Entre la perte de revenus et des protocoles sanitaires contraignants, la pandémie de Covid-19 plonge de nombreux clubs amateurs dans la crise. Mais derrière la santé financière de ces associations, c’est surtout la vie sociale des territoires qui se joue.
«Nous avons dû annuler le tournoi de palet du 7 novembre. Nous attendions une centaine de participants, et pas que des personnes du club.» Le ton grave, Christophe Chartier a du mal à cacher sa déception. Au mois de mars, le président du petit club de football CAS Possosavenières dans le Maine-et-Loire avait déjà dû faire une croix sur le bal qu’il organise chaque saison. En juin, le festival de reggae créé par les joueurs n’a pas pu se faire non plus. «On attendait entre 700 et 800 participants. Le but était de récupérer un peu de sous mais aussi de se retrouver entre habitants du coin et faire de belles rencontres.» La cause de ces annulations ? La crise sanitaire.
Depuis la mi-mars, la pandémie de Covid-19 chamboule les activités de près de 15 000 clubs de football amateur. Quelques deux millions de licenciés, soit 10% des sportifs inscrits dans un club sportif, ont été contraints de raccrocher les crampons pendant de longues semaines. Le ballon rond est à l’arrêt, les manifestations extra sportives des clubs aussi. Leur suppression représente un manque à gagner conséquent pour ces petites structures associatives aux budgets étriqués. Mais derrière la santé financière des clubs, c’est la vie sociale des territoires qui se joue. En huit ans, près de 3000 clubs ont fermé selon les chiffres du laboratoire SHERPAS, spécialisé dans la recherche sur la pratique sportive. Les causes de cette disparition sont multiples mais la crise sanitaire pourrait accentuer la tendance.
Ah, le football en district. Ses mains courantes, ses gueules de bois du dimanche matin, ses terrains en pente… et ses clubs qui meurent à petit feu dans les zones rurales. https://t.co/9TiPYwNq9x
— SO FOOT (@sofoot) July 19, 2019
Asphyxie financière des clubs
Survêtement noir et blanc du club sur les épaules, Timothé Barbeau est assis à la table du club-house du SomloirYzernay CP Foot. Il y a 20 ans, il faisait ses premiers pas en crampons sur le terrain qui borde le bâtiment. Aujourd’hui, il joue toujours au poste de milieu défensif. En juin dernier, il est surtout devenu président du club. Au-dessus de lui sont accrochés les portraits des différentes équipes. Les joueurs du dimanche posent sourire aux lèvres et soleil dans les yeux, parés du maillot floqué «Pitch», sponsor historique de ce petit club du sud du Maine-et-Loire. «L’entreprise Pasquier a été fondée aux Cerqueux, l’une des quatre communes de la fusion, avec Somloire, Yzernay et La Plaine, raconte avec enthousiasme le dirigeant de 25 ans. Des membres de la famille ont porté les couleurs du club. Aujourd’hui, Pasquier continue de fournir le goûter pour les petits. Ils ne sponsorisent pas que les pros en Coupe de France.»
La crise sanitaire met la trésorerie des petites structures sportives à rude épreuve. «Nous avons perdu presque toutes nos sources de financement», constate Timothé. À savoir le carré d’as partenaires locaux, licences, manifestations (bals, lotos, etc), buvette, auquel il convient d’ajouter la billetterie pour les clubs semi professionnels. «Sur une saison, la buvette représente 35 000€, soit un tiers de notre budget total. Mais avec le Covid-19, impossible de l’ouvrir», explique-t-il, les yeux rivés sur son fichier Excel.
Heureusement, le confinement a aussi offert un sursis bienvenu aux associations sur le plan financier. En sifflant l’arrêt des activités sportives le 30 octobre dernier, l’État a permis aux clubs de minimiser leurs charges de fonctionnement. «Nous n’avons plus à payer les arbitres, plus de frais de déplacement, plus d’éducateurs», confie Christophe Manceau, président de l’Olympique SalTourVezinsCoron, le club voisin. Et encore heureux, car il n’y a plus de rentrée d’argent.» Dans ces villages, l’entretien des vestiaires, des terrains et les factures d’électricité restent à la charge de la municipalité.
Les clubs ont aussi bénéficié des aides débloquées par les instances du football français. En juin dernier, la Fédération Française de Football (FFF) a mis en place un fonds de solidarité de 30 millions d’euros pour aider les clubs à renflouer les caisses. Chaque association a touché dix euros par licencié. Sur ces dix euros, sept provenaient de la Fédération nationale, deux de la Ligue régionale et un du district, la plus petite subdivision territoriale du football.
