Arrivé cet hiver au Bayer Leverkusen, Edmond Tapsoba n’a pas pour principe de prendre son mal en patience. S’il en fait 10 de plus, le défenseur axial n’a que 21 ans, et ne peut s’empêcher de faire l’unanimité partout où il débarque. Formé à Salitas, révélé au Vitória Guimarães, aujourd’hui l’Étalon burkinabé s’occupe à faciliter la vie de son coach Peter Bosz. Il est donc l’heure de conter la sienne.
En France la cote de popularité du Bayer Leverkusen connaît un pic lors des tournois amateurs de printemps. À l’instant de donner un nom à son équipe de potes, les plus inspirés choisiront « Bayer Les verres cul-sec ». Mais bien que certains de nos footballeurs de district s’occupent de boire des coups, le board de Leverkusen préfèrent les flairer. En déboursant environ 20M d’euros pour Edmond Tapsoba, Rudi Völler et son entourage n’ont pas fait qu’un simple pari sur l’avenir. Avec lui, le Bayer 04 a entamé un sacré sprint en championnat. L’Étalon se chargeant de stabiliser la défense de l’équipe grâce à son agile patte droite et à son grand gabarit motorisé par un taux anormal de sang-froid.
À Tapsoba, d’âge on ne parle pas
Le 2 février 1999, Edmond Tapsoba montre le bout de ses pieds. Tout le Burkina Faso n’est pas au chevet du nouveau né mais il n’attendra que quelques années pour éclairer de ses petons les rues de Ouagadougou, sa ville natale. D’après Ablam Gnamesso, reporter sportif basé au Burkina, « ceux qui sont à Ouaga’ et aiment le foot ont pu se faire une idée de lui car il participait aux tournois de quartiers ». Des compétitions informelles où « des clubs de quartiers, des amis se regroupent et cotisent de l’argent ensemble ». Le journaliste de Sportdrome souligne que c’est « dans ce genre de tournois que les clubs vous repèrent ».
Et c’est le Salitas FC qui attire un certain Edmond, âgé de 14 ans. Le club vient d’être fondé : Tapsoba et ses potes de la première promotion composent donc l’équipe première après une année d’entraînement. Parti de D3, Salitas est champion de D2 dès 2016-2017. Le défenseur n’a pas goutté à la première division mais qu’importe, le club portugais de Leixões le veut déjà. « À Salitas, ses responsables ont vraiment cru en ses qualités, sonne Gnamesso. C’est pourquoi ils n’ont pas hésité quand l’offre du Portugal s’est présentée. »
À l’été 2017, au moment d’intégrer l’équipe des moins de 19 de Leixões, Taposba n’a que 18 piges mais a fêté sa première cape avec les Étalons depuis un an. Six mois plus tard, le Burkinabé porte déjà un nouveau maillot : celui de l’équipe u19 du Vitória Guimarães. Une tunique que Deco, son nouvel agent, l’aide à enfiler. Dès l’entame de la saison 2018-2019, Tapsoba participe aux jouttes professionnelles de D2 portugaise. Et sur le terrain aussi, le Burkinabé a la bougeotte. Défenseur axial, il n’hésite pas à faire valoir son mètre 92 dans la surface adverse mais démontre aussi sa passion pour… les penalties. En 30 matches, Tapsoba signe ainsi 7 buts dont 3 pénos.
Le Portugal, un tremplin efficace
Le Vitória prolonge son Étalon en avril, et attire Ivo Vieira sur le banc de l’équipe première pour l’exercice 2019-2020. Le nouveau coach intègre Edmond d’entrée, en tant que défenseur central droit de son 4-1-4-1. « Il avait besoin qu’on lui donne de la confiance et une opportunité, explique Florent Hanin, latéral gauche du club portugais. Il l’a pris et on ne l’a plus enlevé de sa place. » D’emblée, Tapsoba étonne son monde. « On voyait déjà à l’entraînement qu’il avait les qualités, rappelle le Français, mais on était surpris au niveau de sa sérénité. Au premier match, on aurait dit qu’il était déjà dans l’équipe depuis 3 ou 4 ans. »
Edmond a vite compris le style de jeu prôné par Vieira. Quand le Vitória domine, Tapsoba analyse le pré avant de faire parler sa « qualité de relance ». Le Burkinabé est précieux dans la conservation et fait également grimper le bloc. D’après Hanin, « au niveau des couvertures, il lit bien le jeu ». Tapsoba contrôle la profondeur. Que ce soit en coupant les trajectoires de passes ou en s’imposant à la course sur son vis-à-vis.
