« Vlahovic quel but ! […] Quel but déterminant pour la Viola, et surtout pour le haut du tableau ! L’Inter va repasser derrière la Juventus à la fin de cette journée ! ». Comme depuis le début de la saison, les yeux de l’Italie étaient rivés sur le duel à distance entre bianconeri et nerazzurri ce week-end. Le jeu de saute-mouton au classement entre les deux équipes, passionnant des tifosi trouvant peut-être enfin un rival crédible à la Vieille Dame, en a presque fait oublier le véritable évènement de cette 16e journée.
Exactement vingt-quatre heures après que Vlahovic ait contrarié les plans d’Antonio Conte, la Lazio est revenue à 3 points du duo de tête. Non pas par défaut, par accident ou en profitant d’une phase de surrégime passagère, non. L’aigle romain est en chasse.
Le drôle d’oiseau de mauvais augure
Depuis quelques saisons déjà, Ultimo Diez attire régulièrement votre attention sur ce club souvent en situation de chambouler la hiérarchie italienne de cette dernière décennie, notamment vis-à-vis du duo Napoli-Roma à la poursuite de la Juventus. Une équipe réputée par cycles dangereuse pour les prétendants au haut du tableau, mais qui a souvent peiné à capitaliser sur ses capacités.
En effet, si les laziali ont toujours terminé dans la première moitié du tableau depuis 2010 et on souvent atteint les places européennes, ils n’ont aperçu la Ligue des Champions que le temps d’un barrage malheureux face à Leverkusen en 2015. La cause de ce bilan largement perfectible, une fâcheuse tendance à s’écrouler dans les matchs à enjeu les plus cruciaux de la saison, gâchant ainsi des séries de victoires plus que convaincantes le reste du temps.
De ce point de vue, le dernier exercice nous fournit les exemples les plus criants. Encore en lice pour une éventuelle place qualificative pour la Champions’ à l’aube de la 30e journée et sortant d’une phase de 5 victoires en 7 matchs parmi lesquelles le derby de Rome et l’Inter à San Siro, la Lazio va subir cinq revers et être tenue en échec deux fois dans le sprint final. Des contre-performances face à la SPAL, Sassuolo, Milan, le Chievo, l’Atalanta, Bologne, et même le Torino qui lui prendra la 7e et dernière place finalement européenne suite à l’exclusion des Milanais de l’Europa League. Une 8e place bien loin de ce qu’entendaient montrer les hommes d’Inzaghi au moment où une nouvelle hiérarchie semblait pouvoir se dessiner avec la perte de vitesse de la Roma. Ce sont finalement le retour de l’Inter et le déboulé surprise (ou pas) de l’Atalanta dans le haut du classement qui auront comblé ce vide.
Cette fragilité voire cette peur de gagner des romains en championnat contraste totalement avec leur capacité à gagner leurs matchs de coupe plus qu’à les jouer, quand beaucoup ont fait l’inverse dernièrement en Italie. Depuis 2009, c’est une Supercoupe glanée face à la Juventus, deux finales de Coppa perdues contre les bianconeri mais surtout trois remportées, dont la dernière édition. Les pensionnaires de l’Olimpico se seront défaits des deux clubs de Milan en passant petit, aux tirs aux buts contre l’Inter puis 1-0 au cumulé des deux matchs face à la bande à Gattuso. Pas brillant, non. Juste gagnant. Jusqu’au bout, et aux dépends d’une flamboyante Atalanta, enthousiasmant tout le pays et ayant tout juste fessé la Juve, qui a vu son rêve de titre pour couronner sa superbe saison éteint par un but sur corner en fin de match de Milinkovic-Savic. Un parcours empreint du fameux « pragmatisme », dont l’utilisation est beaucoup trop aléatoire ou déformée, de réalisme voire de cruauté plus certainement, ce qui sauva donc la place européenne des aigles.
Quatre titres en dix ans, soit la double de ce qu’a réalisé un Napoli qui restera pourtant sans doute comme « la 2e équipe d’Italie » sur la même période. La Lazio a toujours été là, elle n’a simplement que trop peu souvent marqué les esprits de façon positive, n’ayant pas apporté une touche spéciale au jeu comme les partenopei de Sarri l’ont fait, et ayant toujours eu le rôle du « méchant ». De par son histoire et son entourage tumultueux, les personnages représentant le club comme le président Lotito entre autres, les ciel et blanc ont souvent été vus hors des murs de la capitale italienne comme une sorte de négatif de la Louve, emmenée par les charismatiques Totti et De Rossi, réussissant quelques coups européens, quand eux étaient rangés derrière le bien moins rayonnant Senad Lulic, laissaient régulièrement filer les rencontres d’Europa League ou foulaient du pied et d’un but sur coup de pied arrêté l’envie générale de voir la petite et séduisante Atalanta s’octroyer un trophée bien mérité.