Les clubs amateurs, «variable d’ajustement du football français»
Une aide considérée comme très insuffisante par Éric Thomas, président de l’Association Française du Football Amateur. Voilà des années qu’il milite pour une meilleure prise en compte du football d’en bas. «Les petits clubs sont toujours considérés comme la variable d’ajustement du football français, s’indigne-t-il. Quand la fédération de rugby met 35 millions d’euros sur la table pour 1900 clubs amateurs, la FFF met 30 millions pour nos 15 000 clubs. C’est risible.» Conscientes de la fragilité financière des clubs, certaines ligues ont décidé de suspendre les prélèvements qu’elles effectuent sur les licences. «La conjoncture impose de se serrer les coudes pour repartir du bon pied tous ensemble dans quelques mois», explique Jérôme Clément, directeur général de la Ligue des Pays de la Loire.
Face à l’accumulation des difficultés, certains dirigeants ont jeté l’éponge. En août, Yoann Bares, président de l’US Beychevelles depuis trois saisons, a démissionné. Depuis près de dix ans, il donnait de son temps dans ce petit club girondin : «Moralement, cela a été dur. Je ne me sentais pas capable d’assurer la sécurité sanitaire des joueurs compte tenu de nos moyens. Et puis, jouer en faisant une croix sur les moments de partage, quel sens cela a-t-il dans un club de village ?» Derrière ces difficultés économiques, c’est bien la vie sociale des territoires qui est en jeu «Dans les petits villages, il ne reste bien souvent que le club de foot, le bar et quelques classes à l’école. Quand l’un ou l’une ferme, on assiste à un drame social qui ne fait pas de bruit», déplore Éric Thomas.
Didier Deschamps sur l'état financier du football français : "Il ne faut pas oublier le foot amateur qui l’est encore plus… Avec les droits tv qui sont en suspens, ça rend les clubs français fragiles."#Europe1 https://t.co/2Wjm02f5Rk
— infos non stop (@ActusNonStop) December 21, 2020
Sur les bords de Loire, à quelques kilomètres d’Angers, Jacques Genevois administre depuis sept ans la commune de La Possonnière et ses 2400 habitants. Lorsqu’il entend les clameurs descendre du stade, il lui arrive d’y monter pour aller voir ce qu’il s’y passe. Selon l’élu de 59 ans, le sport permet «de tisser des liens d’amitié très rapidement». Pour lui, la participation des clubs à la vie de la commune va bien au-delà des activités sportives : «Il y a le loto, la belote, la soirée fléchette, la choucroute des uns, le couscous des autres. Ces animations sont vitales pour la vie du village.»
À LIRE AUSSI – Un an après la Coupe du monde, où en est le football amateur français ?
C’est au nom de cette mission sociale qu’à Saint-Julien Beychevelles, Jean Berroa, 25 ans, a décidé de reprendre la présidence du club après la démission de Yoann Bares. Originaire de ce petit village du Médoc d’environ 600 âmes, Jean connaît par cœur la route qui mène au terrain planté au milieu des pieds de vigne. «J’ai toujours joué dans ce club. Mon père en a été le président. Pour moi, il était impensable de le voir disparaître l’année de ses cent ans», confie-t-il. Il peut surtout compter sur la solidarité infaillible des bénévoles et licenciés : » Si le club fonctionne malgré les mesures sanitaires, c’est avant tout grâce aux dirigeants et aux licenciés qui font respecter les règles et veillent les uns sur les autres ». Le jeune homme ne s’investit pas que dans le football : «Je suis membre du comité des fêtes. Si son existence était menacée, je me présenterais pour le reprendre. Ces structures font vivre le village. Sans elles, nous n’aurions plus d’animation.»
Sur le terrain plutôt qu’à l’abribus
Le club de football remplit aussi une importante mission éducative. Médaillé d’argent de la jeunesse et des sports pour son engagement de longue date dans l’associatif sportif, Jacques Genevois est bien placé pour en parler. Il a exercé en tant qu’éducateur avant de présider l’école de rugby du SCO d’Angers. En six ans, il a vu passer sous sa responsabilité «plus de 250 gamins âgés de 6 à 16 ans». «J’ai déjà eu affaire à des jeunes difficiles, raconte-t-il. Le défi était d’apprendre à communiquer avec eux pour ensuite les remettre dans un chemin plus vertueux. Aujourd’hui, ces gamins sont adultes et sont devenus des amis.» Et d’ajouter dans un sourire : «Lorsqu’ils sont à l’entrainement, ils ne sont pas en train de trainer à l’abribus pour faire des conneries.»
