La Coupe de France. Le théâtre des rêves et de l’irrationnel. Le berceau des plus beaux exploits. Calais, Carquefou, Quevilly, Les Herbiers. La Coupe de France, c’est aussi la Coupe de la France. La plus lumineuse des vitrines pour ces patelins ordinairement de l’ombre. Cette année, à qui le tour ? C’est la mission qu’on s’est fixé pour chaque week-end de coupe : dénicher LES petits poucet de cette édition 2019 et vous les faire découvrir, à notre sauce.
Tentative numéro 1 (réussie) : quand Epinal fit chuter Sochaux
Tentative numéro 2 (toujours réussie) : SSEP Hombourg-Haut (R3) – AJ Auxerre (L2). Samedi 7 décembre, 15h, Stade de la Blies, Sarreguemines. 8e tour de Coupe de France
Boucheporn, Freyming-Merlebach, Puttelange-aux-lacs, Hombourg-Haut. Bienvenue en Moselle-Est. À l’est de l’Est. Là où les consonnes sont accentuées et les voyelles nasalisées. Là où les puits de mine de charbon à l’abandon cohabitent intimement avec une végétation dont l’espérance de vie s’accorde à celle du site pétrochimique -classé Seveso- du coin. Là, aussi, où les noms des patelins sont aussi tordus que l’intitulé des produits manipulés au sein de ladite usine.
C’est ici, en plein cœur de l’ancien bassin houiller lorrain, que loge LE petit poucet de ce 8e tour de Coupe de France 2019 : Hombourg-Haut, petite bourgade au centre-ville médiévale historique. La SSEP Hombourg-Haut, équipe de Régional 3 (huitième division), affronte l’AJ Auxerre à l’occasion du 8e tour de Coupe de France. Un monument du football français chez les amateurs.
« Ah Auxerre … c’est ma madeleine de Proust footballistique, confie Azad Sanak, le président de la SSEP. Les matinées à attendre devant AutoMoto que Téléfoot commence, Guy Roux … ça m’inspire un tas de souvenirs d’enfance. Cela va être une grande fête ! »
Hombourg-Haut, Spartiates de l’Est
La SSEP Hombourg-Haut n’est pas une équipe comme les autres. Déjà parce qu’elle peut se payer le luxe, à la veille d’un 7e tour de Coupe de France, de recevoir les encouragements vidéos de Mustapha Hadji, Mehdi Benatia, Clément Lenglet et La Fouine, le rappeur.
À cela, ajoutons un mercato XXL. Cet été, les Spartiates (le surnom des joueurs du club) se sont grandement renforcés avec l’ambition d’accéder en Régional 1 dans deux ans. « L’objectif, ce n’est pas d’arriver en R1 et de serrer les fesses, admet Thierry Steimetz, le coach de l’équipe. Si on y va, c’est pour être compétitif. On se donne les moyens pour y arriver ».
Hassan M’barki : HomBOURREAU.
Khalid Benichou de Creutzwald ( R3 ), Samir Louadj du SVG Bebelsheim ( 6e échelon allemand ) ou, encore, Fahdi Redjam de Sarreguemines ( N3 ) sont arrivés à l’intersaison. Autre recrue en provenance de la formation de Nationale 3 : Hassan M’barki. L’attaquant de 32 ans est la tête de gondole du projet. Supporters rémois, dijonnais et valenciennois … – déjà bonjour et merci de porter de l’intérêt à un papier qui ne vous concerne pas – ce nom vous est sans doute familier.
Alors à Sarreguemines, l’avant-centre marocain fut le bourreau de ces trois équipes. Toutes trois ont, entre 2015 et 2016, échoué au Stade de la Blies à l’issue d’un match de Coupe de France. Qui est-ce qui scora à chaque fois ? Hassan M’barki. Auxerre n’a qu’à bien se tenir. D’autant plus que la rencontre aura lieu ici, à Sarreguemines, dans l’arène de M’barki : le Stade de la Blies.