Vol planant
Prendre le meilleur de ce que montraient les biancocelesti dans les deux types d’exercices est précisément ce qui a manqué à cette équipe pour passer un cap et s’installer durablement sur un podium. En ce début de saison, Simone Inzaghi n’a pas changé de formule, ou plutôt, a continué d’adapter sa formule selon les semaines en s’appuyant sur un groupe qui, lui, ne change pas tellement. 3-5-2, 3-1-4-1-1, 3-4-3,… oui, le plus souvent une base à trois défenseurs, un système malléable comme depuis sa prise de fonction auquel s’est donc habitué un effectif qui résiste aux mercati à cause ou grâce à la ténacité parfois agaçante du président Lotito. La Lazio conserve donc le meilleur buteur du championnat Ciro Immobile, auteur de 17 réalisations en 16 journées, le meilleur passeur Luis Alberto, distributeur de 12 ballons décisifs, en plus de l’inévitable Sergej Milinkovic-Savic, rouage essentiel du mécanisme romain.
L’aigle avait comme toujours entamé son vol à grands coups d’aile, en terrassant la Sampdoria, la SPAL ou Parme, mais sans s’élever bien haut au vu de la défaite contre l’Inter ou le nul dans le derby devant une Louve sortie d’un été pourtant très cahoteux. Il est néanmoins indéniable que quelque chose a changé par la suite. Le maintien des statistiques individuelles stratosphériques énoncées plus haut ont mené à un nouveau chiffre : celui de meilleure attaque du championnat avec 38 buts. La défense tient son rang aussi derrière celle de l’Inter (16 buts encaissés). L’équipe d’Inzaghi a progressé de façon spectaculaire, à bien des égards. Une machine à contrer, à gagner sans même paraître menaçant. La seule formation de Serie A a qui moins de deux minutes de moyenne passées dans le camp adverse en possession du ballon suffisent à marquer. L’aigle qui suspend son vol avant de fondre brutalement sur sa proie.
Surtout, il y eut ce début de mois de décembre. La Juventus est venue torturer son adversaire à l’Olimpico, Ronaldo s’était remis la tête à l’endroit, puis la Vieille Dame a chancelé suite à la sortie sur blessure de Bentancur. Un moment de faiblesse qu’un prédateur ne laisse pas passer, Luis Alberto déposant un ballon décisif sur la tête de Luiz Felipe juste avant la pause. Celle-ci s’est ensuite écroulée avec l’exclusion de Cuadrado, puis a été éventrée par un milieu de terrain acéré, composé de Leiva, Luis Alberto, SMS et Correa, quand le losange adverse était constitué de Pjanic, Can, Matuidi et Bernardeschi après la blessure de Bentancur évoquée précédemment. Un secteur qui ne souffre donc pas de la comparaison avec celui du champion, bien au contraire, et une profondeur de banc qu’un Inter ne saurait pas vraiment surpasser actuellement.
La Lazio tombeuse de la Juve à l’Olimpico, une première depuis 16 ans. Ce lundi, menés 1-0 sur la pelouse du 4e, Cagliari, les romains ont renversé la vapeur en scorant à la 93e et à la 98e après de longues séquences de souffrance. Des scenarii qui pourraient relever de l’exceptionnel, du ponctuel. Seulement, il s’agit du genre de script qui l’an dernier encore se serait conclu par « défaite de la Lazio ».
Comment désormais ignorer la nouvelle menace planant sur la Serie A ? Pendant que les deux rivaux de toujours se regardent encore dans les yeux sur le plan comptable, les biancocelesti ne sont désormais plus qu’à trois unités derrière, forts du travail effectué depuis plusieurs saisons, conscients de leurs forces et de leurs faiblesses, quand les deux lièvres ont chamboulé effectif, philosophie et certitudes, cherchant encore comment réaliser au mieux leur potentiel. Pour faire bonne mesure, la campagne d’Europa League a été grossièrement jetée aux encombrants, quand la Juventus devra assumer ses ambitions sur tous les tableaux et que l’Inter se retrouve scotché à cette même C3.
Selon Honoré de Balzac, pour atteindre à de hautes places ce sont deux choses : Il faut être aigle ou reptile. Voilà l’aigle désormais lancé à la poursuite des deux bêtes à sang-froid les plus redoutées d’Italie.
Crédit photo: Actionplus / Icon Sport