Car le Boxing Day fait partie de Noël, et comme Noël, il ne disparaîtra jamais.