Football féminin : À Guingamp, le grand bond en avant ?

Le championnat de D1 Féminines s’est achevé samedi rendant ainsi son verdict pour la section féminine de l’En Avant Guingamp. Septièmes sur douze au classement, l’EAG a vécu une saison moins agitée que la précédente. Rappelez-vous, il y a maintenant plus d’un an, les joueuses de Guingamp exerçaient leur droit de grève. Elles reprochaient alors leurs mauvaises conditions de travail. Après un changement d’entraîneure et le départ de plusieurs joueuses, l’heure est au bilan.

« C’était un cri du coeur, un ras-le-bol. » Entre déplacement en bus, panier-repas à leur charge et vestiaires insalubres, la liste des reproches des joueuses de l’En Avant Guingamp (EAG) était longue et chargée. Des conditions de travail précaires que les footballeuses de D1 ont dénoncé lors d’une grève le 8 février 2018. Un jeudi pas tout à fait comme les autres puisque Corinne Diacre, sélectionneure de l’Équipe de France de football féminine, se rend en Bretagne pour assister à l’entraînement de l’EAG. Problème, les joueuses et le staff font grève.

Motif invoqué ? Un désaccord sur les primes de Coupe de France. Or, le mal serait plus profond. Le groupe reproche au club de mauvaises conditions de travail qui se caractériseraient par un manque de moyen et d’écoute. Le président Bertrand Desplat décide alors de suspendre le groupe pour les 8èmes de finale de Coupe de France du 11 février face à Brest (défaite 3-0 des U19). Une sanction qu’il lève dès le lundi 12 février. Le lendemain, la direction du club reçoit chaque joueuse pour échanger.

« Ces conditions n’étaient pas dignes »

Dans ces divers rendez-vous, est donc évoquée la question des déplacements en bus. « Pour faire Saint-Brieuc-Albi ou Saint-Brieuc-Rodez je vous laisse imaginer que la préparation du match n’était pas optimale… peste une ancienne guingampaise. Aussi, si on partait avant midi le samedi on devait nous-mêmes prendre notre pique-nique. » Sarah M’barek, coach entre 2013 et 2018, surenchérit : « plusieurs fois, j’ai eu des pépins physiques dès les échauffements. Ça nous a aussi coûté en fin de match où on piochait physiquement. »

Autre problème pointé du doigt par les joueuses : les vestiaires. Contrairement à leurs homologues masculins, les joueuses n’avaient pas de terrain d’entrainement approprié. Elles jonglaient entre plusieurs stades municipaux dans le secteur de Saint-Brieuc et non pas de Guingamp. Saint- accueille encore et toujours le siège social de la section féminine quand celui de l’équipe masculine se trouve à Guingamp. Une particularité fruit de l’histoire de la section puisqu’en 2011 l’En Avant Guingamp a repris, absorbé, la section féminine du Stade Briochin.

« On n’avait pas un endroit fixe où on pouvait s’entraîner. On avait ce sentiment de ne pas nous sentir chez nous. Ces conditions n’étaient pas dignes d’une équipe de D1 », raconte Sarah M’Barek. Pire, ces vestiaires étaient parfois loin d’être propres à tel point que les joueuses confessent : « On arrivait déjà changées et on repartait directement chez nous après la session du jour, car les vestiaires étaient sales, il y avait de la terre, etc », se remémore une ex-joueuse.

Problème de communication

Tous ces problèmes-là étaient selon plusieurs joueuses connus des dirigeants. Une troisième joueuse ajoute : « On en parlait entre nous, des choses étaient remontées par les cadres, mais ça ne bougeait pas. On nous a promis des choses, mais on n’en a jamais vu la couleur.» Selon ces mêmes sources, le problème viendrait de la manager Marlène Bouedec à qui elles reprochent de ne pas avoir alerté Bertrand Desplat. Un rôle de relais que Marlène Bouedec était seule à assumer après le départ, pour problèmes de santé, de Gilbert Castel, alors président délégué de la section féminine. Interrogée à ce sujet au coeur de l’automne, la manager concède : « On a pris acte qu’il y avait des choses à améliorer. »

Un problème de communication qui aujourd’hui semble réglé puisqu’au printemps dernier, Frederic Legrand a été intronisé en qualité de président délégué de la section féminine. Il racontait au Télégramme avoir « mis en place d’une réunion mensuelle avec des représentantes des filles ».