La commission de sécurité de la FFF n’a pas autorisé Hombourg-Haut à jouer dans son stade. « Cela rajoute du stress à l’engouement et au tas de choses qu’on a à organiser, explique Azad Sanak. Mais on s’y attendait un petit peu » . Malgré tout, la décision ne passe pas. La raison ? Le policier chargé de l’inspection du stade municipal n’est autre que … le coach de l’US Forbach, club voisin de Régional 1 et victime des Spartiates au tour précédent.
Le policier a-t-il pris le seum ?
« C’est un gros problème, peste Thierry Steimetz. Je ne dis pas qu’il a joué en notre défaveur, je pense même qu’il a été honnête, c’est ce que j’espère du moins. Mais c’est le mec que tu as éliminé avant, dans un derby, qui prend cette décision « . Après la rencontre, au micro de France Bleu Lorraine, le coach-policier déclarait : « je n’ai pas l’impression que c’était la fête du football, ce n’était pas un derby digne de ce nom parce qu’on était dans beaucoup de choses sauf dans le foot ». Les dix dernières minutes de cette rencontre frôlent l’irréel.
M’barki ouvre le score à la 82e minute. Le mec en charge de la sono craque et lance A.W.A du rappeur Lacrim. « Qui revient foutre la merde ? C’est toujours le même. T’a reconnu l’équipe ? T’a senti l’équipe ? « . Bruno Mars et le Parc des Princes sont ringardisés. Cinq minutes plus tard, une altercation éclate entre Thierry Steimetz et un remplaçant Forbachois. Les deux sont expulsés. L’équipe visiteuse décide alors de rentrer aux vestiaires, sous l’impulsion de son entraîneur, victime d’un jet de pétard en première période. Après trente minutes d’interruption, le match reprend. Puis s’arrête, de nouveau. Un autre Forbachois est expulsé. Après 9 minutes de temps additionnel, la fin du match est sifflée. Hombourg-Haut est qualifié. Un exploit de plus, après avoir éliminé une équipe de National 3 au tour précédent.
Thierry Steimetz, retrait anticipé
« J’entends dire qu’on a une chance … respectons le football. C’est David contre Goliath. » Au milieu de l’effervescence, 1m65 d’accalmie. Une tête froide, à lunettes et barbe de trois jours. Thierry Steimetz, l’entraîneur lorrain, est conscient du « monde d’écart » qui sépare ses joueurs de ceux de l’AJ Auxerre. « Qu’une Nationale 2 ou Nationale 3 tape une L2, je veux bien. Là on parle d’une Régional 3. Des gars qui s’entraînent deux fois par semaine, jouent le dimanche et vont bosser le lundi. »
Ce recul, il le doit d’abord à son parcours. Lui a connu les deux univers de l’intérieur. Dix années de piges amateurs, de 2002 à 2012, avant l’apothéose. En janvier 2012, à 29 ans, Titi Steimetz signe son premier contrat professionnel, au FC Metz. Il n’y restera que six mois, la faute à une adaptation « mal-gérée ». Mais ce n’est pas tout. Ce n’est, même, pas grand chose. Ce qui s’apparente finalement plus à un désamour qu’à une réelle lucidité, Thierry le doit aux drames et injustices éparpillés sur ses quinze années de carrière. Il avoue : « le foot m’a laissé un goût tellement amer que j’arrive à me détacher de tout cela. »
Tomber pour la France
En 2006, son équipe de Forbach se déplace chez le Dijon de Rudi Garcia. Déjà un grand rendez-vous de Coupe de France. À la fin du match, l’entraineur actuel des Spartiates frappe au visage un joueur du DFCO. Après passage devant la commission de discipline de la FFF, Thierry sera suspendu deux ans. « Aujourd’hui, je continue à parler d’injustice. J’ai jamais vu un joueur prendre deux ans de suspension pour un coup de poing. Ils ne savaient pas ce que j’avais connu. Je revenais de nulle part. »
Ce « nulle part » , c’est un an et demi de convalescence après une fracture du tibia péroné. « A Dijon, c’est le premier match que je jouais depuis ma blessure » , se souvient-il. Alors à l’US Roye, en Picardie, l’ex milieu offensif se casse la jambe. On est en 2004, Thierry n’a que 21 ans. Avant cela, l’est-Mosellan était arrivé, à 18 ans, dans l’autre pays du charbon, à Lens. Jamais sa chance ne lui a été donnée en équipe première, la faute à son gabarit.