À Trappes, Mustapha Larbaoui a fait de l’apprentissage citoyen à travers le football le cœur de son combat. Président de l’Étoile Sportive de Trappes de 2003 à 2017, le pharmacien a passé ses week-ends à arpenter les terrains des Yvelines accompagné de ses jeunes licenciés. «Le football peut être vu comme une métaphore de la vie citoyenne, explique l’ancien dirigeant. Lorsque l’on joue, il y a deux équipes. Il faut respecter les adversaires car ce sont des joueurs comme vous. Ce sont vos concitoyens. L’arbitre représente l’institution, c’est un peu la police. Je respecte les règles car sinon, je serais sanctionné.» En 2015 sous son impulsion, le club a même mis en place des cours de soutien scolaire gratuit pour les jeunes de l’association. Devenu maire, Jacques Genevois est conscient que son parcours sportif l’a aussi guidé vers ce rôle d’élu : «Le fait d’avoir dû prendre des responsabilités dans le cadre sportif m’a certainement aidé à m’investir dans la vie politique.»
À LIRE AUSSI – Podcast Off The Pitch #4 : Mediapro, escroquerie, LFP en PLS, avec Pierre Maes
Les clubs prennent en tout cas ces rôles très au sérieux. Durant le confinement, ils ont essayé de garder le contact avec les plus jeunes. Sur l’écran d’ordinateur de Timothé Barbeau, les enfants de l’école de football enchainent les jonglages chez eux, entre la table de jardin et les parterres de fleurs. «Nous avons organisé un tournoi de jonglages à distance, raconte-t-il. Les parents ont pris leur enfant en vidéo puis nous les avons mises sur le site internet du club. Les enfants ont adoré, les parents aussi». Timothé examine les footballeurs en herbe d’un regard amusé mais aussi attentif. Certains ont tout juste dix ans mais atteignent déjà la barre des deux cents. Le dirigeant est satisfait des progrès effectués par ses jeunes troupes.
Les voitures comme vestiaires
Depuis le 28 novembre, les consignes des éducateurs résonnent de nouveau aux abords des stades municipaux. Le gouvernement a autorisé la tenue des entrainements pour les mineurs de moins de 16 ans. Les adultes ont eux aussi retrouvé le chemin des pelouses d’entrainement mais les contacts sont interdits. Les clubs demeurent cependant partagés à l’idée de reprendre. «Nous sommes heureux de pouvoir accueillir les plus jeunes car ils en avaient besoin, témoigne Christophe Chartier. Mais cela signifie aussi le retour des charges.» Christophe Manceau aussi s’inquiète d’une éventuelle reprise des compétitions en 2021 sans pouvoir rouvrir la buvette : «Nous ne pourrons pas piocher éternellement dans la réserve.»
À LIRE AUSSI – Éric Aderdor : « Il faut redonner la parole aux clubs »
À ces difficultés financières s’ajoutent des protocoles sanitaires parfois difficiles à mettre en place. Il faut prévoir le gel, installer la signalétique pour assurer la distanciation sociale, faire la police pour que les règles soient respectées. Les joueurs, eux, n’ont pas toujours accès aux vestiaires. «Avant le confinement, j’ai vu les gars de l’équipe première se changer dans les voitures et repartir chez eux sans prendre de douche, témoigne Timothé. Imaginez la situation en hiver lorsque les terrains sont gorgés d’eau…» Aujourd’hui, les entrainements des plus jeunes ont repris et le président ne peut toujours pas ouvrir les vestiaires.
Pas de quoi démotiver Timothé. «Il est hors de question de baisser les bras face à la crise sanitaire», répète-t-il. Notre mission reste la même : assurer les activités pour nos licenciés et en attirer d’autres ». De son côté, l’État a consenti à de nouveaux efforts pour soutenir les clubs. Le 18 novembre, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place en 2021 du «pass sport», un dispositif pour inciter les jeunes à pratiquer une activité sportive. Une aide supplémentaire de 15 millions d’euros a aussi été débloquée pour les petits clubs (non-employeurs) ne pouvant pas bénéficier des aides de droit commun. Timothé, lui, ne se fait pas d’illusion : «Où en serions-nous si nous avions attendu que les instances nous sauvent ? Le plus important pour surmonter la crise, c’est notre solidarité et notre ancrage local.»
Crédits photo : Firo / Icon Sport.