Juventus version Pirlo, ébauche d’une toile de maître par un novice

Cet été, Andrea Pirlo a été nommé expressément par Andrea Agnelli et à la surprise générale entraîneur de l’équipe première de la Juventus, après avoir été initialement intronisé coach de l’équipe U23 en Serie C. Une phase de poules de Ligue des Champions et 13 matchs de Serie A plus tard, l’heure est au premier check-up pour la Vieille Dame.

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C’est peut-être une première à un tel niveau. Signer pour prendre place sur le banc chez les jeunes pour se faire la main, puis être propulsé dans le grand bain… avant même d’avoir mis les pieds au centre d’entraînement. Entre masse salariale trop importante et frais monstrueux pour financer le départ de Maurizio Sarri, la liste des candidats au banc bianconero s’est vite vue privée de tout nom de renommée mondiale. Andrea Agnelli a donc réitéré une opération menée il y a 10 ans. En outrepassant la hiérarchie et les responsabilités au sein du club, notamment celles de Fabio Paratici très fragilisé durant la saison, et en décidant donc lui-même du nom du futur entraîneur. La dernière fois, Antonio Conte avait été l’heureux élu, lui qui venait de terminer 2e de Serie B avec Sienne. Cette fois, c’est Andrea Pirlo, qui vient de… passer ses diplômes.

Espoir, inquiétude ou agacement, les sons de cloche ont été de toutes sortes parmi les tifosi une fois le choix annoncé. Et après ces premiers mois de compétition, aucun ne s’est tu. Sur le plan comptable, Andrea Pirlo souffre de quelques comparaisons avec son prédécesseur. Si le côté « laboratoire » et la recherche de la bonne formule à ce stade de la saison sont communs aux deux hommes, le Napolitain avait lui bouclé ses 13 premiers matchs de Serie A avec 11 victoires et 2 nuls. Le tout en s’offrant, même dans la douleur, le Napoli ou l’Atalanta, ainsi que l’Inter à San Siro de façon beaucoup plus convaincante.

La Juve de Pirlo, elle, a gagné 6 fois, fait 6 nuls, et s’est inclinée lors du dernier match en date contre la Fiorentina dans des conditions rocambolesques. De plus, aucun grand nom n’apparaît au tableau de chasse de la bande à Ronaldo pour le moment en Serie A. Des nuls pour limiter la casse d’entrée à Rome (2-2) ou contre Vérone (1-1), un autre plus évitable à Rome encore, contre la Lazio (1-1), et enfin un dernier contre l’Atalanta (1-1), mal payé quand on sait que le but du 2-0 de Chiesa a été refusé parce que le gardien adverse a pris le ballon dans le nez. Enfin, le Napoli s’est vu accorder miraculeusement par le Comité Olympique (qui n’a normalement aucun pouvoir sur la décision du tribunal sportif) le droit de jouer plus tard le match auquel il ne s’était pas présenté au Stadium.

Une comparaison entre coachs qui pourtant tient difficilement la route tant le contexte diffère. Sarri était arrivé avec ce qui s’apparentait à une révolution footballistique pour le club, avec une préparation et 6 matchs de pré-saison à disposition. Pirlo affiche lui la même ambition, sans préparation et une opposition d’entraînement contre Novara avec un XI pour chaque mi-temps avant de faire le grand saut dans un championnat où l’on joue tous les 3 jours. Surtout, l’ex n°21 dispose enfin de son groupe au complet pour la première fois… ce lundi 28 décembre. A l’occasion de sa première semaine d’entraînement sans match depuis sa prise de fonction. Chose qui implique entre autres l’absence de Paulo Dybala depuis le début de saison, pris entre sa blessure estivale et une infection contractée juste avant de revenir. Et quand on sait à quel point le MVP de la Serie A 2019-20 avait pesé pour maintenir l’équipe de Sarri à flot…

Au-delà des chiffres, ce démarrage directement en 5e vitesse dans une côte implique fatalement que la Juve cale en terme de contenu. Comme promis, Pirlo prône un jeu ultra-offensif qui tranche complètement avec tout ce qui a été vu auparavant. Si le 4-4-2 le plus simple et rigoureux est de mise quand l’équipe n’a pas le ballon, c’est un 3-4-1-2 qui est le plus souvent mis en place avec ballon. L’idée de Pirlo, comme avancé dans sa thèse, est de proposer 5 solutions vers l’avant pour maintenir la défense adverse sous pression, entre gestion de la largeur et appels en profondeur multiples, et contrôler l’équilibre du tout avec un double pivot. A la perte du ballon, pressing extrêmement agressif imposé, en profitant de l’occupation de la largeur qu’implique la phase de possession.

