Arrêter les championnats : et si le foot français avait raison ?

La décision est tombée le 16 avril dernier : les championnats de l’exercice 2019-2020 (sauf le National et la D1 féminine) ne reprendront pas en France. Cela fait évidemment suite à la crise sanitaire causée par le coronavirus qui empêche la proximité physique ; un choix, donc, de précaution décidé par la Fédération française de Football (FFF). Ce choix a mécaniquement des conséquences sportives puisqu’il a été décidé que le classement final prendrait en compte le ratio de points pris par le nombre de matchs joués par chaque équipe. L’on ne reviendra pas ici sur toutes les questions liées à l’équité sportive car déjà évoquées précédemment mais également car l’objectif est de s’attarder sur la décision en elle-même. Particulièrement décriée aussi bien en France qu’à l’étranger, il semblerait qu’il existe une exception française – une fois encore – concernant la gestion de la crise sanitaire par les instances footballistiques.

Priorité à la santé

La Bundesliga reprend dès ce week-end du 15 mai, la Liga Nos deux semaines plus tard, la Liga le 12 juin a priori, la Premier League sans doute début juin et la Serie A sans doute un peu plus tard également au vu des tractations récentes entre toutes les parties. La Ligue 1 sera donc le seul des plus importants championnats qui ne reprendra pas. Récemment, ce n’est autre que Paolo Maldini qui a critiqué cette décision de la Fédé lors d’un live sur Instagram en affirmant : « Il faut essayer d’aller sur le terrain, ce serait un désastre à tous points de vue, d’abord économique. Nous devons essayer. La France, à mon avis, a fait une erreur. » Une opinion que s’est empressé de relayer Jean-Michel Aulas puisque Lyon fait figure de perdant dans cette affaire. Mais les arguments avancés par les détracteurs du choix de la FFF relèvent à chaque fois de l’économisme et de l’ardent désir d’équité sportive – que l’on entend moins lorsque l’on met sur la table l’inégalité croissante entre les budgets des clubs par exemple – à des fins parfois malhonnêtes intellectuellement.

Aucun mot, donc, sur la santé alors que la crise actuelle est tout de même sanitaire et très peu, également, sur les salariés du foot autre que ceux qui sont médiatisés qui sont les premiers touchés par la suspension et l’arrêt des compétitions sportives, l’on préfère se gargariser sur les droits télé et les coupes dans les salaires des joueurs. Néanmoins, l’opinion des Maldini, Aulas et consorts est loin de faire l’unanimité dans le monde du foot comme le démontre le chiffre souvent avancé du trois-quarts des joueurs de Ligue 1 défavorables à la reprise du championnat. Neven Subotic lui-même, pourtant jouant à l’Union Berlin et donc forcé de reprendre le chemin des terrains dès le dimanche 17 mai avec un match face au Bayern Munich, a avoué lors d’une interview pour la BBC que « c’est une situation précaire pour nous tous. Il va être impossible de sortir de la ligue avec des remarques positives. Ce sera juste beaucoup de gestion des risques et d’essayer de arriver à une saison terminée avec le moins de victimes. […] Peu importe quand nous commencerons, ce sera trop tôt. »

Ironie du sort et la bise à l’ami Paolo, l’on a d’ailleurs appris le 8 mai dernier par l’intermédiaire de son président Paolo Scaroni, que le Milan AC était touché par le coronavirus, le virus circulant actuellement au sein de l’effectif. A noter aussi que plusieurs clubs en Italie, au Portugal et en Espagne, à l’instar de la Sampdoria, du Vitória Guimarães ou de l’Atletico subissent la même situation. Étonnamment, ce sont ces trois pays qui ont cherché à tout prix à continuer puis à reprendre le foot.

La santé c’est bien… mais le foot dans tout ça ?

Et bien je vous le demande ! Il ne faut pas se méprendre : le modèle de foot proposé par les fédérations européennes qui décident de reprendre leurs compétitions est, en plus d’être différent de celui d’avant l’épidémie, presque entièrement vidé de sa substance.

En effet, lors de ces un mois et demi à deux mois de confinement, la condition physique de tous les joueurs s’est mécaniquement dégradée, les entraînements à la maison étant insuffisant pour maintenir une forme permettant de jouer 90 minutes à 100% de ses capacités. La préparation physique des joueurs lors de leur retour dans leurs clubs respectifs sera et est d’ailleurs alors un point primordial. Sauf que, cela n’aura échappé à personne, le staff de prépa des équipes les plus faibles est, dans la majeure partie des cas, moins compétent que celui des grosses équipes, qui verront de facto leurs joueurs revenir plus rapidement au top que les autres. Cela peut avoir des conséquences sportives importantes sur les équipes moins fortes qui verront le fossé qualitatif entre elles et les grosses équipes se creuser.

Pour pallier cela mais également pour « protéger la santé des joueurs et des joueuses du monde entier« , la FIFA a ainsi autorisé jusqu’à cinq remplacements par match pour toutes les équipes jusqu’à la fin de l’année. L’intention est louable mais cette mesure risque de mettre encore un peu plus de plomb dans l’aile à ladite « équité sportive ». Idem, les équipes les moins fortes disposent d’un banc largement moins fourni que les plus fortes et effectuer un tel nombre de changements est impossible pour des raisons de niveau. A contrario, les plus fortes et plus fortunées peuvent se payer le luxe de posséder une sortie de banc parfois de niveau similaire aux joueurs sur la pelouse comme c’est le cas des top clubs européens.

L’on a aussi appris hier que l’équipe de Dresde en seconde division allemande était mise en quarantaine en raison de plusieurs cas de coronavirus dans l’effectif, l’empêchant dès lors de reprendre la compétition ce week-end. Difficile de ne pas imaginer que cette situation se reproduira vraisemblablement à l’identique pour d’autres équipes, rendant la situation encore plus complexe sportivement qu’elle ne l’est déjà.

Enfin, le retour du foot ne se fera qu’à huis-clos en raison de la distanciation physique exigée par la situation sanitaire. Pas de supporter, pas d’ambiance, pas de transcendance : voilà la recette que veulent à tout prix imposer les gourous du retour des compétitions. Enlever son côté populaire, déjà de plus en plus mal en point, au football, c’est lui enlever sa vie. Même en restant derrière son téléviseur cela se fait sentir comme l’en ont attesté les premiers huitièmes de finale retours de la Ligue des Champions joués en mars dernier. « Reprendre le foot pour reprendre le foot devant personne, juste parce que les télévisions ont suspendu les paiements, c’est moyen, non? Il peut y avoir exactement le même enjeu, les mêmes joueurs, un match à huis clos ce n’est pas un match de football. L’énergie que les supporters dégagent, l’énergie qu’ils transmettent aux joueurs, ça transcende les joueurs » a dit Eric Cantona il y a un mois au micro de RTL. Difficile de donner tort à tonton Rico sur ce coup-là.

Alors, évidemment, répondre à la question mise en lumière ici est tout bonnement impossible à l’heure d’aujourd’hui en raison d’un recul insuffisant aussi bien en ce qui concerne les facteurs sportifs que sanitaires. Toutefois, impossible de nier que la Fédération a, avec la décision de stopper les championnats, fait le choix de la prudence. Un choix qui, au pire sera et est critiqué pour des raisons autre que sanitaires, au mieux s’avérera payant en préservant l’intégrité physique de tous les acteurs professionnels du ballon rond de l’Hexagone.

Crédits photo : Icon Sport

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4-4-2 losange et presunto comme exutoires.