En 2008, après trois ans et demi d’arrêt – du fait de sa blessure et de sa suspension-, Titi part au Luxembourg. « J’étais un peu dégoutté par la France. J’avais besoin de voir ailleurs. »
Ses expériences étrangères l’emmènent alors à Hombourg, club de quatrième division allemande. Là-haut, Thierry Steimetz est amputé de sa jambe en mai 2017, à 33 ans, en raison d’une tumeur maligne. « Je ne peux toujours pas expliquer ce qu’il s’est passé, raconte Titi. Au départ tout est bénin, puis ça se transforme en malin sans savoir pourquoi. L’Allemagne a touché à ma jambe, la France a touché à ma jambe, on m’a injecté des trucs dans ma jambe … je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais aujourd’hui je n’ai plus de jambe. »
« Je vis le football par procuration »
En fin de contrat, son club le prolonge « le temps de l’acceptation. » Un temps long. Éternel. « Tu n’acceptes jamais. Tous les soirs tu enlèves ta prothèse, tous les matins tu la remets. C’est difficile. Là où c’est plus contraignant, c’est avec mes enfants. Je ne peux pas faire ce que je veux. Par exemple je ne peux pas les accompagner à la piscine… Tu sens que des fois il y a des blocages. Pour le moment ils sont encore jeunes, ils ne comprennent pas trop. »
Aujourd’hui, à 36 ans, Thierry Steimetz a décidé de transmettre, chez lui, en Moselle-Est. En plus de l’équipe sénior de Hombourg-Haut, il est, depuis cette année, l’un des responsables du secteur jeune du club de Creutzwald, sa ville natale. « Je vis le football par procuration, explique-t-il. Ce qui me nourris, c’est de voir mes joueurs et les jeunes s’épanouir. Du fait de mon handicap, je vis le foot au travers de leurs sensations. Voir mes joueurs heureux suffit à mon bonheur. Je m’en fou du succès et de la gloire. »
Samedi, Thierry n’était pas sur le banc de touche de son équipe. Après l’incident du tour précédent, il a été suspendu 9 matchs. Une raison de plus, encore, de se détacher de ce rendez-vous historique. Une raison de plus, encore, de garder ce goût amer en bouche.
Le match : Hombourg-Haut au ciel
Debout, les pieds dans la boue, Jean-Marc Furlan ne lâche pas ses joueurs du regard durant l’échauffement. Entre un sourire charmeur adressé à la photographe de l’AJA et quelques mots échangés avec son adjoint, le technicien auxerrois se fige. Il se retourne, observe la tribune derrière lui et comprend. L’expérimenté entraîneur sait qu’il passera un après-midi compliqué. Ses bottines sont foutues, les hits de Vegedream, Gradur et Lacrim qui jaillissent des enceintes situées à quelques mètres de ses tympans ne lui -si l’on s’en tient à ses grimaces- conviennent pas et l’ambiance est beaucoup trop Coupe de France pour que l’histoire ne s’écrive pas. Et il le sait. Cela se sent.
Tambours, drapeaux, cymbales, étendarts, la Blies c’est l’Argentine. On a presque cru que c’était réellement l’Argentine lorsqu’une bâche « H.H » a été sortie. Puis, on s’est souvenu qu’il n’y avait aucune raison pour que ces adorables individus prêtent, lors d’un Hombourg-Haut – AJ Auxerre, allégeance à un petit moustachu qui, selon différentes théories crapuleuses, se la coulerait douce, justement, au pays des Empanadas. Non, H-H ce sont les initiales de Hombourg-Haut.
« Qui revient foutre la merde ? C’est toujours le même … »
Les vingts-deux acteurs sont dans le tunnel. Ils devront y rester un peu plus longtemps que prévu. Un drone survole le terrain pour immortaliser le moment. Cela ne convient pas aux délégués. Les talkie-walkies s’activent, les bras des agents de sécurité s’agitent. L’engin est au sol. Les joueurs entrent enfin sur la pelouse.
