Chiesa à la Juventus : poker à l’italienne

Le dernier jour de mercato est toujours l’occasion d’assister à toutes sortes d’affaires : achats compulsifs, dans la panique, cadeaux de dernière minute faits aux entraîneurs ou dénouements de négociations ardues. Difficile de dire dans quelle catégorie entre le transfert de Federico Chiesa, qui a quitté la Fiorentina pour la Juventus à l’heure où le fax ne doit surtout pas tomber en panne. Mais aussi sûr que les différentes parties ont caché leur jeu du grand public durant la fin de l’été, la partie de poker n’est pas terminée entre Chiesa, la Viola et la Vieille Dame.

Une couleur, et la suite

Avant même ses débuts en pro en 2016 avec la Fiorentina (face à… la Juventus), Federico Chiesa était déjà attendu comme le plus gros talent offensif de l’Italie de demain, où peu s’en faut. Talent offensif, donc assez facilement intégrable en équipe première, il profite de la présence de Paulo Sousa sur le banc et de la perspective d’un calendrier enrichi par la Ligue Europa pour prendre du temps de jeu. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un scénario typiquement C3 qu’il ouvrira son compteur : en inscrivant à l’arrache d’un coup de tête le but de la victoire de la Fiorentina sur la pelouse accidentée des Azéris de Qarabag un soir de décembre (2-1).

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Deux mois après, la Viola verra l’Europe pour la dernière fois (éliminée en 16es par Mönchengladbach), avant de perdre de vue la première moitié du tableau en Serie A, et d’enchaîner chaque année les changements d’entraîneur. Malgré ce déclin du club, l’autoroute vers une place de choix dans le football italien reste ouverte pour Chiesa. Sa place déjà rapidement acquise dans le 11 se renforce, faisant de lui un indéboulonnable pour les saisons à venir. Participant à pratiquement l’intégralité des rencontres chaque saison, c’est logiquement que ses statistiques finissent par s’étoffer pour en faire une valeur plutôt sûre : 12 buts en 2018-19, puis 11 ainsi qu’un peu moins de 10 passes décisives à chaque fois au cours des deux derniers exercices. En bonus, quelques instants de grâce ou buts marquants, comme face au Milan ou une Roma aux abois, contre laquelle il inscrit un triplé en coupe en janvier 2019 (7-1).

La contrepartie à ce statut de joueur indéboulonnable et ultra-responsabilisé dans une équipe à la dérive ne comprenant pas de joueurs «référence» pour guider un talent si brut, c’est un enfermement dans les acquis du joueur. Ses qualités telles qu’elles sont lui permettent à lui et son équipe de surnager, alors Chiesa met sous cloche son évolution et son développement en tant que footballeur, faisant de certaines carences de jeunesse de véritables lacunes.

De base ailier au style brut, parfois rustre, aux courses tête baissée dans les épaules et aux changements de rythme dévastateurs, il n’est jamais devenu l’attaquant imaginé par Iacchini dans son 3-5-2 depuis un an aux côtés de Ribéry ou Vlahovic. Face à ses manques à la finition, loin des frappes chirurgicales de son paternel, sa tendance à foncer sans lever la tête, son manque de variation dans son jeu et globalement sa vision du jeu défaillante, l’homme à la casquette a dû tenter de reconvertir son n°25 en piston droit. Roberto Mancini a lui beaucoup expérimenté ces derniers temps pour trouver une possible alternative plus prolifique à celui qui était son premier choix sur l’aile droite pour sa nouvelle Squadra Azzurra (21 sélections, 1 but).

Petite blind et grand bluff

Le cocon florentin aura permis à Chiesa de se faire au haut niveau, de s’exprimer pleinement et étaler ses qualités. De découvrir le sens des responsabilités qui peut aller de pair avec son rôle. Mais après quatre saisons, le cocon est devenu bien étroit, étouffant, et l’heure est venue de déployer ses ailes. Rocco Commisso, boss de la Fiorentina depuis 2019 est clair. Chiesa est le coeur de son équipe actuelle, est destiné à être celui de la Viola de demain, et ne partira pas. Du moins, pas tant qu’un gros chèque n’arrive pas sur son bureau. Tarif réclamé aux tops clubs et à la Juventus parmi les prétendants italiens : 70M€. Un montant qui aura raison de pratiquement l’ensemble des intéressés, seule la Vieille Dame prêtant une oreille attentive aux paroles de Commisso, décidé à vendre sa pépite au prix de son potentiel et non pas à celui du joueur de 23 ans qu’il devient.

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Cet été, le casino mercato a ouvert. La Juventus, la Fiorentina et Chiesa se sont assis à une table dans un coin, à l’abri des regards, le Covid-19 dans le rôle du croupier redistribuant les cartes et bouleversant complètement le jeu. Le transfert se fait donc au dernier moment du mercato estival selon la formule suivante : Prêt payant à 2M€ la première saison, 8M€ la deuxième, et option d’achat à 40M€, obligatoire si le joueur inscrit 10 buts et 10 passes décisives ou participe à au moins 60 % des matches.

Une négociation bien plus souple que prévu qui laisse planer un grand nombre d’interrogations. Véritable détresse financière de la Fiorentina ou volonté de boucler le départ du joueur avant que les offres assez hautes ne disparaissent pour de bon ? De son côté, la Juventus pense-t-elle s’offrir un vrai plus immédiat pour son effectif et sa feuille de stats ? Le paiement très étalé du transfert ne dérogerait pas à la règle qui a régi tout le mercato bianconero, toutes les recrues ayant été signées selon ce genre de formule. Ou bien met-elle simplement Chiesa à l’épreuve comme un joueur au rendement encore douteux, en se protégeant de tout risque d’échec ?

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Le joueur, justement, a négocié jusqu’au dernier moment une prolongation de contrat avec la Fiorentina, au risque de faire sauter toute l’opération. Tenter de s’assurer un contrat de secours dans sa position avec les faveurs supposées de beaucoup de très bons clubs européens est une prise de risque curieuse qui pourrait laisser croire que lui-même n’est pas convaincu de sa réussite parmi le très haut niveau. Une inspiration peut-être venue de l’observation de la trajectoire du dernier Federico prometteur à avoir fait le voyage de Florence à Turin.

Côté terrain, difficile également de dire ce qu’Andrea Pirlo a prévu de faire de son nouveau joueur. Le champion du monde n’ayant encore jamais eu l’intégralité de son groupe à disposition, les tests sont encore en cours. Mais si le 3-2-3-2 amovible entraperçu durant les premiers matches devait subsister, possible que Chiesa se retrouve excentré dans une position de piston/ailier à la Cuadrado plutôt que sur la ligne des buteurs, là où ses qualités de percussion et son agressivité à la récupération du ballon seraient plus utiles. Là aussi où, l’objectif statistique nécessaire pour obliger la Juventus à payer 40M€ sera plus difficile à atteindre. La Vieille Dame serait alors libre de négocier un autre tarif, plus bas, surtout si des problèmes économiques devaient être confirmés à Florence.

Le Covid-19 a ajouté de l’opacité à une opération déjà noyée dans le flou. Les premiers éléments de réflexion clairs devraient heureusement arriver très vite. La Juventus étant confrontée à un calendrier ultra serré, privée de Ronaldo touché par le Covid, avec Dybala à réintégrer en même temps que les recrues offensives, il ne faudra pas longtemps pour voir Chiesa faire ses débuts en bianconero.

Crédit Photo : Icon Sport.

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