Une semaine après l’annonce de l’attribution des droits TV de la Ligue des Champions à Canal+ et beIN Sports pour la période 2021-2024, le projet Mediapro bat de l’aile. Arrivé en trombe sur la scène audiovisuelle nationale en mai 2018 avec l’achat record des droits de la Ligue 1, le groupe sino-espagnol comptait bien sur la C1 pour enrichir son offre, aujourd’hui seulement constituée de la L1 et de la L2, et attirer une clientèle plus que nécessaire après les 780 millions d’euros (annuels) lâchés pour s’adjuger la Ligue des Talents, que l’entreprise est censée diffuser dès la saison prochaine. Sans compétition européenne, la situation s’annonce délicate pour le géant espagnol, qui tarde à annoncer les modalités de sa future chaîne. Pas très rassurant.
UNE « MAGOUILLE » …
Jeudi 28 novembre dernier, Canal+ et beIN ont remporté l’appel d’offres de l’UEFA, après un deuxième tour d’enchères, et se partageront à partir de 2021 l’intégralité des rencontres de la Ligue des Champions et de la Ligue Europa, en plus de celles de la nouvelle Europa Conference League. Un résultat qui n’a pas plu à Jaume Roures, président et fondateur de Mediapro, pour qui « il y a eu une magouille ». Le magnat a récemment fait part à L’Equipe de sa volonté d’ « attaquer l’UEFA en justice », estimant ne pas avoir eu les mêmes opportunités que la concurrence. Sa réaction trahit à quel point ces droits étaient souhaités par le groupe, et pour cause : rafler la C1, qui se serait ajoutée à la Ligue 1, aurait donné une assise conséquente à la firme pour s’implanter durablement dans le paysage audiovisuel français, ainsi que la garantie de réunir un nombre important d’abonnés. L’acquisition de ces droits auraient placé Mediapro dans une position idéale, en rassurant au passage la majorité des inquiets à propos de la viabilité de la firme.
… QUI PEUT COÛTER CHER
Mais la plus belle des compétitions européennes revient dans le giron franco-qatari (à Canal et beIN s’ajoute TF1, qui diffusera la finale en clair), comme entre 2012 et 2018, et le groupe aux capitaux chinois se retrouve sur le flanc après avoir investi massivement sur la Ligue 1. Comment alors maintenir les promesses lancées après cet achat record en mai 2018 (une chaîne à 25€ par mois, 4 millions d’abonnés visés), si l’entreprise souhaite parvenir à rentabiliser son investissement sur le sol français ? A titre de comparaison, beIN, présent dans l’Hexagone depuis sept ans, n’a franchi le cap des 4 millions qu’en juin 2018, et ce en disposant d’une offre multisports étendue. Pour atteindre ce palier, sans la Ligue des Champions, il va falloir redoubler d’inventivité pour attirer des fans qui commencent à se lasser du va-et-vient incessant entre les différents bouquets depuis quelques années, d’autant plus que devoir s’abonner à quatre (!) chaînes pour pouvoir profiter de l’ensemble du football européen risque d’en décourager plus d’un. Ambitieux projet donc que celui du singulier Jaume Roures, homme d’affaires omniprésent en Espagne, à la tête d’une galaxie réunissant sport, films, séries mais aussi infrastructures en tout genre : la refonte du musée du Barça est par exemple signée Mediapro, tout comme la mise en place du studio télé de Franceinfo en 2016 à Paris.
« C’EST TROP CALME… J’AIME PAS TROP BEAUCOUP CA… »
Implanté dans 26 pays, l’empire catalan est rentré sur le marché français depuis plus d’un an, mais après le séisme qu’il a provoqué, le groupe pratique un immobilisme qui inquiète certains acteurs directement concernés, notamment du côté des clubs français. En effet, à huit mois du début du championnat, rien de concret n’a encore été annoncé : le groupe doit remplir l’organigramme, composé aujourd’hui du seul Julien Bargeaud, ex-patron d’Eurosport, nommé (en août, 1 mois après la date imposée du 1er juillet) directeur général, les négociations avec les principaux opérateurs pour diffuser la chaîne se font attendre… « Nous avons l’expérience, au sein de Mediapro, pour faire une chaîne en trois mois » a récemment déclaré Roures au Parisien. « Nous avons le temps » martèle le Catalan. Pas sûr que la zen attitude du Catalan suffise à dissiper les doutes sur une entreprise qui par le passé s’est déjà illustrée par des échecs, en Italie notamment, où la Ligue italienne de football a annulé l’offre colossale de 1,1 milliard d’euros proposée par Mediapro, faute de garanties financières suffisantes. Rien n’exclut aujourd’hui à l’histoire de se répéter, d’autant plus que les droits de la C1 si chers à Roures se sont retrouvés dans les mains des rivaux Canal et beIN.
L’UNION FAIT LA FORCE ?
Esseulé, avec la Ligue 1 et la Ligue 2 comme seuls atouts, Mediapro semble en bien mauvaise posture à l’orée d’une période charnière pour l’avenir du groupe dans le paysage audiovisuel français. Une solution émerge cependant, celle de s’associer à l’un des acteurs du marché (Canal, beIN, RMC), en passant par un accord de partage ou une revente d’une partie des droits, pour s’extraire d’un fiasco financier annoncé. Le groupe imiterait ainsi RMC Sport qui, en mai dernier, a annoncé avoir conclu un accord de partage des droits de la Premier League avec Canal+ pour les trois prochaines saisons. Il y a un an, Roures déclarait dans une interview au Figaro écarter « l’idée de sous-licencier une partie de nos droits […] car si nous revendons une partie des droits à Canal+, par exemple, nous appauvririons l’offre de notre propre chaîne et ce n’est pas le but ». Si le dirigeant catalan pensait peut-être alors pouvoir acquérir les droits de la plus belle des compétitions européennes, la situation actuelle le contraint à changer ses plans. S’il veut assurer la pérennité de son groupe en France, il lui faudra trouver des solutions à un casse-tête qui n’est pas près d’être résolu, et commencer la construction d’une chaîne qui n’est pour le moment qu’un projet. Vous avez huit mois.
Crédit photo: Icon Sport