Contre les grosses écuries, l’équipe de Vieira se projette plus rapidement. Ce fut le cas contre Arsenal en Ligue Europa, où ces prises de risques se payent en pertes de balle. Dans ce registre aussi, le Burkinabé anticipe et parvient à compenser. Mais si Tapsoba « transmet une grande sérénité », son partenaire français pense qu’il ne se fait pas assez entendre sur le terrain. « Ce n’est pas un patron de la défense. » Son entente avec ses coéquipiers peut laisser à désirer notamment sur l’alignement.
Des sautes de concentration qui lui valent 8 cartons jaunes et surtout une exclusion express contre Porto. Tapsoba n’avait pas tenu plus d’une minute sur le pré, lui qui a pourtant joué 30 de ses 32 matches dans leur intégralité. 32 apparitions toutes compétitions confondues pour un total de 9 pions dont 6 penalties. Face aux cages, Edmond ne choke pas. Même dans les moments décisifs, même s’il est défenseur. « Il nous a sauvé plusieurs fois en tirant les penalties. Alors que ce soit un central ou un gardien de but, du moment qu’il la met au fond, nous, on s’en fout, balance Florent Hanin. »
À Leverkusen pour soigner le Bayer
Élu défenseur du mois de janvier en Liga NOS, Tapsoba a largement les moyens de rejoindre un club plus huppé à l’été 2020. Deco ne l’entend pas ainsi et, le 30 janvier, l’agent a déjà affrété un jet pour Düsseldorf. Celui-ci connaîtra un problème de GPS mais qu’importe, son poulain signe au Bayer Leverkusen sur le gong du mercato hivernal.
Le Bayer 04 aurait grillé la politesse à Leicester ou Wolverhampton. Tapsoba, lui, grille sans attendre celle de Dragović et fait ravaler à Bosz ses principes. S’il est du genre à faire poireauter ses nouvelles prises avant de réellement les lancer, le coach hollandais a déclaré au Kicker qu’il était « exceptionnel qu’un joueur s’adapte si rapidement ». Et pour l’occasion, Bosz lui a fait de la place auprès de Bender et Tah. Orienté 4-2-3-1 sur la phase aller, l’entraîneur propose au Burkinabé un siège tout chaud dans une défense à 3, une semaine après son arrivée.
Si ce dispositif n’avait rien donné en début de saison, depuis la signature de Tapsoba, cette charnière à 3 centraux a été reconduite sept fois en 11 matches de Buli. Et lorsque le 4-2-3-1 est privilégié, c’est bien souvent un schéma à 3 arrières qui se dessine en phase offensive. Polyvalent, axe gauche ou droit, l’Étalon a aboli la perméabilité et le boxon ambiant qui caractérisait le bloc du Bayer.
Le pressing étouffant du Werkself induit un positionnement très avancé de la ligne défensive. Pas de problème, Tapsoba sait défendre les espaces laissés dans son dos. Il gère les contres, anticipe et coupe les trajectoires. En cas d’erreur, le Burkinabé a la vitesse et le physique pour aller secouer l’adversaire à la course. En un contre un, Edmond reste debout et sert de près son vis-à-vis. Contre lui, Haaland, Marega ou Thuram n’ont pas moufté et ont dû quitter la zone de l’Étalon pour exister.
Mais dans une équipe qui a la possession 59.8% du temps, Tapsoba se distingue aussi par sa faculté à résister au pressing lorsqu’il porte le cuir. Ça tombe bien, le Bayer se plaît à repartir de derrière. Tapsoba aime la propreté et ne va pas se contenter de récupérer les ballons dans les pieds pour s’en débarrasser. Toujours dans ce style glacial, il prend son temps et se permet de conduire la balle pour fixer voire éliminer l’attaquant et trouver ses partenaires. Le numéro 12 sait attaquer l’espace ou jouer la profondeur mais n’oublie pas de fluidifier le jeu d’une équipe au style enthousiasmant.
