Real Saragosse, le drame de la relégation

« Personne n’est à l’abri d’une descente. Saragosse est descendu avec Aimar, Milito, Ayala. Je ne vais pas citer toute l’équipe, ils sont descendus. Tout le monde peut descendre. »

Dans le paysage footballistique, cette anecdote est devenue une référence. Lorsque Thierry Henry, alors sur le banc de Monaco, évoque le Real Saragosse, il met le doigt sur une anomalie. Une situation qu’on ne voit qu’une fois tous les 15 ans. C’est en 2008 que l’action prend place. Saragosse vient de terminer la saison 2006-07 à une héroïque 6e place. Pourtant, le club de l’Aragon sera relégué la saison suivante. Une incompréhension au vu de l’effectif et de l’exercice précédent. Retour sur un événement choc de la Liga des années 2000.

La surprise venue Saragosse

« Pablo Aimar est le joueur le plus important de notre histoire. » Nous sommes à l’été 2006 quand le Real Saragosse frappe un grand coup. Âgé de 26 ans et considéré comme un des joueurs les plus talentueux d’Espagne, Pablo Aimar quitte Valence pour 11M€. Direction la région de l’Aragon. Le transfert fait parler et met en relief la nouvelle politique du club. Alors racheté par l’homme d’affaires Agapito Iglesias, Saragosse veut faire partie de la cour des grands. Fini les saisons dans le ventre mou, le nouvel investisseur veut que son club joue les premiers rôles dès son arrivée.

Quoi de mieux qu’un joueur du calibre d’Aimar pour commencer son projet ? S’ensuivront les arrivées  d’Andrés d’Alessandro (Wolfsburg), Gérard Piqué (prêt, Manchester United) et Carlos Diogo (Real Madrid). Des signatures qui renforcent un effectif au socle solide (Celades, Gaby Milito, César Sanchez, Zapater, Movila). Tout semble en place pour que le 13e de Liga fasse de belles choses.

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De la parole aux actes, Saragosse terminera à une très belle 6e place, derrière les mastodontes de l’époque et devant l’Atlético de Madrid. Les coéquipiers de Gabriel Milito sont intraitables à domicile. Ils ne connaissent la défaite qu’à deux reprises, face à Osasuna et Valence. La Romareda devient une véritable forteresse. Le FC Barcelone, le FC Séville ou l’Atlético repartent avec zéro point, tandis que le Real Madrid arrache un match nul en fin de saison. Le tout est orchestré par Victor Fernandez. L’ancien entraineur de Porto met en place un football offensif autour d’un double pivot, Pablo Aimar et Andrés D’Alessandro excentrés sur les ailes et un duo Ewerthon – Diego Milito devant. La formule fonctionne Saragosse réalise une saison légendaire. Tout est en place pour s’imposer comme un des clubs phares du championnat espagnol. Mais l’impensable va se produire.

Un virage à 180 degrés

Réussir à terminer à la 6e place dans une Liga aussi compétitive est une vraie réussite pour le club, la ville et son propriétaire Iglesias. Ce dernier voyait Saragosse rejoindre rapidement les sommets, malgré le scepticisme autour de son projet. Mais le plus dur reste à venir : la confirmation.  Le club dispute la Coupe de l’UEFA et doit se renforcer rapidement. La réussite du Real Saragosse apporte de la lumière à toute une ville mais suscite l’intérêt des concurrents. Et le club va subir une grosse perte. Le capitaine Gabriel Milito quitte l’Aragon, direction la Catalogne et le FC Barcelone. Le club récupère 20M€ mais perd son porte-étendard.

Pour le remplacer, la direction a déjà coché le nom d’un gros poisson. Et pas des moindres. Roberto Ayala rejoint Saragosse. Après 7 ans du coté de Valence, le stoppeur argentin n’est pas prolongé. Direction la Romareda pour apporter son expérience à un groupe qui n’a que très peu connu les joutes européennes. En plus de l’ancien central de l’Albiceleste, Saragosse signe Francisco Pavon, ancien du Real Madrid, et lève l’option d’achat de Carlos Diogo. Après avoir consolidé son socle défensif, Saragosse veut marquer un gros coup sur le marché des transferts. Sachant que le club ne peut lutter face à la concurrence des grosses écuries du pays, il se tourne vers un marché peu exploité. La lumière vient de l’Ukraine. Matuzalem, milieu récupérateur du Shakthar Donetsk, est l’heureux élu. Le Brésilien de 27 ans rejoint Saragosse et laisse orphelin Fernandinho dans l’entrejeu ukrainien. Un transfert à  hauteur de 14M€, censé apporter à Saragosse ce qui lui manquait l’année dernière.

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Tout est cohérent dans ce mercato. Le club cherche à doubler les postes. L’objectif est d’être compétitif sur tous les tableaux. Dans l’entrejeu, Peter Luccin vient remplacer José Maria Movila, qui a quitté le navire quelques semaines auparavant. Gabi quitte l’Atlético, à la recherche de temps de jeu en Aragon, et s’inscrit dans la volonté de doubler les postes. Mais l’autre gros coup de Saragosse se fait dans le secteur offensif. Le club lève l’option d’achat pour Andrés d’Alessandro. La première saison de l’Argentin était prometteuse, son activité sur le côté ayant été une des grandes satisfactions. La surprise sera sur le front de l’attaque. Alors que Saragosse possède un des meilleurs avant-centres d’Espagne avec Diego Milito, le board rajoute un second buteur de qualité.

