Passée assez inaperçue dans les médias sportifs grand public, largement relayée au sein du football amateur, une information s’est toutefois fait remarquer depuis quelques jours : le Red Star Club Montreuil (RSCM) n’a plus payé ses entraîneurs de football depuis presque un an. Décryptage de cette situation à la croisée des chemins entre politique stratégique, politique sportive et politique économique qui, en plus de toucher l’un des clubs de Montreuil, ville de Seine-Saint-Denis de plus de 100 000 habitants, se veut révélatrice de la mauvaise passe qu’est en train de traverser le football amateur français. Une situation qui peut par ailleurs sembler incongrue, invraisemblable au vu de l’actualité du football français : organisation de l’Euro en 2016, victoire lors de la Coupe du Monde 2018 et organisation de la Coupe du Monde féminine cette année.
Une section foot délaissée au profit des sections des autres sports
Il semble tout d’abord important de préciser que la section foot du RSCM dépend du RSCM qui est un club omnisports. Les décisions prises par la direction du club n’impliquant pas forcément la direction de la section foot.
Depuis le mois de mai dernier, les éducateurs sportifs du club de football ne sont donc plus payés (leur salaire varie de 100 à 800€ environ) car le club affirme manquer de trésorerie en raison de la suppression de la plupart des contrats aidés du club (explication ci-après). Néanmoins, ces entraîneurs ont continué de donner des entraînements mais depuis ce mercredi 10 avril, ces coachs ont dit « stop ». Soutenus par l’ensemble de la section foot, joueurs et parents de joueurs les ont accompagnés lors d’une manifestation face à la Mairie de Montreuil ce samedi 13 avril qui a regroupé au total environ 300 personnes.
La raison justifiant cela est le fait que la section foot avance que le club pourrait disposer de plus de ressources pour payer ses entraîneurs. Eric Lacomat, président de la section foot, affirmait effectivement dans les colonnes du Parisien qu’il existait une inégalité entre les sections, certaines ne reversant pas la somme qu’elles devraient au club. Conséquence de cette situation : le président Lacomat a d’ores et déjà annoncé l’indépendance de la section foot vis-à-vis du club à compter de la saison prochaine. Une solution coûteuse sur le court-terme mais possiblement plus viable à long-terme car le partie football du RSCM ne devra rendre de comptes qu’à lui-même.
La baisse du nombre licenciés : l’un des maux du foot français
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, de moins en moins de jeunes sont attirés par le football, ou en tout cas se licencient moins. Il y a cinq mois étaient publiés les fatidiques chiffres du nombre de licences émises et le constat est sans appel : une baisse de plus de 3% entre l’année 2017 et l’année 2018 en France métropolitaine (la même dynamique se poursuit depuis environ 4-5 ans) ; c’est-à-dire une diminution de licenciés de 2 121 559 à 2 061 622 footballeurs. Ce chiffre reste évidemment important d’autant que le football reste le sport le plus pratiqué de France loin devant le handball et ses 550 000 adhérents environ. Cependant, cette baisse entraîne un cercle vicieux difficile à enrayer.
Ce cercle vicieux concerne le prix des licences. Dans le cas du Red Star Montreuil, par exemple, son prix à augmenter de 180 à 230€ sur les cinq dernières années, ce qui est loin d’être négligeable (à noter que les besoins de ce club représentent pas moins de 200 000€ annuels dont 59 000€ sont issus des subventions communales, restent donc plus de 140 000€ à trouver). Le problème à cela est une forme de « gentrification » du foot qui devient de plus en plus difficile d’accès pour les ménages les plus modestes. Ainsi, même si les revenus générés par les licences augmentent dans un premier temps, ceux-ci finissent par s’équilibrer puisque certains joueurs se retrouvent à ne plus pouvoir la payer. Les clubs des quartiers populaires comme le RSCM, conscients de cette situation, permettent donc parfois quelques exceptions afin que tout le monde ait accès au sport. Malgré le fait que cela permette au plus grand nombre d’exercer leur passion, cela peut toutefois générer des problèmes de trésorerie.
Les clubs amateurs : premiers touchés par les politiques de baisse des dépenses publiques
Depuis les années 1980, les gouvernements, de droite ou de gauche, s’accordent sur un point : la baisse des dépenses publiques par la mise en place de la fameuse « austérité ». Ainsi, sous la présidence d’Emmanuel Macron, ces baisses se sont entre autres manifestées par la suppression de plusieurs milliers de contrats aidés, essentiels au football amateur français. Ces contrats sont des contrats de travail classiques mais auxquels l’employeur reçoit une aide financière pour payer l’employé afin de pousser à l’insertion professionnelle. Ces emplois sont essentiellement issus du tissu associatif, largement contributeur des clubs de football amateur et notamment les sections de jeunes (sur la cinquantaine d’équipes du RSCM, une grosse trentaine sont des équipes de jeunes). En faisant passer le nombre de ces contrats de 310 000 à 200 000 et en supprimant 20 000 d’entre eux dans le football, les répercussions sur le football des quartiers et des campagnes se sont avérées extrêmement néfastes. Le Red Star Montreuil en est un exemple puisque si le club a décidé de moins investir dans le football, c’est notamment car les éducateurs anciennement payés par ces contrats ne le sont plus. Le président de l’Association française du football amateur (AFFA), Éric Thomas, parle même de « racket organisé ». Alors qu’Emmanuel Macron vantait lors de son discours post-Coupe du Monde les mérites de la formation à la française, cette mesure handicape radicalement cette même formation.
Le Gouvernement prévoit par la même occasion d’aller plus loin dans la décentralisation du sport français en augmentant les marges de manœuvre des collectivités et notamment des départements. Cette mesure, sur la forme très intéressante car plus appliquée aux territoires, est à nuancer sur le fond. En effet, en donnant plus de place aux collectivités sans leur allouer plus de moyens, on voit difficilement comment celles-ci pourraient remplir correctement leurs prérogatives. L’État se déresponsabilise de la pratique et du développement du sport en France sans véritablement assurer sa succession. Sur l’année 2018, le budget du Ministère des Sports a été réduit de 7%, soit 136 millions d’euros. Cette coupe s’est notamment effectuée au détriment du bloc territorial : le Centre national pour le développement du sport, l’instance qui fait le relais entre les décisions « d’en haut » et les territoires, une des organisations les plus importantes pour le sport français.
Le problème qui touche le Red Star Club Montreuil n’est donc pas seulement lié à ce club amateur du 9-3 mais se veut ancré dans une problématique plus large d’un football amateur français délaissé par la puissance publique. Et ce, à une période où le fossé entre les grands clubs se creuse. C’est dire l’important travail qu’il est nécessaire de réaliser pour mettre fin à ces deux types d’inégalité…
Crédit photo : actufoot.com