[Interview] Didier Roustan : «Maradona, c’est un personnage de roman»

Après avoir abordé le match insolite des trois frères, Ultimo Diez poursuit sa série consacrée à Diego Maradona. Didier Roustan, journaliste, spécialiste et proche du joueur argentin, nous a accordé de longues minutes de son temps par téléphone pour revenir sur la carrière d’El Pibe de Oro, l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football.

Ultimo Diez : À 12 ans, Maradona déclare à une télévision locale : «J‘ai deux rêves, disputer une Coupe du monde, et la remporter avec l’Argentine.» Cette force de caractère et cette confiance en lui étaient déjà présentes à ce jeune âge. C’est ce qui a pu faire la différence dans sa carrière ?

Didier Roustan : Les grands champions ont souvent cette confiance qui les habite. Parfois ils découvrent leur talent sur le tard et c’est un entraineur, un éducateur qui va leur apporter cette confiance. Je suis allé en 1995 à Villa Fiorito, c’est le bidonville où il habitait. Je n’ose pas imaginer ce que cela pouvait être avant. J’ai vu la première maison de Maradona où tout était entassé, là où il jouait, certaines personnes qui le connaissaient. Maradona, il faut bien comprendre que son environnement a beaucoup joué sur la suite de sa carrière et sur ce qu’il sera en tant qu’homme. Il a toujours été dans l’adversité.

Cela veut dire que quand tu nais et grandis dans un bidonville, même si tu as l’affection d’une famille, que tu te fais des copains, que tu joues avec quelque chose qui roule, même si ça ne roule pas, tu es dans l’adversité. Donc ou tu marches, ou tu crèves parce que c’est trop dur. Il a été forgé là-dedans, lui il savait qu’il avait un don et quelque chose de plus que les autres. Quand il avait 10-11 ans, il y avait des matches de Première Division d’Argentinos Juniors, c’était son premier club professionnel. Lui à la mi-temps, il faisait des jongles et il y a des gens qui venaient au match rien que pour voir ce spectacle, donc il a été habitué très jeune à une forme d’adversité, de pression car là tu jongles devant 15.000 personnes, il ne faut pas te rater. Un enfant ça rêve, et pour évacuer tout cet environnement, le rêve t’aide aussi, et donc il rêvait de ça et il l’a exprimé, car il a toujours gardé cette spontanéité qui passait aussi parfois pour une forme de naïveté.

«Maradona, un peu comme Bielsa, dégage une émotion particulière»

Idole de Boca Juniors, il ne joue en réalité que deux saisons en 1981 et 1982. Comment a-t-il marqué de son empreinte ce club, en ayant évolué seulement 2 saisons lors de son premier passage ?

Il marquait déjà le championnat argentin. Avant d’arriver à Boca, il a fait quelques saisons avec Argentinos Juniors, club qui a failli être champion alors qu’il n’avait pas grand-chose, si ce n’est Maradona. Il avait joué contre Boca Juniors et Hugo Gatti, qui était la grande star des gardiens de but et de Boca Juniors, avait dit dans la presse avant de jouer contre Argentinos Juniors : «C’est pas ce petit gros qui me fait peur, il risque pas de me marquer un but.» Argentinos Juniors a gagné 5-3 et Maradona a marqué 4 buts.

Donc Boca Juniors savait qu’il y avait une attente formidable de recevoir Maradona. L’année où ils ont été champions, c’est dans la seconde partie de la saison que Maradona fait la différence. Dans la première partie, c’est Miguel Ángel Brindisi qui sera le meilleur. Mais Maradona, un peu comme Bielsa, dégage une émotion particulière. Au-delà de son jeu, c’est quelqu’un qui dégage une émotion. Maradona, par rapport à ses gestes, à ce qu’il est, il a une espèce de magnétisme qui fait que, bien qu’il ne soit pas resté longtemps, il a marqué de son empreinte cette période et ce club.

À Barcelone, son passage reste mitigé. 38 buts en 58 matches, mais son aventure laisse un goût d’inachevé, comment tu l’expliques ? Est-ce lié à ses sorties, la drogue ?

Non. L’élément le plus important, c’est sa blessure et l’agression de Goikoetxea qui va lui briser la cheville. On le dira même perdu pour le football. Pendant de longs mois, il va souffrir le martyr sur les tables d’opération, de rééducation. C’est ça qui va lui couper les ailes.

Didier Roustan en compagnie de Diego Maradona.

Didier Roustan en compagnie de Diego Maradona.