Un 4-4-2 en phase défensive, qui permet aussi bien de presser haut sans s’exposer que de resserrer les lignes face au ballon

Avec ballon, beaucoup de libertés tant qu’un certain équilibre est respecté… en théorie

Forcément, un tel projet n’a pas complètement pris. Un compteur buts voire d’occasions qui ne s’affole pas outre mesure par rapport aux concurrents, et le sentiment de ne pas réussir à trouver le onze idéal pour combiner solidité et fluidité. Malgré quelques tentatives de calibrage parfaites (contre Cagliari ou Parme notamment), la Juve, même avec un match de moins, se cherche encore à 10 points de la tête.

Acquis et révélations

Au rayon des satisfactions, on note des progrès défensifs d’un point de vue collectif, aussi étrange que cela puisse paraître. Les bianconeri ne doivent la perte de leur statut de meilleur défense qu’au fameux match contre la Fiorentina, pour une unité. Désormais 13 buts pris en 13 matchs, seulement 10 en 12 rendez-vous avant les 80 minutes jouées à 10 contre la bande à Ribéry. Le pressing fonctionne de mieux en mieux et a permis comme prévu de tuer dans l’œuf beaucoup d’attaques adverses et de maintenir la mainmise sur les matchs. Attention toutefois à dissocier cet étau collectif du travail plus individualisé des défenseurs, mais nous y reviendrons.

Grâce à ce travail de récupération de balle très rapide, la Juve est l’équipe ayant le plus gros temps de possession moyen par match du championnat. Bien qu’elle soit aussi l’équipe face à laquelle énormément vont par principe refuser le jeu, la donnée prend plus de sens quand on constate que les bianconeri s’octroient d’assez loin le plus de temps de possession dans le camp adverse (16 minutes par match en moyenne contre 15 pour l’Atalanta et le Napoli, 13 pour l’Inter, 12 pour Milan). Un plus durant la période actuelle où les corps sont mis à rude épreuve. La Juve n’affiche pas de surrégime en terme de distances parcourues par les joueurs malgré le pressing, et se donne la possibilité de maîtriser le rythme des matchs. Là où des équipes au style plus direct finissent par avoir des passages à vide. « Courir mieux, et non courir plus ».

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Offensivement, nous le disions, il n’y a pas plus de buts qu’avant. En revanche, l’occupation systématique de la surface par 3, 4 voire 5 joueurs assure à la Juve de convertir ses offensives plus facilement que la saison passée, où la fameuse équation de la zone de vérité délaissée par Ronaldo et Dybala n’avait jamais été résolue. En plus de maintenir la pression sur l’adversaire, la Vieille Dame transforme plus de 15% de ses tirs en buts.

Sur le plan individuel maintenant, hormis Dybala retenu par l’infirmerie, les cadres de la saison dernière répondent présent. Szczesny, De Ligt, Cuadrado et bien évidemment Ronaldo tiennent le cap. Mais la nouveauté réside dans la capacité de Pirlo à avoir réussi à intégrer aussi bien recrues qu’éléments à la dérive comme Danilo. Alvaro Morata, en dépression footballistique depuis des années, à retrouvé la confiance et le fil de sa carrière dès son retour à Turin. Jeu en pivot, profondeur, vitesse, il sait tout faire, et le fait surtout avec une régularité impressionnante. Arthur, lui, a trouvé sa voie en tant que « Pirlo de Pirlo ». Tout du moins dans l’utilisation de sa capacité à casser la pression adverse et faire la première relance.

Le dernier arrivé, Federico Chiesa, est venu combler un gros manque dans l’effectif turinois en apportant sa percussion et son profil de véritable ailier. Et bonne nouvelle, avec 3 buts et 6 passes décisives toutes compétitions confondues, il a déjà atteint les standards sur une saison complète de Bernardeschi.