C’est Ricardo Oliveira, ancien goleador du Betis et en situation d’échec à Milan. Dans le 4-4-2 de Vitor Fernandez, le profil du Brésilien est parfait. Le mercato est réussi sur le papier, le noyau dur n’a pas bougé et des joueurs de qualité se sont greffés à l’effectif. Le premier grand défi a lieu en Coupe de l’UEFA. Saragosse affronte l’Aris Salonique premier tour. Un adversaire prenable et qui permettrait de bien débuter la saison. Le déplacement à Thessalonique va vite être un enfer. Saragosse s’incline (1-0). Une défaite qui a tout d’anecdotique. Premier match officiel de la saison, à l’extérieur, dans un stade hostile. Rien d’alarmant.

Et pourtant, cette défaite va relever tous les maux qui accompagneront l’équipe. Un nouveau schéma tactique, un 4-3-1-2 dû à l’indisponibilité d’un des deux excentrés (en l’occurrence Aimar), une défense vulnérable et un blocage psychologique loin de la Romareda.

Du rire aux larmes

Le match retour va mettre un gros coup aux ambitions du club. Saragosse va s’impose 2-1 à la Romareda, mais le but à l’extérieur marqué par l’illustre et inconnu Javito ruine les espoirs européens des Espagnols. Malgré le retour du 4-4-2 et d’Aimar, les protégés de Victor Fernandez ne seront pas en mesure de renverser la vapeur. Le début de saison sera médiocre, le club est 10e sans impressionner. Victor Fernandez ne peut pas compter sur un Aimar à 100% et doit faire avec la méforme de D’Alessandro. Les deux Argentins n’ont pas de remplaçant attitrés, hormis le courageux Sergio Garcia qui dépanne. Saragosse est obligé d’osciller entre le 4-3-1-2 et le 4-4-2. Puis un événement va rendre la saison encore plus délicate.

Une altercation à l’entrainement a lieu entre Aimar et D’Alessandro. Ce dernier n’apprécie pas les remarques désobligeantes de son camarade, au point où l’ancien de Wolfsburg va gifler son compatriote. Une embrouille qui va entrainer la descente aux enfers d’« El Cabezon ». Tantôt sur le banc, tantôt sur le terrain, D’Alessandro perd de sa superbe. A l’écart au sein du groupe, il peut compter sur un soutien de poids : celui de Diego Milito. Le buteur n’hésite pas à défendre son compatriote. Malheureusement pour les pensionnaires de la Romareda, les trois Argentins ne seront plus alignés ensemble. Milito est le seul à donner satisfaction. Aimar est toujours blessé alors que D’Alessandro est prêté à San Lorenzo à la fin du mercato hivernal.

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Fin janvier, Saragosse est à une inconfortable 11e place et n’a gagné qu’un seul match loin de la Romareda. Une situation qui vaudra à Victor Fernandez d’être licencié de son poste. Un changement nécessaire d’après la direction, mais qui va finalement avoir l’effet inverse. Trois entraîneurs se succèdent et aucun ne trouve la solution. Pire : à défaut de se maintenir dans le ventre mou, les coéquipiers de Diego Milito s’engouffrent dans la zone rouge. Saragosse est 18e au soir de la 35e journée et s’impose face au Deportivo (1-0). Un but d’Ayala, très critiqué pour son niveau, délivre la Romareda. Un but symbolique.

Saragosse termine la saison avec deux déplacements. Un à Mestalla chez un Valence malade (15e) et l’autre à Majorque. Entretemps, un match de gala face au Real Madrid qui n’a plus rien à jouer. Saragosse doit prendre au moins 3 points sur 9 pour espérer se maintenir. Le match à Valence tourne vite en faveur des locaux, beaucoup trop forts (1-0). La réception du Real Madrid donne lieu à une drôle de rencontre, avec un Saragosse pas récompensé de sa domination (2-2). Le maintien se jouera à Majorque. Un match qui sera finalement à sens unique. Les protégés de Gregorio Manzano sont tout simplement supérieurs. Défaite 3-2 pour Saragosse et une relégation surprise. Ricardo Oliveira (doublé contre Majorque) et ses 18 buts n’auront pas suffi.

Une relégation surprise qui va bouleverser tout une ville, qui ne vit qu’à travers son club. Cette saison s’écoule avec 50 buts marqués, ce qui fait de Saragosse une des meilleures attaques du championnat. Ricardo Oliveira et Diego Milito ont marqué 33 buts à eux deux. Mais le secteur défensif n’a pas été à la hauteur. 61 buts encaissés, soit la 18e défense de Liga. Très décrié et loin du niveau de son compatriote Gabriel Milito, Roberto Ayala est pointé du doigt. Le club termine avec une seule victoire à l’extérieur et des partitions plus indigestes les unes que les autres.

Cette relégation marque un des moments forts du championnat. Personne ne s’attendait à un tel scénario. Depuis, Saragosse est remonté en Liga avant de redescendre. Le club végète aujourd’hui en Segunda et a vu Victor Fernandez revenir, 10 ans après son licenciement au club. Si la saison ne reprend pas, le club de l’Aragon devrait retrouver la Liga après de longues années de purgatoire. De quoi rendre heureux toute la ville qui n’attendait que ça.

Crédit photo : Quinho / Icon Sport

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« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois.»