Sept minutes. Voilà ce qu’il a fallu à Hassan M’barki pour envoyer le Stade de la Blies au septième ciel. Après un long ballon d’un défenseur, le marocain réussit partiellement à se défaire de Quentin Bernard. Sa frappe est contrée par ce dernier et lobe Zacharie Boucher. 7ème minute de jeu : Hombourg-Haut 1-0 Auxerre. Quelque chose d’étrange se passe …
Les Bourguignons n’arrivent à rien, M’barki initie plusieurs fois Samuel Souprayen à la samba, le pressing des amateurs menace constamment les professionnels.
30ème minute de jeu : on vibre de nouveau ! Une bouteille en plastique Cristaline ( ironie du sort ) atterrit à quelques centimètres de Carlens Arcus, le latéral droit auxerrois. Rien de bien intéressant à signaler de plus pour cette première mi-temps. Les joueurs rentrent aux vestiaires.
Benichou et sa « grosse tête »
La nuit commence à tomber, doucement. Le Stade de la Blies est enveloppé d’un linceul sombre. Linceul, oui. Car au retour des vestiaires, l’enceinte est morte. Plus un bruit, pas un chant. Le capo et les tambouristes sont encore à la buvette. 58eme minute, alors que les Spartiates ne cessaient de reculer, Mickaël Le Bihan égalise. La gueulante de Furlan a porté ses fruits. Jean-Marc ne rentrera à la maison qu’avec ses chaussures sales. Et rien d’autre !
A ce moment-là, on pense tous que Hombourg-Haut va céder, de nouveau. Les premières langues se tirent, les dégagements sans destinataire s’enchaînent. Puis, à la 75ème minute, un coup franc. Vingt-cinq mètres, excentré. On le sait tous.
Le stade chante, le plexiglas de la tribune d’honneur vibre, les tambours se font entendre plus que jamais. Eux le savent. Les stadiers le savent. Jean-Marc Furlan le sait …
Khalid Benichou redonne l’avantage aux amateurs à 15 minutes de la fin. Le défenseur central coupe de la tête la trajectoire du coup franc de Samir Louadj. 2-1 ! Oui, Hombourg-Haut mène face à l’AJ Auxerre à un quart d’heure du terme.
Exploit
L’ambiance est folle. Ça chante, ça saute, ça tape des mains. Les vuvuzelas sont de sortie, les béquilles sont en l’air et les majeurs lancés en direction du parcage auxerrois. La Blies c’est bien l’Argentine.
« Oh les gars ! Venez là ! Faut que personne ne rentre sur le terrain ! ». Il reste cinq minutes de jeu. Le personnel du club qui a décidé de sacrifier ce jour de fête pour jouer aux stadiers se met en place. Il ne peut plus rien arriver à Hombourg-Haut. Le stadier passe une annonce au micro : » Ne pas envahir le terrain s’il vous plaît ! ». Il le sait aussi.
Allez, c’est bon. C’est fini. Hombourg-Haut a éliminé l’AJ Auxerre.
« C’est exceptionnel, exulte Hamzdane, un proche du club en charge de la sécurité ce samedi. On est le petit Poucet et pourtant on n’a pas été aidé ! L’organisation, la sécurité … même les CRS c’est nous qui avons du gérer cela ». Des étoiles plein les yeux et des consignes criées dans l’oreille, Hamzdane nage en plein rêve. La plus belle des récompenses après des semaines de stress et des années sombres pour Hombourg-Haut. « On a connu des années de galère. Avant, notre club baignait dans la violence. On a réussi à changer tout cela. C’est fantastique. Regarde cette fête ! ».
Une équipe de Régional 3 vient de sortir une Ligue 2. Historique. Unique. Un truc de Spartiates quoi …
Les héros de l’année :
Le onze titulaire : Dekhakheni – Redjam, Fegel, Benichou, Kieffer – Babaya, Boucetta – Ouhdida, Dehaba (cap), Louadj – M’Barki.
Les remplaçants : Ritzenhaler, Hadji, Garzoum, Ezzaitouni, El Boukhliki