Enfin, la grosse révélation se nomme Weston McKennie. Réclamé expressément par le Mister, l’Américain arrivé d’un Schalke en perdition a laissé bouche bée les tifosi sceptiques devant l’arrivée d’un espoir quasi inconnu en Italie. Caractère, sens des responsabilités et du collectif, rigueur et déjà quelques instants de grâce: Le Texan a conquis tout le monde, et résolu plusieurs problèmes à la fois. Du Edgar Davids dans l’attaque du ballon, une pincée de Vidal pour faire bouger les lignes adverses en se déplaçant constamment. Deux joueurs en un, aussi bien garant d’un premier pressing proche du porteur à la perte de la balle que compensateur de l’absence d’un manieur de ballon efficace entre les lignes.

Faiblesses et nécessaire adaptation

L’idée de jeu de Pirlo a pour le moment montré peu de signes laissant penser à une incompatibilité avec son groupe. Cependant, si certaines problématiques sont à attribuer à des performances décevantes sur le plan individuel de certains joueurs, il va devenir impératif pour le Mister de s’adapter en réajustant certains paramètres de son plan initial pour faciliter l’intégration de certains éléments. A plus forte raison si le mercato hivernal ne devait pas amener de renfort majeur.

Premier problème, l’entrejeu. McKennie a donné satisfaction dans un rôle hybride, Arthur à l’orientation du jeu depuis une position basse. Mais pour le reste ? Le Brésilien peine à se montrer efficace à la récupération du ballon, que ce soit haut ou bas sur le terrain. L’installer dans un double pivot, aussi exposé, relève presque du suicide sans un chien de garde à ses côtés. Or, Rabiot comme Bentancur brillent par leur irrégularité et peinent une fois encore à trouver leur rôle dans l’entrejeu.

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Le Français se met maintenant à effectuer de grandes courses vers l’axe gauche comme le lui a appris Sarri, bouchant une zone déjà encombrée et laissant le pauvre Arthur se noyer face aux contre-attaques adverses. L’Uruguayen lui, a peut-être le bon profil, entre gros volume défensif et utilisation du ballon, mais reste capable du meilleur comme du pire. Son match contre la Lazio illustre parfaitement la chose: une mi-temps de haut niveau avant de sombrer en seconde et finir par se faire éteindre par Correa sur l’action de l’égalisation laziale.

L’axe gauche que vient parfois surcharger Rabiot est lui victime d’un problème lié à l’occupation de la largeur. Pirlo ne dispose en effet pas de beaucoup d’options sur les ailes: Cuadrado et Chiesa sont les plus efficaces. Les deux ont néanmoins les mêmes préférences, déborder à droite et centrer. Aujourd’hui Chiesa s’exile à gauche, mais étant droitier, il est logique de le voir contrôler ses ballons vers l’intérieur. Il se retrouve ainsi dans une zone trop proche de Ronaldo. Souvent, Chiesa va essayer de percuter seul faute d’autre choix tant il est enfermé, la Juve manquant d’un joueur entre les lignes capable de venir libérer le ballon.

Pour la même raison, Juan Cuadrado brille presque malheureusement. Sa qualité de centre permet de mettre de bons ballons dans la surface, mais son exploitation est surtout due au fait que le Colombien n’a que peu de combinaisons efficaces à disposition. Face à l’Atalanta, Cuadrado a été l’unique joueur de couloir de la Juventus tant l’ex-florentin touchait ses ballons à l’intérieur pour éviter d’être isolé à chaque prise de balle sur son côté. Pirlo disait s’inspirer parmi d’autres équipes de la Juve de Conte, il est temps de mieux en appliquer la maîtrise de l’espace et du temps donné à chaque joueur devant lui.

Autre énorme point de convergence de bien des soucis, et nous en venons par la même à un problème purement individuel plus que d’ajustement: Leonardo Bonucci. L’équipe a progressé à la récupération sur le plan collectif. Les défenseurs ont eux la charge de défendre purement en un contre un, si un ballon venait à filtrer. Pas de souci pour Matthijs De Ligt, déjà une des références mondiales en la matière. Même Danilo, qui profite de sa vitesse se trouve à l’aise ainsi et les dieux du foot en soient témoins il était loin d’être évident qu’il se trouve à l’aise en quoi que ce soit dans cette équipe.

