Comment expliquer le développement du Groundhopping en France ?

Prendre la voiture, le train, le bus ou l’avion. Parcourir des centaines de kilomètres en direction d’une ville plus ou moins éloignée de son domicile. Approcher lentement de l’objectif, sentir la ferveur monter dans les alentours et trépigner d’impatience. Tourner au coin d’une rue et apercevoir la lumière. Entendre les premiers chants, sentir les premiers fumigènes et se noyer dans la foule. Pour tous les supporters, la route vers le stade s’apparente à un rituel, un moment suspendu où l’excitation de retrouver les tribunes rejoint l’appréhension du résultat.

Cette sensation commune à tous les aficionados déambulant sur le parvis du stade, certains ne la ressentent pas de la même manière. Bien loin du résultat et de l’amour du maillot qui transpire dans tous les recoins de la ville, ces fans de football d’un nouveau genre mènent une quête bien différente de la foule qui les entoure. Á la recherche d’une atmosphère, d’une ambiance, d’une culture différente, ceux que l’on appelle les Groundhoppers se ruent vers le stade pour le béton, bien plus que pour le blason. 

Un esprit venu d’Outre-Manche

S’il fallait définir la pratique, on pourrait dire que le Groundhopping est une manière de revenir au sens premier du football : un lieu physique, la découverte d’un chemin et la rencontre de milliers de passionnés. Aller vivre le spectacle en son coeur. Faire l’expérience de ce qui anime une communauté de l’intérieur. Concrètement, le Groundhopper tire son bonheur dans l’accumulation de stades de football, sans limite précise : peu importe la taille, le club, le pays, l’ambiance. L’accomplissement naît de la découverte.

Depuis plusieurs années, le Groundhopping amène des milliers de personnes à travers le monde à découvrir des villes en entrant par la grande porte du football. L’histoire de la pratique est d’ailleurs bien connue : le phénomène naît dans les années 70 en Angleterre et se développe progressivement chez nos voisins allemands et scandinaves. Peu à peu, les plus grands passionnés accumulent les enceintes et défrichent des contrées jusqu’alors réservées aux supporters locaux. 

Loin de l’idée d’un tourisme organisé, le Groundhopping laisse plutôt la part belle à la débrouille et à l’authenticité. Dans notre football moderne, difficile pourtant d’échapper à la standardisation des offres et des enceintes. Difficile également d’échapper à la démocratisation d’une pratique encore marginale il y a quelques années. Avec un léger retard sur ses voisins européens, la France plonge finalement peu à peu dans la folie du Groundhopping. Comment expliquer cette soudaine démocratisation ?

Une pratique dans l’ère du temps

Á première vue, la démarche du Groundhopper s’apparente plutôt à quelque chose d’intemporel et de fortement lié à des valeurs populaires qui ne trouvent pas toujours de résonance dans notre société actuelle. Mais le phénomène s’inscrit pourtant véritablement dans l’époque que nous traversons, notamment au regard des évolutions techniques qui repoussent jour après jour les limites de la pratique. 

Au delà de l’ouverture sur le Monde de plus en plus évidente de notre société et sans pour autant aborder le sujet de la mondialisation dans le détail, le Groundhopping jouit d’un contexte largement favorable au voyage et à la découverte culturelle. En France, les coûts liés aux transports ne seront plus jamais comparables avec ce qu’ont connu les générations précédentes. Les raisons sont multiples à cette profonde transformation : diversification rapide de l’offre (train, bus, avion, covoiturage…), arrivée des acteurs low-cost sur le marché du transport, multiplication des points de connexion à travers l’Europe et le Monde, demande de plus en plus forte entraînant une croissance rapide…

Aujourd’hui, le choix est immense et le passionné français ne se retrouve plus vraiment limité par les contraintes budgétaires. Cette première barrière s’est progressivement effondrée pour laisser les rêves des Groundhoppers français prendre forme. Les frontières n’étant plus une réelle limite, l’envie de vivre le football autrement est alors exacerbée par les technologies qui rythment notre quotidien.

Une mutation culturelle

Rappeler ce que l’avènement d’Internet à modifier dans notre société ne sera pas nécessaire. La transformation est profonde, le monde a évolué rapidement et nous en avons bien conscience aujourd’hui. Le Groundhopping, comme presque toutes les pratiques imaginables sur cette Terre, a trouvé sur le web les ressources pour s’exporter hors d’Angleterre. Les réseaux sociaux, notamment Twitter et Instagram, favorisent progressivement l’expansion du phénomène et les Groundhoppers commencent à intriguer les fans de foot non-initiés.

Le message n’est pas réellement porté par une ou plusieurs figures de proue qui souhaiteraient répandre la pratique dans l’Europe et le Monde. Toutes ces “nouvelles” manières de communiquer génèrent plutôt un effet de communauté et permettent l’expansion rapide d’une passion jusque là plutôt marginale. Les réseaux sociaux sont progressivement pris d’assaut par les photos, vidéos ou articles en lien avec le Groundhopping. Et comme souvent, quiconque entre dans la bulle aura bien du mal à en ressortir. 

Application Groundhopper (aujourd’hui Futbology) pour répertorier les visites.

Mais les nouvelles technologies n’influent pas uniquement sur cet esprit de communauté. D’un point de vue purement pratique, il n’a jamais été aussi aisé d’organiser un séjour Groundhopping à l’autre bout de l’Europe. Envie de vivre un derby milanais enflammé ou un match bouillant du championnat polonais ? Rien de plus simple aujourd’hui. Alors que les premières générations de Groundhoppers anglais devaient trouver des contacts sur place ou prendre le risque de se déplacer sans billets, les billetteries en ligne et autre sites spécialisés permettent une organisation quasi-militaire. De quoi faciliter la tâche de la nouvelle génération de Groundhoppers français. 

La naissance d’une nouvelle génération

Notre rapport au football a profondément évolué depuis 20 ans. Alors que le foot était une denrée plutôt rare dans les années 70/80, les diffusions se sont peu à peu accélérées pour finalement inonder les canaux des plus grandes chaînes sportives aujourd’hui. Le futebol sud-américain vous intéresse ? Vous en trouverez sur Internet. Vous vous passionnez pour le championnat portugais ? Branchez vous sur la télévision. Le football est partout, tout le temps, et accessible à tous (en fonction de vos moyens, tout de même). Cette ouverture sur les championnats du monde entier amène forcément les jeunes français à se questionner sur les cultures footballistiques avoisinantes.

Et cette génération qui a grandi avec les voix de Thierry Gilardi, Grégoire Margotton ou Franck Sauzée rêve plus loin que le petit écran. La sur-diffusion du football amène certains français à chercher une autre expérience, une manière différente de vivre leur passion de manière physique. Le Groundhopping est une réponse idéale à ce besoin de changement. Ces jeunes français qui ont vu le football évoluer à une vitesse folle arrivent aujourd’hui à maturité sociale et financière. Ils sont prêts à devenir l’aventurier des stades qu’ils ont toujours rêvé d’être.

Si l’on regardait au delà du Groundhopping et qu’on observait l’évolution du football dans son ensemble, on pourrait alors constater que la consommation du football en France est en proie à une profonde mutation. Le goût pour la ferveur et les stades, l’éveil tactique – flagrant depuis quelques années – ou le tourbillon incessant d’avis et de prises de position sur les réseaux sociaux montre que la vision de la France du foot est en pleine évolution. Une question vient alors se poser : la France va-t-elle enfin devenir un pays de foot ?

Credit photo : Icon Sport

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