[Angleterre] À Leeds, « Bielsa a rendu le football aux fans »

Afin de véritablement comprendre ce que Bielsa représente pour les fans de Leeds, nous sommes partis à la rencontre de Scott, 39 ans et fan des Peacocks depuis plus de 35 ans, et qui a accepté de répondre à nos questions. Son interview suinte l’authenticité et la passion pour le ballon rond.

Retrouvez notre récit à propos de la rédemption de Leeds depuis l’arrivée d’El Loco.

Premièrement, bonjour à vous. Nous espérons que tout va bien pour vous et vos proches durant cette crise sanitaire sans précédent. Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ? 

Bonjour, moi c’est Scott. J’ai 39 ans et je vis dans une petite ville appelée “Mirfield”, et qui est située entre Leeds et Huddersfield. Je suis le directeur d’un entrepôt pour une entreprise à Leeds où je suis le responsable d’une centaine de personnes. En parallèle à mon travail je suis également un secouriste volontaire pour le club de Leeds durant les jours de matches, ou enfin je l’étais jusqu’au début de cette terrible pandémie. Je peux donc assister à tous les matches à domicile. Je dois avouer que le manque de football me tue, il n’y a rien de mieux qu’entendre Elland Road chanter d’une seule voix. Cela me donne la chair de poule à chaque fois.

Vous êtes un supporter de Leeds. Qu’est-ce qui vous a fait tomber amoureux à la fois du football et de ce club? 

Je suis tombé amoureux du football très tôt. On jouait au football plus jeune avec des amis sur le terrain de notre rue dès l’âge de 3 ou 4 ans. On faisait semblant d’être des joueurs de l’époque, on aimait célébrer devant nos parents ou nos frères et soeurs. A cette époque, tous mes amis étaient des supporters de Leeds, principalement parce que leurs pères ou leurs grands frères étaient également des supporters du club. Mon père, lui, était supporter de Liverpool, mais je me devais de supporter un club local, même à mon jeune âge. Je regardais les matches à la télévision avec lui, fasciné par des joueurs comme Erwin, Lorimer ou Sheridan, de qui je m’inspirais en jouant au football durant mon temps libre. Mon obsession avec Leeds a continué avec le temps au gré des hauts et des bas, du titre en 1991/1992 jusqu’à la relégation en Ligue One et le retour en Championship.

Supporter le club n’a pas été une mince affaire, surtout depuis la relégation en 2004. Quel est votre meilleur et votre pire moment vécu en tant que fan du club ? 

En tant que fan de Leeds, même l’expression montagnes russes ne suffit pas à décrire les sommets d’extase et les profondeurs de souffrance que nous avons pu ressentir au cours des 30 dernières années. Cela a été dur de voir l’équipe que j’aime tomber en disgrâce, et passer de jouer à San Siro à la pelouse de Doncaster à cause d’une mauvaise gestion de la part des propriétaires. En tant que fan, je n’oublierai jamais certains moments, comme par exemple Leeds battant le Milan AC juste après mon anniversaire en septembre, ou encore la montée en Championship après les années dans les abysses. Je dois dire que le rachat d’Elland Road par Andrea Radrizzani m’a également mis la larme à l’oeil.

Mais il y a eu également des moments très gênants, sans parler des relégations : par exemple, la nomination de David Hockaday comme entraîneur [entraîneur de Leeds en 2014 qui a été limogé après une pré-saison jouée principalement contre des clubs amateurs et après un début de saison catastrophique : il n’est resté à son poste que pendant 70 jours, ndlr], tous les problèmes financiers que le club a pu avoir sous Massimo Cellino [un ancien propriétaire du club], et je pense parler pour tous les fans de Leeds en disant qu’il vaut mieux ne pas évoquer l’incident de l’écusson [les dirigeants du club ont exprimé le souhait de remplacer l’écusson actuel du club en janvier 2018, mais très vite des pétitions ont vu le jour, forçant le club à abandonner l’idée]. La période depuis la relégation en 2004 jusqu’à la reprise du club par Radrizzani a été très turbulente. Depuis lors, lui et son équipe ont réalisé un travail énorme pour ramener de la confiance aux fans et l’espoir qu’un jour Leeds pourra retrouver le haut du tableau.

Marcelo Bielsa n’était pas forcément une figure très bien connue en Angleterre avant son arrivée. Qu’est-ce que vous avez pensé du choix de Leeds de le nommer entraîneur ? 

Quand Bielsa a été nommé, je dois avouer que je ne savais pas grand-chose le concernant, à part que son Bilbao avait détruit Manchester United. Beaucoup de fans avaient le discours typique : “il ne connaît pas l’Angleterre, il n’est pas du Royaume-Uni”. Mais il fallait lui laisser sa chance. J’ai été très vite agréablement surpris. Après il allait devenir l’entraîneur le mieux payé de la ligue, cela aurait été risqué s’il ne valait pas le coup.

L’effectif dont Bielsa a hérité, après peu d’activité pendant le mercato, était un effectif de milieu de tableau. Comment a-t-il amélioré Leeds ? 