Esprit de glace parmi les feux follets
En effet, le Werkself va faire voyager le cuir au sein d’un dispositif flexible. Placé très haut, le Bayer cherche à créer des zones de surnombre pour y faire circuler la gonfle et attirer l’adversaire. Des failles s’ouvrent et sont exploitées au prix de passes tranchantes ou de dribbles bien sentis.
À la relance Tapsoba peut compter sur de nombreuses propositions : les appels d’un Havertz régalent. Ce n’est pas pour rien si le Burkinabé réussit 91.6% de ses transmissions. D’ailleurs il ne se contente pas de jouer court puisqu’il envoie 33.2 passes de plus de 25m toutes les 90 minutes. Plus gros total de Bundesliga (selon Fbref).
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Avec ce bel orchestre, Tapsoba a gagné 10 de ses 11 premiers matches (TTC) avec Leverkusen. En championnat, le club rhénan chasse la qualif’ à la Ligue des champions, mais n’a marqué que 4 points lors des 4 derniers matches. Lancé à toute allure, son Burkinabé tape aussi un peu dans le mur. Face au Bayern, il n’a pas été aidé par la frilosité de Hrádecký mais pour sa part, Edmond n’a pas été assez réactif. Son alignement au sein de la défense n’est clairement pas à montrer dans les écoles de foot et il est parfois naïf. Comme sur ce penalty concédé à Schalke, dû à sa faute de main peu évidente.
S’il gagne 60% de ces duels, et 55% de ceux qu’il dispute dans le trafic aérien (source : bundesliga.com), son mètre 92 et ses 82 kilos laissent supposer une marge de progression. En tout cas, Florent Hanin n’est pas surpris de son adaptation à l’intensité allemande. Il pense que le Burkinabé rejoindra dans quelques années « cette classe européenne dont le Bayern fait partie ». « C’est un garçon simple, quelqu’un qui sait où est sa place, ajoute le Français. Même à ce niveau-là il a tout pour réussir. »
Le futur du Burkina Faso
Et s’il « est assez facile pour lui d’apprendre les langues », Tapsoba a trouvé son professeur en Moussa Diaby. Le français farceur lui a fait découvrir les gros mots à l’allemande. Edmond se cultive, mais n’en n’oublie pas ses origines. « En signant à Leverkusen, (il) est devenu le joueur le plus cher de l’histoire du football burkinabé. Imaginez-vous… Il est un modèle aujourd’hui au Faso, le félicite Ablam Gnamesso. » Patron de la défense burkinabé, « il a toujours assuré » avec les Étalons, pour lesquels il a joué 8 matches.
« Tout le Burkina est fier de lui. » Et Tapsoba ne rigole pas avec cet amour pour son pays natal. Affecté par la situation géopolitique compliquée du Burkina, il a également tenu à soutenir la population durant la crise du Covid-19.
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« Tout est question d’attaque en Bundesliga – les équipes jouent pour ça. Quand on perd le ballon, on pousse immédiatement l’adversaire à le rendre. Cela peut parfois rendre la vie difficile en tant que défenseur, mais j’aime ça. » Auprès de The Athletic, Edmond clarifie beaucoup de points. Il aime la philosophie de son coach et de son championnat d’adoption mais surtout, Edmond ne risque pas d’être testé positif au stress.
Et il ne faudra pas craquer dans cette dernière ligne droite de Bundesliga. Rallier la C1 est un objectif mais le Bayer rêve aussi de trophées. De coupe d’Allemagne. De Ligue Europa. Neverkusen pourrait remballer ce triste surnom au placard en dépoussiérant une armoire à trophée mise sous clé depuis 1993. Tout ceci dépendra des prouesses offensives de ses virtuoses. Et de la solidité d’une défense menée par un jeune Burkinabé.
Finalement, Edmond Tapsoba ne serait-il pas comme nos footballeurs du dimanche ? Après tout, la pression, lui aussi il la boit. Mais lui, ne vise pas de finales consolantes. Son terrain de jeu c’est la BayArena, et son élégance ne s’évapore pas sous les regards brûlants d’une Europe qu’il a déjà conquise.
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