Déjà, il faut savoir que Barcelone, c’est une autre époque dans les années 1980. Ce n’était pas la machine de guerre de ces 15 dernières années. C’était l’une des meilleures équipes d’Espagne, mais pas une des meilleures équipes d’Europe. Donc il était entouré de bons joueurs mais pas de grands joueurs. Il a attiré vers lui beaucoup de haine des autres clubs, parce qu’il y a aussi un coté régionaliste en Espagne qui est très prononcé. Tu ne joues pas contre Barcelone quand tu es Basque, tu joues contre la Catalogne. En plus, à l’époque le championnat d’Espagne était le plus violent du monde, donc c’était difficile de s’exprimer et malgré tout, sur les deux saisons où il est resté, il a réussi des choses qui sont restées dans les mémoires.

«Maradona, c’est un affectif»

Je crois qu’il a été élu l’une des deux saisons, meilleur joueur du championnat espagnol (1982-83, ndlr), et l’autre saison comme il était blessé c’était impossible. Donc ce n’est pas un échec. L’échec c’est que Maradona a estimé qu’il n’était pas protégé par les dirigeants de Barcelone et notamment du président de l’époque, Núñez.

Maradona c’est un affectif, il est toujours très aimé de ses partenaires parce que c’est le partenaire idéal qui s’intéresse toujours aux joueurs, quelqu’un de très simple qui ne se prend pas pour une diva par rapport à ses partenaires. Faut qu’il sente cette affection au niveau des dirigeants, et il y a toujours eu ce côté bourgeoisie catalane illustrée par le président Núñez. Le genre d’homme plus politique que sportif… Il y a toujours eu cette barrière. Maradona n’a jamais caché ses origines modestes, ne s’est jamais pris pour un prince, c’était quelqu’un de simple. Il n’a pas voulu faire l’effort de faire des manières, donc ce barrage l’a beaucoup touché et c’est pour ça qu’il a voulu partir.

Diego évoluait dans un football totalement différent. Bien plus rugueux et agressif, mais avec plus de libertés tactiques. Serait-il plus épanoui dans le football d’aujourd’hui avec un arbitrage bien plus encadré qu’à l’époque, mais dans un football en pleine crise d’identité ?

Dans le football d’aujourd’hui, ça serait beaucoup plus facile pour lui parce que le football est beaucoup plus porté sur l’attaque. Les défenseurs ont de meilleures qualités offensives qu’avant mais pas défensives, car ils en oublient leur métier premier qui est de défendre. Les terrains sont de bien meilleure qualité. Toutes les pelouses sont des billards. Avant il y avait des champs de patate même en Première Division espagnole, italienne etc. Les joueurs, les attaquants, les créateurs sont protégés dans le football d’aujourd’hui, donc il ferait un massacre, c’est évident.

«Tu sais pourquoi il a réussi ce but contre l’Angleterre ?»

La Coupe du monde 1986, l’apogée de sa carrière ? L’Angleterre, le match de sa carrière ?

À partir de 1982, ça va être compliqué pour lui car il va tomber dans la drogue, un certain déséquilibre émotionnel qui l’a toujours accompagné mais qui va s’accentuer. Il va y avoir des hauts et des bas avec des fulgurances et des choses magnifiques. Pour la Coupe du monde 1986, il est au sommet de sa carrière technique. 4-5 ans avant, c’était le même joueur quand il jouait encore en Argentine, mais c’est un joueur bien plus complet d’un point de vue tactique car il est à Naples, et ce passage en Italie l’a enrichi sur le plan tactique. Sur le plan physique, il a décidé d’être le plus sérieux possible et il s’est préparé merveilleusement bien pour cette Coupe du monde. En ce sens-là, on peut dire qu’il est à l’apogée de sa carrière bien qu’il le soit constamment. Il avait ce but ultime de gagner la Coupe du monde et de la ramener avec l’Argentine.

Le match contre l’Angleterre (en quarts de finale, ndlr) va montrer l’ombre et la lumière de Maradona. Il a déjà réalisé des matches plus complets. Là il va tout y avoir, car il y a cette part d’ombre qui fait que c’est un enfant des rues et que les règles, si on ne te voit pas, on les transgresse, hop là, ni vu ni connu. C’est son premier but qui n’est pas très glorieux quelque part, et puis après il va y avoir le génie sur le deuxième. L’action on la connait, mais tout le déroulement de cette action est extraordinaire parce que Valdano, attaquant de cette équipe, me dira un jour qu’il a poursuivi toute l’action. Sous la douche il dira à Maradona : «Diego tu sais quand tu es parti de ta propre partie de terrain, moi j’ai suivi tout le long car je pensais que tu allais me l’a donner.» Et Maradona lui répondra : «Je sais, chaque fois que je faisais un dribble, je me disais, peut-être que je vais la donner à Jorge.» Ça veut dire que lui dans sa tête, il se passait 10.000 choses !