Nous en venons donc au cas de l’Italien, qui se retrouve titulaire, toujours capitaine, malgré un niveau absolument désastreux. Le talent de De Ligt ? La vitesse de Danilo ? Lui n’a aucun des deux et fait office de boulet pour le hollandais depuis un an et demi déjà. Mais dans ce système où chaque défenseur doit faire face à ses responsabilités sans se cacher, il coule littéralement. Recule quand les autres avancent, joue long (sans succès) quand il faut poser le jeu, régresse quand les autres progressent. En point d’orgue, le dernier match contre la Fiorentina, où toutes les erreurs d’arbitrage du monde ne peuvent excuser le fait qu’il est coupable d’un nombre incalculable d’erreurs monumentales dont une sur chaque but de la Viola. Et il y en a eu 3. Maintenant que faire ? Entre les pépins à répétition de Demiral et ceux de Chiellini qui le dirigent doucement vers la fin, il n’y a pas foule de choix, sans compter qu’il faudra abattre l’imposant piédestal sur lequel le n°19 est installé depuis des années avant de le sortir du 11.

Une de perdue, dix points de retrouvés ?

Il y a encore beaucoup de ratures et de coups de gomme à mettre sur ce premier schéma signé Pirlo. Ce qui signifie au moins autant à améliorer, et la situation est loin d’être aussi catastrophique que l’on pourrait le penser. Le mercato sera sans doute maigre mais plusieurs apports viendront de l’intérieur. Paulo Dybala bien sûr, mais aussi Merih Demiral et surtout un joueur dont l’apport pourrait être de taille: Dejan Kulusevski. On sait le coach italien admiratif du talent du Suédois, mais il fait partie des joueurs dont le rôle reste à définir.

Capable de jouer à plusieurs postes au milieu, il a brillé dans un rôle d’ailier droit dans le jeu fait de grandes transitions de Parme. Couloir droit, voilà où il a été principalement positionné cette saison, mais sans réussir à rentrer dans l’axe où le trafic était dense. Moins influent, plus loin des zones de vérité. Mais son incorporation dans un rôle plus axial permettrait sans doute de disposer d’une solution plus consistante qu’un Aaron Ramsey au physique jamais fiable et de permettre à Dybala de revenir en tant que véritable attaquant, très proche du but.

Le milieu à 3 de Barcelone, enfin l’équilibre ?

Le Suédois pourrait par exemple hériter de la place du Gallois dans la configuration qui a le plus convaincu au milieu de terrain à haut niveau, à savoir contre le Barça. Dans le couloir gauche pour défendre, et dans un milieu à 3 avec ballon, protégeant par ailleurs Arthur. Une configuration dont le seul point d’ombre était l’occupation du couloir gauche par Alex Sandro. Là, il est possible de voir l’ancien Parmesan disposer de l’espace qui lui fait parfois défaut lors des transitions comme de se mettre à disposition entre les lignes lors des attaques placées.

Si un renfort ou deux devaient arriver en janvier, leur ligne de prédilection devrait nous aider à définir ce que Pirlo a en tête pour la version définitive de sa Juventus. L’oeuvre est en l’état loin d’être ratée, bien que très perfectible. Quand au délai de livraison au musée du Stadium avec un trophée, il reste possible de le tenir. Aucun grand favori ne se dégage parmi les concurrents. Seul invaincu et en tête, le Milan est aussi celui dont la profondeur de banc est la plus limitée. Sans compter que les rossoneri vont devoir passer comme tous les clubs par un moment de décompression physique à un moment, eux qui sont sur un régime très élevé depuis le début de l’été dernier.

En Europe, Pirlo ne souffre pas beaucoup de la comparaison entre son équipe et d’autres grands clubs en ce moment, trouver les équipes qui convainquent est difficile. A Turin ? Allegri a plutôt bien réussi en étant meilleur meneur d’hommes que bon tacticien, Sarri a échoué en voulant imposer sa tactique sans réussir à mener les hommes. Pirlo a une légitimité en tant que joueur qui lui permet de mener les hommes, lesquels lui permettent de réfléchir sa tactique. La suite de la saison dira si d’ébauche en ébauche quelque chose de grand se profile avant d’y mettre la couleur. Du blanc et du noir bien sûr.

Visuels: demivolee.com

photo: IconSport

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