Impossible d’en savoir plus à propos de ces réunions, monsieur Legrand n’ayant pas donné suite aux sollicitations. Quoi qu’il en soit, depuis son bureau briochin où trônent fièrement poster et maillot de la section féminine, Marlène Bouedec l’affirme : « Il y a eu un électrochoc des deux côtés. C’est certainement un mal pour un bien. » Reste que cette grève aura tout de même laissé des séquelles dans l’effectif du club puisque pas moins de six joueuses ont quitté le navire à l’été 2018. Parmi elles, la capitaine Marine Pervier pour qui l’épisode est toujours un traumatisme. « Ma tête a été mise à couper. Cette grève m’a coûté ma place dans l’effectif », assure la joueuse du FC Nantes. Avant de raccrocher le téléphone, la milieu de terrain tient tout de même à ajouter « Enfin, c’est tout à l’honneur du club d’avoir réglé les autres problèmes. »

« On n’a plus à se plaindre »

Mais alors concrètement qu’est-ce que cette grève a apporté aux joueuses ? Questionnée à la sortie d’un entraînement ensoleillé de novembre, l’attaquante Faustine Robert détaille : « Maintenant on a des kinés, les déplacements se font en train, on n’a plus de paniers-repas ou alors c’est le club qui les prend en charge. Il faut savoir qu’en début de saison, les primes de Coupe de France ont été renégociées. Honnêtement, on n’a plus à se plaindre. »

Depuis le début de saison, les Costarmoricaines s’entraînent également tous les matins sur la pelouse du stade de l’Europe. Le terrain, situé au nord-est de Saint-Brieuc et fief du club de Régional 1 (équivalent de la 6ème division) de Ginglin-Cesson, est mis à disposition pour les féminines. Elles jouent désormais leurs matchs officiels du côté de l’Akademi, c’est-à-dire sur le terrain du centre de formation flambant neuf à Pabu, près de Guingamp.

Guingamp, l’exemple d’un mal du football féminin

La situation du club décrite plus haut n’est malheureusement pas propre à l’En Avant. «Les déplacements en minibus par exemple c’est une situation répandue dans d’autres clubs de D1 féminine » déplore Dounia Mesli, experte du football féminin et rédactrice le site coeursdefoot.fr. Yann Imine, professeur agrégé en Staps à l’université Paris-Sud, mais aussi spécialiste du football féminin complète : « Il y a des inégalités organisationnelles dans les infrastructures par exemple, de représentativité ou encore économiques. »
C’est un fait, le football féminin souffre d’un manque de moyens. Raison invoquée pour expliquer ce manque d’investissement ? Le manque de rentabilité. Implacable pour des clubs qui sont aujourd’hui de véritables entreprises.

Sur 12 clubs en D1, seuls deux peuvent se targuer d’être professionnels : Lyon et le PSG. « Il y a un championnat à deux vitesses. L’OL donne beaucoup de moyens et ça paye. Il y a une reconnaissance », analyse Dounia Mesli. Aujourd’hui, la plupart des clubs professionnels en France ont lancé leur section féminine; or ils y investissent peu. Si l’on compare les chiffres pour le club de Guingamp, le contraste est saisissant (voir infographie). Le budget de la section masculine (30 millions€) est quarante fois plus important que le budget de la section féminine (entre 500 00 et 750 000€). Idem, le salaire maximum mensuel chez les hommes (80 000€ brut pour Jimmy Briand lors de la saison 2017-2018) est environ cinquante fois supérieur au salaire maximum d’une joueuse de l’équipe féminine (1520€ brut).

Des inégalités immenses qui interrogent Dounia Mesli : « Comment voulez-vous que les joueuses se donnent à fond avec de telles conditions ? Enfin, qui ferait des efforts sans être considéré ? La professionnalisation est en cours, mais elle va se faire sur la durée, au minimum 15 ans. »

À moins que les résultats des Bleues, avec lesquelles évoluent plusieurs Guingampaises dont Julie Debever et Solène Durand, au mondial cet été (7 juin 2019 au 7 juillet 2019 en France) n’accélèrent les choses. Un « effet Coupe du Monde » pour permettre, enfin, un grand bond en avant.

Maxime Oliveira

Crédit photo : eaguingamp.com

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