Mais pire encore, un moment avant que Maradona n’entre dans la surface, il est idéalement placé et Burruchaga me dit, en connaissant l’anecdote de Valdano : «Moi aussi je poursuis l’action et à un moment je suis à l’entrée de la surface, et là il peut me la donner et je pense qu’il va me la donner.» Et Maradona lui dit : «Bien évidemment que je te t’ai vu, je voyais Jorge, mais je te voyais aussi dans ta progression et je sais aussi que je pouvais te la donner, mais je suis allé au bout de cette action.» Tu sais pourquoi il a réussi cette action ? Parce que quelques années auparavant à Wembley, il y a un match Angleterre-Argentine.

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Il y a la même action où il part d’un peu moins loin. Simplement à la fin de l’action où il est déporté sur le côté droit, il fait une frappe mais trop croisée. Il téléphonera à son frère, «El Turco» : «Tu as vu cette action géniale ?» Et en guise d’être complimenté, son petit frère va l’engueuler et lui dira «Tu n’aurais jamais dû tirer de ton mauvais pied, tu aurais dû dribbler le gardien et marquer dans le but vide.» Il a aussi ça dans le cerveau quand il fait cette action, il pense à El Turco et à tout ça en une fraction de seconde, tu vois le génie. Le génie c’est l’inspiration, et en plus dans la difficulté. Les génies en temps normal quand ils sculptent, écrivent, composent quelque chose, il n’y a pas un mec derrière qui te vire du piano. Là en plus il y a l’adversité, le génie c’est ça, Maradona est un génie.

En 1984 lorsqu’il rejoint Naples, peut-on imaginer que l’impact de Diego va permettre à Naples, dont le palmarès se résume à quelques Coupes d’Italie, de connaitre son âge d’or ?

Non, on ne peut pas l’imaginer parce que lorsqu’il arrive à Naples, c’est une équipe qui est moyenne dans la seconde partie du championnat. La première année où il arrive, ce sont des coéquipiers qui sont des bons joueurs sans plus. La Juve domine largement, et il y a d’autres équipes aussi dans le secteur. Donc on pense que Naples va être mieux, mais gagner le championnat quelques années plus tard, et le regagner après, ça parait inimaginable.

En 4 ans, Naples change complètement de dimension, remporte deux fois la Serie A et une Coupe de l’UEFA. Notamment face à la Juve de Dino Zoff et l’AC Milan d’Arrigo Sacchi. Le plus grand exploit de sa carrière ?

Le plus grand exploit de sa carrière ? Bon il y en a plusieurs, d’un point de vue ponctuel c’est la Coupe du monde, avec une équipe où tout est axé autour de lui et qui est très défensive. Il n’y a pas beaucoup de partenaires créatifs sur lesquels s’appuyer, hormis Burruchaga et Valdano. Donc ce n’était pas facile, on ne va pas dire qu’il gagnait les matches tout seul, car sans cette solidité défensive et ce groupe très compact et homogène, tu ne peux pas gagner un match. Donc d’un point de vue ponctuel on peut dire que c’est la Coupe du monde. Mais d’un point de vue général, ce qu’il a réalisé avec Naples parait être l’exploit le plus retentissant.

«Maradona touche toutes les couches de la société, même les gens qui n’aiment pas le football»

Au-delà de son apport sur le terrain, Maradona devient une icône à Naples par rapport à ses origines populaires, à ce qu’il dégage en dehors du terrain ?

Oui mais il est devenu une icône populaire dans le monde entier. Où qu’aille Maradona, il crée une émeute. Ça veut dire que si Maradona arrive à Tahiti à l’aéroport à 5h du matin, sans être annoncé, tu vas avoir à un moment, une fourmilière qui va se greffer autour de lui. Il crée ça, ce qui est très usant et fatiguant pour lui. C’est une icône planétaire, ça dépasse le cadre du footballeur.

Il n’a jamais refusé ses origines modestes, il en était fier. À Naples, il était au bon moment au bon endroit parce que Naples était un club fait pour lui. L’Argentine, c’est un pays de football fait pour lui aussi. Donc oui, ses origines populaires et le fait de s’intéresser aux gens, de prendre des risques, de se positionner, ça a toujours beaucoup plu même si parfois il a pu se tromper dans ses déclarations, ses choix et ses fréquentations. Mais il touche toutes les couches de la société, même les gens qui n’aiment pas le football. Maradona c’est un personnage extrêmement romanesque, un personnage de roman, ça dépasse le cadre du football.

