Marcelo Bielsa, une catharsis pour expier le Spygate

La nouvelle est tombée hier aux alentours de 16h. Marcelo Bielsa convoque officiellement la presse pour une conférence inopinée, le soir même, à propos du Spygate. Et quand Bielsa convoque la presse, le monde du football retient son souffle. Bon, le monde, peut-être pas. Mais tout Leeds a tremblé, durant deux heures, dans l’attente et l’incompréhension.

Mais revenons à l’origine de l’affaire. Jeudi dernier, la veille du match opposant Leeds au Derby County de Franck Lampard, un homme est interpellé aux alentours du centre d’entrainement des Rams. Rapidement, l’info sort : il s’agit d’un membre du staff de Marcelo Bielsa, venu espionner le huis clos adverse avant la rencontre prévue le vendredi soir, en prime time.

La nouvelle provoque un tollé, Lampard s’agace en conférence de presse, parle de tricherie tant et si bien que Bielsa, en avant-match, réagit en interview. Oui, l’homme interpellé est bien un de ses adjoints. Oui, il assume l’entière responsabilité de cette tentative d’espionnage. Non, le club n’était pas au courant. Place au match.

La rencontre verra Leeds prendre facilement le pas sur son adversaire du soir (victoire 2-0), sans être inquiété de toute la rencontre. Une deuxième victoire de Bielsa contre Lampard après la claque administrée en début de saison (1-4). Après le match, Lampard ne décolère pas malgré l’aveu d’impuissance face à son adversaire du soir. Bielsa se justifie : pas d’excuses, il n’a violé aucune règle. Pire, l’espionnage est, chez lui, une constante depuis qu’il est à la tête de l’Argentine.  Il tempère malgré tout, comprenant que certains actes peuvent blesser et promet de se ranger derrière les mœurs anglaises en matière d’analyse de l’adversaire. Il réitère, cette affaire est la sienne, c’est sa responsabilité et il assumera les sanctions. Le club communique, s’excuse publiquement auprès du club adverse et parle des valeurs auxquelles Bielsa devra se conformer en tant que coach de l’institution Leeds.

Les jours passent et le scandale prend du poids en Angleterre. La Ligue Anglaise de Football (EFL) s’empare du dossier et ne s’exonère pas d’éventuelles sanctions. La Fédération anglaise, elle aussi, ouvre une enquête.

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Retour à l’après-midi d’hier. Un après-midi assez tranquille pour le monde du football, dans un mercato hivernal peu agité. La bombe tombe : Bielsa convoque la presse. Objet de la réunion : le Spygate. Dès lors, et connaissant le bonhomme, toute la planète football s’inquiète. Démission ? Pas démission ? Chacun y va de sa petite théorie et en une poignée de minutes, tous les regards se tournent vers la troisième ville d’Angleterre, actuelle première de D2 Anglaise.

Il est 18h05 quand Marcelo Bielsa arrive en conférence de presse, avec une partie de son staff. Il n’y a alors plus assez de défibrillateur pour réanimer tous les Leedsiens en apnée depuis plus de deux heures. La bombe tombe : pas de démission, mais une présentation PowerPoint. On ne savait alors pas que celle-ci serait plus épique que celles proposées par le start-upper de la Canebière.

« Je vous ai convoqué aujourd’hui pour ne pas impacter avec le Spygate la conférence de presse prévue demain, qui sera, elle, uniquement consacrée au match contre Stoke. » Le ton est donné par un Marcelo Bielsa visiblement ému et touché par la situation. « Mon comportement a fait l’objet d’un débat et de nombreuses personnes ont émis un avis. Beaucoup ont condamné cet acte. On m’a dit publiquement que mon comportement ne respectait pas les principes et l’intégrité qui sont à la base du club. »

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Bielsa enchaîne, disant vouloir aider la Ligue dans son enquête. Il rappelle qu’il n’est pas dans l’illégalité mais souhaite témoigner sa bonne foi, montrer à tous qu’il n’avait pas de mauvaises intentions et qu’il ne souhaitait pas en tirer un avantage sportif. L’exposé de l’élève Bielsa commence alors.

