Grand espoir du football français, Yann M’Vila était indiscutable chez les Bleus au début des années 2010. Avant un incident extra-sportif qui l’a poussé vers l’exil, en Russie. Aujourd’hui, le milieu défensif est redevenu une figure incontournable de Ligue 1 avec Saint-Étienne.
Voix rauque, casquette vissée sur la tête et regard concentré en conférence de presse. «C’est le patron», répond fermement Jean-Louis Gasset à une question sur Yann M’Vila, en mars dernier. Le milieu de terrain a rejoint l’AS Saint-Étienne en janvier 2018, deux mois après le coach. Le coup de foudre est immédiat. M’Vila dispute l’intégralité des 13 dernières rencontres de championnat. La saison suivante, hormis un match et demi manqué (carton rouge + suspension), l’ancien Rennais ne rate que 29 minutes sur 3 240 possibles. «C’est lui qui met le tempo, abonde Gasset. Tout le monde est bon avec lui. Il est toujours bien placé et vous donne des bons ballons. Je trouve que le football est facile avec lui.» La vie, elle, n’a pas toujours été facile pour M’Vila.
Taulier chez les jeunes équipes de France
L’enfance de Yann fut «loin d’être rose», expliquait-il au Parisien en 2010. «Je me souviens d’un jour où on s’est partagé une baguette pour six avec mes cousins, racontait-il. Ma mère ne travaillait pas. Mon père a été policier municipal et travaille dans une usine. Croyez-moi, je suis loin de flamber avec mon argent.» Yann a connu la galère à Amiens, sa ville natale. Mais petit déjà, le football était son échappatoire. Une tradition familiale.
Le papa Jean-Elvis a joué en CFA 2 tandis que Yohan, de deux ans l’aîné de Yann, a également été professionnel. «Yann a le foot dans le sang, avance fièrement le père M’Vila en 2010 à Ouest-France. Lui et son frère ont joué dans l’école de foot que j’ai créée à Amiens, je les ai entraînés jusqu’à l’âge de 15 ans.» Si M’Vila a la tête froide aujourd’hui, il le doit à son père, arrivé en France en 1983 : «Au Congo, j’étais le capitaine d’une équipe, j’affrontais des plus grands que moi. Il fallait s’endurcir, car en Afrique, on joue sur des terrains en terre battue, pieds nus.»
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Ainsi, Yann M’Vila est précoce. Après 5 ans de formation à l’Amiens SC, il débarque au Stade Rennais en 2004. C’est depuis la Bretagne qu’il éprouve la joie des équipes de France des moins de 16, 17, 18 et 19 ans. Il porte même le brassard avec cette dernière et cumule 40 sélections à travers ces groupes, sans compter ses 10 capes en Espoirs. En club, M’Vila connaît des débuts compliqués. Dès son 3e match de Ligue 1, en août 2009, il écope d’un carton rouge suite à un tacle par derrière. De quoi refroidir Frédéric Antonetti sur le temps de jeu de sa jeune pousse ? Sûrement pas.
La descente aux enfers
M’Vila débute 31 des 32 rencontres de Ligue 1 restantes. Sa science du jeu lui vaut d’être présélectionné par Raymond Domenech en vue du Mondial 2010. Ce ne sont alors que les prémices d’un joueur d’exception. En 2010-2011, M’Vila régale. Au point d’intégrer l’équipe-type de Ligue 1, un exploit qu’aucun Rennais n’a accompli depuis. Il devient aussi l’un des hommes de base de l’EDF façon Laurent Blanc. Sur les 10 matches de qualification à l’Euro 2012, le futur Stéphanois en dispute 8 intégralement.
Sauf que le Français, qui va sur ses 22 ans, a déjà entamé une longue descente aux enfers. Son rayonnement sur le terrain s’amenuise. Puis une entorse à la cheville l’handicape lors de l’Euro 2012, qui se solde par un échec cuisant des Bleus en quart de finale face à l’Espagne. Pire : M’Vila est pointé du doigt pour son attitude et convoqué par la commission de discipline, comme Nasri, Ben Arfa et Menez. Résultat : Didier Deschamps le snobe deux mois plus tard au moment d’établir sa première liste.
Il faut dire que le milieu a multiplié les frasques. En 2010, il admet avoir frappé un automobiliste, en réponse à des insultes racistes de ce dernier selon le joueur. En août 2011, lui et un ami passent du bon temps avec deux prostituées avant de se faire voler montres, ordinateurs et téléphones par les jeunes femmes. En avril 2012, il fait l’objet d’une plainte pour avoir giflé un adolescent «qui aurait trahi sa confiance» d’après son avocat. Malgré tous ces déboires, Yann rejoint l’EDF Espoirs en octobre. Des barrages de qualification à l’Euro 2013 se profilent. M’Vila ne sait pas quel tournant de sa carrière l’attend.