Peux-tu nous parler de ce rendez-vous manqué avec l’OM ? Était-il OM-compatible ?

Ça s’est joué à peu de choses pour qu’il aille à l’OM. Je pense que, comme Marseille est un petit Naples, il aurait été comme un poisson dans l’eau. Il aurait réussi de grandes choses et le public aurait été émerveillé. Il y aurait eu une osmose formidable entre la ville de Marseille et lui. La même à un degré moindre de Naples parce que c’est plus démesuré. C’est la même fratrie, même lignée, ça aurait marché évidemment.

La Coupe du monde 1990, son plus grand regret ? Supporté par une partie des Napolitains, hué par le reste de l’Italie, il élimine l’Italie avant de s’incliner en finale face à l’Allemagne de l’Ouest.

Maradona c’est un sentimental, mais il ne vit pas forcément avec des regrets. Il a joué toute la Coupe du monde avec une cheville qui était une grosse pomme de terre. Il y a eu un match miraculeux face au Brésil (en 8ème de finale, 1-0, ndlr), les tirs aux buts face à l’Italie (1-1, 4-3 aux t.a.b.). Ça laisse des regrets car deux joueurs importants ont été injustement suspendus pour la finale, notamment Caniggia, donc ils n’ont pas joué avec toutes leurs forces. Le penalty accordé à l’Allemagne à quelques minutes de la fin est extrêmement douteux et il y a beaucoup de choses troubles qui tournent autour de ce penalty (score final 1-0). Mais cela a été extrêmement douloureux pour lui, car au-delà de la défaite, il est devenu l’ennemi public numéro 1 en Italie parce qu’il les a éliminés. C’était le début de la fin de cette aventure amoureuse avec l’Italie. C’est plus ça qui a été douloureux.

«Personne ne peut mettre des chaines à Maradona»

Sa fin de carrière n’est pas un long fleuve tranquille avec ses problèmes liés à la drogue. Il boucle la boucle à Boca entre 95 et 97. Que retenir de ce retour ?

Ce retour aux sources, ça s’est joué à peu de choses d’être champions. À 3 journées de la fin, ils étaient en position de force pour être champions et ils perdent un match bête à domicile contre le Racing de Buenos Aires 4-6, où ils prennent 3 buts dans les 20 premières minutes. Donc c’était beau qu’une autre génération découvre Maradona, parce qu’il revient 15-16 ans plus tard, une génération qui ne connaissait pas Maradona. Il était important qu’il boucle la boucle.

Il a failli être champion, il ne l’a pas été, ce n’est pas bien grave. Pour moi qu’il soit encore vivant, c’est un miracle. C’est merveilleux qu’il soit encore en vie, qu’il ait réussi ce qu’il a fait en tant qu’entraineur notamment au Mexique (Dorados de Sinaloa, ndlr) où à deux reprises il a joué les phases finales et a failli les faire monter. Ce qu’il a réussi avec Gimnasia La Plata en Argentine, où il les a sauvés de la relégation. Tout cet amour qui est donné par les Argentins à chacun de ses déplacements, comment il est reçu dans les stades et par les supporters adverses, c’est beau.

La personnalité excentrique de Diego aurait-elle sa place dans le football actuel où la communication est de plus en plus contrôlée ? Cette personnalité pourrait s’exprimer ?

Ce serait compliqué pour les dirigeants qui ont peur de leur ombre. Maradona est incontrôlable, il serait comme il est. Maradona tu le prends comme il est ou tu ne le prends pas. Tu le prends avec ses excès. Jamais les gens s’en sont plaints, car avec tout ce qu’il apporte comme amour et résultat, le jeu en vaut la chandelle. Mais ça peut donner quelques nuits blanches. C’est du pain béni pour les journalistes et les gens en général parce que ce milieu est de plus en plus aseptisé. Personne ne peut mettre des chaines à Maradona.

Par rapport à Maradona, «Messi est plus métallique»

«Savez-vous quel joueur j’aurais été si je n’avais pris de drogue ?» Est-ce que Diego, l’un des meilleurs joueurs de l’histoire du football, peut être considéré comme un joueur qui pouvait faire encore plus ?