Quand Bielsa est arrivé, tout a changé. Il a récupéré une vraie équipe de milieu de tableau, et l’a transformé en une équipe capable de jouer la montée, avec un style de jeu rapide et porté vers l’attaque, grâce à des régimes alimentaires stricts et des entraînements très intenses qui ont participé à la transformation de l’équipe. Un des points à noter concerne le repositionnement de Kalvin Phillips en tant que milieu central à tendance plutôt défensive, où il a vraiment su évoluer.

Cette première saison de Leeds version Bielsa a été pleine de rebondissements, du Spygate à la chute et ce fameux play-off contre Derby. Quel a été votre ressenti par rapport à cette saison si particulière ? 

Même avec tous les changements apportés par Bielsa, au final, on a laissé passer notre chance. Le manque d’expérience et la manière dont nous avons mal géré la pression a fini par nous tuer dans les derniers instants de la saison. Je me rappelle d’un moment assez triste, qui était de voir Pablo [Hernandez] sur le terrain quand nous avons perdu contre un Wigan réduit à 10. Il paraissait physiquement complètement cuit. Je pense qu’on savait à ce moment que cela devenait impossible de le faire. Mentalement, nous n’y étions plus. Au final, la saison a été pleine de hauts et de bas. Je dois dire que l’incident du Spygate m’a fait beaucoup rire, même si la gestion par les autorités a laissé un goût amer après que ces derniers aient inventé de nouvelles règles pour punir Leeds. J’étais en vacances en Espagne durant le match retour de play-off contre Derby, et être si loin n’a absolument pas atténué le coup asséné par la défaite. J’ai vraiment eu le coeur brisé, et cela m’a pris beaucoup de temps avant d’être à nouveau capable de regarder du football.

Après 37 matches de Championship, le Bielsa de Leeds est en tête, avec 1 point d’avance sur West Brom et 7 sur Fulham. Pour vous, qu’est-ce qui a changé par rapport à la première saison ? 

Sa deuxième saison a été meilleure, les joueurs semblent mieux préparés physiquement, et l’ajout de certains joueurs comme Costa a beaucoup aidé. Toute l’équipe travaille ensemble pour jouer un football tel que voulu par Bielsa. Je pense que comparé à la saison dernière, nous pratiquons un football moins unidimensionnel, et c’est ce qui cause le plus gros problème à nos adversaires. On arrive à créer des différences plus facilement, et l’arrivée de Ben White derrière nous a permis de devenir une des meilleures défenses du championnat au niveau des clean sheets. De la défense à l’attaque, on a été impressionnant, et nous avons livré un bon nombre de performances exceptionnelles.

La situation est aujourd’hui très compliquée avec le coronavirus, crise sanitaire majeure qui a mis en suspens la plupart des championnats européens. Êtes-vous satisfait de la manière dont Leeds a fait face à cet évènement ? Quel est votre sentiment par rapport aux conséquences sur les championnats ? 

Honnêtement, j’ai hâte que ce soit fini, j’ai hâte que le football revienne. Etant donné le problème causé par le coronavirus, rien est encore décidé. Bielsa et les joueurs de Leeds ont récemment pris l’initiative de donner une partie de leurs salaires pour aider le club et que ce dernier puisse continuer à payer l’entièreté du staff, ce qui est pour moi un très bel exemple. D’autres clubs de Premier League comme Tottenham qui a mis au chômage technique son staff mais qui continue de payer les salaires de ses joueurs qui sont très largement supérieurs, devraient s’en inspirer. Je ne trouve pas ça juste. Je pense que tout l’Angleterre devrait prendre exemple sur la gestion de Leeds. Enfin, je pense qu’une fois la crise résolue, les championnats devraient aller à leur terme peu importe le temps qu’il faudra. Mon père, fan de Liverpool serait anéanti et je le serai aussi si cela n’était pas le cas parce nous n’avons jamais été aussi proches de remonter en Premier League. Qu’on nous enlève ça à cause d’un cruel coup du sort ne serait pas juste. Et je pense que les fans de football veulent voir une conclusion et non pas une saison annulée.

Enfin, dernière question : on sait que Marcelo Bielsa est un personnage qui a tendance à marquer les endroits par lesquels il passe. Est-ce le cas à Leeds grâce à tout ce qu’il a pu apporter au club ? 

Pour moi, Marcelo a déjà un statut de héros à Leeds. Qu’on soit promu ou non, il a rendu le football aux fans, et il nous a donné de l’espoir à tous. Je pense qu’on ose tous rêver à nouveau grâce à lui. Vous n’imaginez même pas ce que cela voudrait signifier de retourner en Premier League avec lui comme entraîneur. Grâce à lui, un sentiment d’unité est revenu dans la ville. Les jours de matches, l’atmosphère est bouillonnante. Les gens lui demandent des photos dès qu’ils le voient, et il est très heureux de les prendre. Il apparaît vraiment comme un fan, il n’est pas intouchable, et il a contaminé tout le monde avec son amour pour le jeu. Grâce à lui, Leeds ressemble vraiment à une famille unie dans un même but, qui est de retrouver la Premier League, là où est notre place.

Un grand merci à Scott d’avoir accepté de répondre à nos questions.

Crédit photo : David Klein/Sportimage Photo by Icon Sport

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Diezista en freelance entre Madrid et Bordeaux. Souvent au stade, toujours dans l'info.