Durant plus d’une heure, Marcelo Bielsa détaillera aux journalistes présents et aux caméras l’ensemble de ses documents d’analyse. Il présentera en détail sa méthode, en prenant l’exemple de son dernier adversaire, Derby County. Durant plus de quarante minutes, Bielsa détaillera chaque élément du club coaché par Lampard, une analyse faite après un visionnage de l’ensemble des matchs de Derby ces deux dernières années, soit plus de 80 rencontres. Un journaliste présent dans la salle choisira alors un match, au hasard. Le PowerPoint laisse afficher toutes les données d’analyse : composition, changements, zoom sur les phases offensives, sur les coups de pied arrêtés. Tout y passe. « Je ne suis pas capable de parler anglais, mais je peux vous parler des 24 équipes composant le Championship. » La punchline résonnera longtemps, surtout si son équipe parvient à atteindre les deux premières places synonymes de montée directe en Premier League.

« Pourquoi je vous montre ça ? Pour montrer à tout le monde comment nous analysons nos adversaires. Je n’ai pas besoin d’aller à une séance d’entraînement d’avant-match. Pourquoi y aller ? Parce que ce n’est pas contre les règles et je ne savais pas que cela causerait un tel problème. C’est en partie à cause de mon anxiété. »

Ce serait donc ça, l’explication du Spygate. Un besoin maladif d’essayer de tout contrôler, de tout savoir, d’éliminer la moindre petite parcelle de doute afin de s’approcher, dans les idées, de la tactique et des schémas parfaits pour accéder à la victoire.

Bielsa continue, parle de son Bilbao et d’une rencontre l’opposant à son élève, Pep Guardiola. Après le match, les deux coachs discutent. Bielsa montre à Guardiola les documents relatifs à l’analyse du Barça, ce à quoi le coach catalan répondra : « Tu connais mieux mon équipe que je ne la connais. » Le score final ? « J’avais beau avoir tous ces éléments en ma possession, nous avons pris trois buts », lâchera, rieur, Bielsa devant un parterre de journalistes hilares.

Bielsa conclura en parlant de Stoke, son prochain adversaire, et de son tout nouveau coach, Nathan Jones. « Pour le prochain match contre Stoke, c’est délicat. Nathan Jones vient d’arriver, il n’a coaché que trois matchs. Du coup, on a analysé les 26 matchs qu’il a fait à Luton, son ancien club. » Le jusqu’au-boutisme est avéré.

En guise d’ultime phrase, Bielsa déclarera : « Tout ça pour vous dire que je ne gagne aucune information que je n’ai pas lors d’un « espionnage ». Tout ce dont j’ai besoin, je le sais bien avant d’affronter mon adversaire. Pourquoi j’envoie des gens espionner ? C’est parce que je pense que je suis stupide. »

Stupide ou pas, Bielsa a écrit hier une nouvelle page de sa légende. De mémoire, aucun coach n’a, à ce jour, publiquement ouvert ses documents de travail à toute une profession. Par ce geste, Bielsa a renversé une partie de l’opinion publique. Bien sûr, l’espionnage a un côté moralement condamnable. Mais qui peut prétendre, après le visionnage entier de cette conférence de presse, que l’homme pris en flag avec ses jumelles est le responsable de la correction tactique mise à Lampard le lendemain ?

Mais au-delà du contre-pied donné à tous ceux qui pensaient le voir démissionner, Bielsa s’est livré comme rarement, assumant ses failles et sa terrible peur d’échouer, son obsessionnel besoin de savoir s’il est dans la bonne direction. Est-ce l’air du Yorkshire qui semble changer Bielsa, moins obtus dans sa façon d’être comme dans son coaching ? Après tout, qu’importe, la conférence d’hier était un contre-pied parfait à tout ce que ses auditeurs, convertis comme détracteurs, pouvaient penser. Et celui-là était sans analyse préalable.

Crédits photos : Luciano Belford/AGIF

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