Aujourd’hui, le football se concentre sur 7 ou 8 équipes. Forcément tu es entouré de cracks. Évidemment tu es meilleur quand tu donnes le ballon et que tu es sûr de le revoir. Si les attaquants font les bons déplacements, tu es meilleur si les défenses sont plus déséquilibrées avec plus d’espaces. Le jeu va plus vite, mais lui va vite dans sa tête et techniquement, donc ce n’est pas un problème pour lui. Aujourd’hui il serait meilleur. Mais sur la période de foot qu’il a connu, s’il n’avait pas touché à la drogue, je ne sais pas s’il aurait été meilleur.

De toute manière, je pense que la drogue a été pour lui une échappatoire. On ne peut pas comprendre si on n’a pas fréquenté Maradona, si on ne connait pas le côté étouffant de la presse, des supporters. Je ne dis pas que c’est bien ce qu’il a fait, au départ il l’a fait pour soulager la douleur qu’il avait avec sa fracture. Mais il y avait un tel déséquilibre par rapport au poids qu’il avait sur les épaules qu’il lui fallait ce dérivatif pour qu’il y ait une porte. Je ne dirais pas que ce déséquilibre l’a aidé, mais c’était un mal nécessaire.

Diego incarnait le temps des dribbleurs dans le foot. Arsène Wenger et James Rodriguez évoquent un poste en disparition dans le football moderne. Qu’en penses-tu ?

Il disparait parce que tu ne peux plus dépendre d’un seul joueur, de la forme d’un joueur. S’il est neutralisé, tout se bloque. Autrefois le 10 avait une influence très grande sur la création du jeu et des actions offensives de son équipe. Maintenant, j’ai l’impression que la tactique étouffe de plus en plus les joueurs. Le joueur doit rester dans une zone bien déterminée par rapport à un équilibre alors que le 10 n’était pas dans une zone. Il balayait plusieurs zones, donc c’est l’évolution du football qui fait ça. Je trouve ça dommage mais il doit y avoir une raison si tout le monde fait ça pour l’efficacité.

Comment tu différencies le jeu de Leo Messi et de Diego ? Comment expliques-tu cette différence entre la popularité de Diego et Leo en Argentine ?

Le jeu, il y a beaucoup de similitudes parce qu’il y a la même morphologie, un talent immense, les deux sont gauchers, sont dribbleurs, explosifs. Je trouve qu’il y a un lien très fort entre les deux. Les footballs sont différents, même si Messi devient maintenant plus distributeur que de conclure les actions comme dans la première partie de sa carrière. Maradona est plus populaire ? Messi n’a jamais joué en Argentine… Ce n’est pas un étranger, les Argentins sont très fiers de Messi, et quand il y a un match de l’Argentine, tout le monde a un maillot de Messi. Mais il y a un côté plus romantique chez Maradona qui touche le cœur des gens, alors que Messi c’est plus métallique.

Ce n’est pas seulement lui, c’est aussi parce que le football est devenu plus métallique, la part de romantisme s’est perdue. Messi tous les 3 jours il doit être le meilleur, Barcelone doit gagner. Il serait difficile pour lui d’être comme Maradona, mais il n’a pas eu la même trajectoire de vie, pas le même caractère et Maradona parait plus humain, se rapproche plus des galères des gens, avec des hauts et des bas.

«L’Ultimo Diez, c’est Riquelme»

Ton souvenir le plus marquant du joueur ?

C’est difficile de sortir un souvenir plus qu’un autre, qu’il soit d’ordre intime puisque je l’ai fréquenté de très près pendant 4 ans. La chose la plus marquante pour moi d’un point de vue intime, c’est le jour où il m’a demandé de venir manger chez lui où il y avait toute sa famille, sa femme Claudia, son papa, sa maman. Ils ont préparé un asado et ce qui m’a marqué, c’est sa simplicité. On se connaissait assez peu à l’époque, il faisait tout pour me mettre à l’aise, sa gentillesse et sa simplicité, ça c’est un fait marquant parce que vécu de l’intérieur. Après d’ordre général, ce qui m’aura toujours marqué chez lui, c’est son courage physique et mental outre son talent.

En quoi Diego peut être considéré comme l’Ultimo Diez ?

L’Ultimo Diez je pense que c’est Riquelme. Dans l’esprit des supporters de Boca Juniors, il est au-dessus de Maradona parce qu’il est resté plus longtemps, il a gagné des Copa Libertadores, des championnats du monde des clubs à deux reprises. L’Ultimo Diez, c’est quand même Riquelme.

Merci à Didier Roustan pour son temps accordé.

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Sinon, c'est si cool que ça d’être champions ?