[Interview] Lendoiro, ancien président du Deportivo : «Toute l’Espagne nous soutenait en 2000»

Le 19 mai 2000, le Deportivo La Corogne écrivait la plus belle page de son histoire en remportant son premier et unique championnat d’Espagne. 20 ans plus tard, son président de l’époque, Augusto César Lendoiro, se rappelle d’un football à l’accent brésilien et d’une ferveur dépassant les frontières de sa Galice natale.

Augusto César Lendoiro est un enfant du pays, galicien pur jus. C’est comme dirigeant du club local de hockey sur roulettes qu’il fait ses preuves, pour ensuite accéder à la présidence du Deportivo La Corogne en 1988. Alors perdue dans les limbes de la 2e division, l’équipe de ce petit bout de terre au nord du Portugal va connaître son heure de gloire. Durant les années 90 et jusqu’au début du millénaire, le « Super Depor » va jouer les épouvantails, en Espagne comme en Europe.

Ultimo Diez – Vous êtes arrivé à la présidence du club à l’issue d’une assemblée populaire. Dans quel état se trouvait alors le club ?

Augusto César Lendoiro : C’est par la volonté des copropriétaires que je suis arrivé à la tête du club. La situation sportive était très difficile et la situation économique encore pire. J’avais connu le succès avec le Hockey Club Liceo qui avait été champion d’Espagne, d’Europe, du monde… de tout. Les gens voulaient voir décliné dans le football ce que j’avais fait pour le hockey. Bien sûr, c’était plus compliqué (rire). Avec moi, le club a évolué trois années de plus en 2e division et en 1991, nous avons accédé à la 1re division.

Et c’est débordant d’ambition que vous arrivez dans la cour des grands…

Cela faisait 20 ans que les supporters n’avaient pas vu le Deportivo en Liga. L’attente était grande. A ce moment, j’ai fait une déclaration qui est restée célèbre : « Barcelone, Madrid. On est là ! » [« Barça, Madrid, ya estamos aqui »] Les gens ont cru que c’était une farce, que j’étais un fou. Cela montrait que nous aspirions à être l’une des meilleures équipes d’Espagne et une des meilleures équipes d’Europe.

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« La Corogne est une ville tranquille, nous représentions un football modeste »

Vous pensiez vraiment que le Deportivo avait les moyens de lutter en Liga et sur la scène européenne ?

Oui ! Les gens ont pris ça pour une blague, mais deux années plus tard, c’était la réalité. Il y a eu le fameux penalty raté par Djukic lors de la saison 1993-94. C’était probablement la première fois que cela arrivait dans le monde du foot : dans les dernières minutes d’un match, un penalty décide de l’issue d’un championnat ! Pour une Coupe c’est normal, des éliminatoires aussi, mais pour un championnat… C’était tellement improbable que cela paraissait impossible (le Deportivo verra la Liga lui échapper au profit du Barça, ndlr). Donc, nous n’avons pas seulement joué le titre durant la saison 1999-2000. Sous ma présidence, nous avons terminé 4 fois deuxième, 4 fois troisième. Cela montre bien que l’on pouvait tenir tête au Barça ou au Real… ou même aux deux.

Venons-en à cette saison 1999-2000. Quels sont les ingrédients du titre ?

Il faut un bon entraîneur. Javier Irureta (entraîneur de 1998 à 2005, ndlr) avait parfaitement le style du Deportivo. C’est une équipe modeste dans une petite ville tranquille. Nous représentions tous un football « modeste » et nous avions besoin de quelqu’un qui adhérait à cette approche. Mais ce qui est fondamental, ce sont les joueurs. L’effectif du Deportivo était considéré par certains comme le meilleur d’Espagne. Pas le meilleur onze… le meilleur effectif. Pour un entraîneur, c’est rassurant. Cela permet de ne pas dépendre de la forme de deux ou trois joueurs dans un championnat avec de nombreux matches.

Le Deportivo réalise une saison grandiose. A l’issue de la douzième journée, il occupe la première place pour ne plus la quitter. A quel moment vous êtes-vous dit que le titre était gagné ?

Quand la partie s’est terminée (rire). Parce qu’il y a toujours eu cette peur, celle d’avoir déjà perdu le championnat à la dernière minute sur un penalty. On avait peur que cela puisse se reproduire. C’était la dernière journée. Et puis… on savait aussi qu’en rentrant sur le terrain, les joueurs de l’Espagnol Barcelone que nous affrontions recevraient des primes du Barça pour nous battre. Beaucoup de joueurs auraient empoché plus d’argent en gagnant ce match qu’avec toutes les primes qu’ils avaient pu accumuler durant la saison.

« Pour moi, le football s’écrit avec le “B” de “Brésil” »

Avec cette victoire, vous offriez à la Galice son premier titre. Est-ce que vous avez senti un engouement régional pour le Deportivo ?

Non, il y avait un soutien de toute l’Espagne et même de tous les coins de l’Europe ! Nous, les Galiciens, sommes disséminés un peu partout en Europe. C’est devenu la 2e équipe préférée de toute l’Espagne. C’était « d’abord l’équipe de ma ville, et ensuite le Depor ». C’était aussi une conséquence du titre que nous avions perdu en 1994 : tout le monde se disait que le petit devait gagner contre le grand. Et puis, il ne faut pas oublier que le football joué par le Deportivo était un grand football. Pour moi, le football s’écrit avec le « B » de « Brésil ».

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A ce propos : Mauro Silva, Djalminha, Donato prennent part à la conquête du titre. Mais Rivaldo, Bebeto, Luizão, César Sampaio ou encore Flavio Conceiçao passent tous par La Corogne. Comment expliquez-vous cette « connexion brésilienne » ?

Parce j’adore le football brésilien (rire). J’adore ! Le football brésilien c’est le spectacle, les Brésiliens s’amusent quand ils jouent au football. A cette époque, les gens, en Espagne du moins, avaient peur d’acheter des joueurs brésiliens. Selon eux, c’était « beaucoup de samba et de fêtes, mais pas beaucoup de football ». Au Deportivo, nous avons eu de la chance. On a eu des joueurs brésiliens qui étaient à la fois de grand professionnels et de grands joueurs de football.

Vous avez dû apprécier la « lambretta » de Djalminha contre Madrid…

C’est un génie ! Il disait que son souhait était de pouvoir un jour faire une panenka et courir pour atteindre la ligne de but avant que le ballon ne la franchisse. Cela montre bien ce que représente le football pour les Brésiliens. Il faut gagner oui, mais il faut gagner en faisant le spectacle.

20 ans après ce titre, pensez-vous que le Deportivo a inspiré d’autres clubs et laissé une marque durable sur le football ?

De fait, beaucoup d’équipes ont essayé d’imiter ce que nous avons réalisé. A un moment, des petites ou moyennes équipes comme la Real Sociedad, le Celta Vigo, Villareal se sont dit : « Si le Deportivo y arrive, pourquoi pas nous ? » Mais à cette époque, personne n’a fait face au Real et au Barça comme nous l’avons fait. Je pense que leur domination actuelle sur la Liga n’est pas tant due à leur force qu’au fait que les autres équipes ne se donnent pas le possibilité de les battre.

Aujourd’hui, le Deportivo se retrouve dans une situation comparable à celle de 1988 et lutte pour son maintien en 2e division. Que peut-on souhaiter pour le futur du Deportivo ?

Que le club revienne en première division, bien sûr.

Par Antoine Cuny-Le Callet (@AntoineCLC1)

Crédit illustration : Valentine Cuny-Le Callet

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