Le cauchemar de la Russie
Les Bleuets s’imposent à l’aller face à la Norvège (1-0) mais s’écroulent de façon surprenante au retour (3-5). En plus de la défaite, une polémique éclate. Cinq joueurs se sont octroyé une virée nocturne au lendemain du match aller. Yann M’Vila mais aussi Chris Mavinga, M’Baye Niang, Wissam Ben Yedder et… Antoine Griezmann ont quitté Le Havre pour Paris sans autorisation. Débusqués par Erick Mombaerts, ils mentent délibérément à leur sélectionneur. Sanction sans équivoque : M’Vila est banni de toutes les équipes de France jusqu’au 30 juin 2014. Il sort par la petite porte à Rennes à l’hiver 2013 et file au club russe du Rubin Kazan. Une trajectoire impensable il y a encore un an.
Yann M’Vila disparaît ainsi des radars. Son prêt à l’Inter Milan en janvier 2014 est vite abrégé. Sa carrière tourne même au cauchemar à l’été 2015, comme le rapportait LifeNews. Un accord est trouvé pour un transfert au Dynamo Moscou, mais d’étranges histoires font surface. Le chef de la sécurité du club l’aurait racketté. Le traducteur francophone du Dynamo affirme avoir été passé à tabac par cet étrange individu, et l’accuse de racketter l’ensemble des étrangers du club. En représailles, M’Vila saccage l’appartement que le Dynamo lui avait loué et se réfugie chez William Vainqueur, joueur du club moscovite. M’Vila garde toutefois une hache avec lui pour se défendre, au cas où… Finalement, l’ex-international français reste au Rubin Kazan.
Il faut attendre la saison 2015-2016 pour voir le numéro 6 retrouver des couleurs. Il découvre la Premier League en prêt à Sunderland. Là-bas, les supporters s’arrachent les cheveux : comment un joueur aussi fort a-t-il pu atterrir chez les Black Cats ? Surnommé «Mister reliable» (Monsieur fiable), M’Vila a le droit à son propre chant dans le Stadium of Light. Il est le joueur le plus utilisé par Sam Allardyce (40 matches toutes compétitions confondues). «Je suis heureux d’être là sur le terrain, afin de rendre au patron la confiance qu’il a en moi, se réjouit-il pour le Telegraph. J’ai fait des mauvaises choses dans ma vie, des erreurs. Mais à chaque fois, je les ai assumées et payées.» Mature, le Yannou ?
M'vila, our French midfielder, he'll pas from the left to the right! #safc pic.twitter.com/vR2OTMf10X
— Stephen Hannah (@stephenhannah24) September 18, 2015
Perrin : « Un pion essentiel de notre équipe »
Sa vie extra-sportive s’est révélée rocambolesque. Pourtant, Yann M’Vila est papa depuis l’âge de 18 ans. À son arrivée dans le Forez, le milieu assure avoir «mûri» dans les colonnes du Dauphiné. «J’ai 27 ans, je suis marié, père de quatre enfants. J’ai appris de mes expériences en Angleterre, en Italie et en Russie.» Et face au scepticisme suscité lors de son retour en France, il ne tremble pas : «Ma réponse, je l’apporterai sur le terrain.»
Armé de 28 printemps, Yann M’Vila a livré une saison aboutie sous le maillot vert. «C’est un pion essentiel de notre équipe», soulignait Loïc Perrin en octobre dernier, insistant sur sa «qualité de passe». Le milieu défensif fut le baromètre de l’ASSE. Le départ au mercato hivernal de son partenaire, Ole Selnaes, ne l’a pas dérangé. M’Vila a démontré une incroyable régularité sous la houlette d’un second père. Depuis leur rencontre en équipe de France, lui et Jean-Louis Gasset s’admirent autant l’un que l’autre. Au point que M’Vila peine à visualiser un avenir à Saint-Étienne sans son coach préféré, parti à la retraite. «Si ce n’est pas Ghislain Printant (adjoint de Gasset, ndlr), c’est sûr et certain que je vais demander à partir», a-t-il lancé au micro de Canal+ au terme de la saison.
Sous contrat avec les Verts jusqu’en 2022, Yann M’Vila n’aura aucun mal à trouver une équipe prête à l’accueillir en cas de départ. En dépit des embûches semées tout au long de son parcours, le gamin de Picardie a su rebondir. Ressusciter même. Le voilà qui profite d’une deuxième vie dans le pays qui l’a vu naître, grandir, séduire et faillir. Mais M’Vila a encore beaucoup à donner au football. Et en ce moment, le football le lui rend bien.
Crédit photo : Romain Biard / DPPI