Le 29 décembre dernier, un fort tremblement de terre secoue la ville de Petrinja en Croatie. Le défenseur du Zénith Saint-Pétersbourg, Dejan Lovren, propose immédiatement aux familles sinistrées d’être hébergées dans son hôtel 4 étoiles sur l’île de Pag. Un geste remarqué par la planète football, mais qui n’est pas étranger aux habitudes du joueur, qui sait se faire remarquer hors des terrains.
«Les gens en général aiment surtout les winners et c’est pourquoi ils adorent toujours Lovren, malgré tout.» Sven Milekić, journaliste pour BalkanInsight, un site anglais spécialisé sur l’actualité des Balkans, nous présente parfaitement la star de la sélection croate. Dejan Lovren, joueur du Zénith Saint-Pétersbourg et vice-champion du monde avec les Vatreni (surnom de l’équipe nationale), est pourtant autant aimé que détesté en Croatie. «Il est considéré comme un joueur décent qui a remporté tout ce qui peut être gagné (Ligue des champions, Premier League, 2e place du Mondial).» Une carrière sportive incontestable, ponctuée de témoignages plus ou moins en sa faveur…
Son témoignage pour servir
Dans un long documentaire produit par le club de Liverpool en 2017, Lovren raconte ses galères d’enfant de Bosnie-Herzégovine en pleine guerre de Yougoslavie. Un témoignage utilisé pour soutenir les réfugiés ; question pourtant tendue en Angleterre. «Quand je vois ce qu’il se passe aujourd’hui, je me rappelle forcément de mon histoire, et que certaines personnes ne veulent pas de vous dans leur pays. Je comprends que certains veulent se protéger, mais d’autres n’ont pas de maison, ils se battent pour leur vie, juste pour sauver leurs enfants. J’ai connu ça et je sais ce que connaissent certaines familles, donc donnez-leur une chance.»
Né à Kraljeva Sutjeska, un petit village de 12.000 habitants de Bosnie, à l’été 1989, la vie de Lovren commence paisiblement. Ses parents possèdent une petite boutique dans cet endroit que sa mère qualifie de «merveilleux». Puis à 3 ans, en avril 1992, sa vie bascule : «On n’a jamais eu aucun problème, tout allait bien avec nos voisins musulmans, serbes. Tout le monde discutait ensemble. Tout a changé en l’espace d’une nuit, la guerre s’est développée entre les trois cultures. Les gens ont changé.» Sa vie est désormais ponctuée de sirènes. «Je me rappelle des sirènes qui sonnaient, j’étais effrayé. Je pensais aux bombes.» La guerre s’était déjà emparée de la Croatie avant, mais désormais elle touche aussi la Bosnie qui se retrouve entre Serbes, Croates et musulmans. La famille Lovren décide de fuir : «Avec ma mère, mon oncle, la femme de mon oncle, on a pris la voiture et on est allés jusqu’en Allemagne. Ils ont tout laissé – la maison, le commerce. Ils ont pris un sac et conduit pendant 17 heures. C’était compliqué de passer les barrières, ils posaient plein de questions (…) et personne ne savait ce qu’il pouvait se produire.»
Ils rejoignent Munich, là où son grand-père travaille et y possède une petite maison. Ils vont s’y entasser à 11 pendant 3 ans, en attendant des jours meilleurs. Une période compliquée pour le jeune Dejan, mais dont il se rappelle surtout les moments difficiles traversés par ses proches : «Chaque nuit vers 22h, ils allumaient la radio, et tout le monde écoutait les nouvelles. (…) C’était toujours sur “où sont-ils maintenant (sur la ligne de front) ?” C’était compliqué pour ma mère, je me souviens qu’elle était tout le temps en train de pleurer, pleurer, pleurer…» Lovren avoue qu’aujourd’hui encore, parler du sujet est difficile.
«Son père est mort à la guerre. Cela aurait pu être le mien»
«Moi et ma famille on a eu de la chance, parce qu’on avait mon grand-père qui travaillait en Allemagne, (…) mais autrement je ne sais pas ce qu’il aurait pu se passer. Peut-être que sinon je verrais mes parents ou moi sous terre.» Son meilleur ami d’école pleurait tous les jours, car «son père est mort à la guerre. Cela aurait pu être le mien.» Il y glisse un message aux pays européens : «J’ai eu une chance : l’Allemagne. Je pense que s’ils n’avaient pas dit “oui venez”, je ne sais pas où ne serions allés. (…) Ma mère dit que l’Allemagne est notre seconde maison, et c’est aussi vrai pour moi. L’Allemagne nous a ouvert les bras, je ne sais pas quel pays pouvait faire ça à ce moment, d’accueillir des réfugiés de Bosnie.» L’Allemagne a accueilli près de 350.000 réfugiés durant cette guerre, la France et l’Angleterre nettement moins.
En Allemagne, Dejan grandit comme n’importe quel petit garçon de son âge : il va à l’école, joue au foot, se fait des amis. Et ses parents demandent aux autorités la permission de rester plus longtemps, «mais tous les 6 mois c’était refusé». Parce qu’elles attendaient juste que la guerre soit finie, et qu’ils puissent rentrer en Bosnie. «Tous les 6 mois, mes parents avaient leurs sacs de faits pour rentrer. C’était compliqué parce qu’on n’avait pas de futur en Allemagne.» La vie d’un enfant réfugié, c’est aussi celle de l’incertitude, que Lovren devenu grand tente de dénoncer. «Ils ne nous ont pas donné le papier pour rester, et un jour ils nous ont dit “vous avez deux mois pour préparez vos affaires et rentrer.”»
Retour en Croatie en 1999 : «Pour moi c’était compliqué, (…) ma vie a commencé en Allemagne, j’étais heureux là-bas.» Ayant grandi entre ses 3 et 10 ans à Munich, le futur Lyonnais arrive dans un pays qu’il ne connait quasiment pas, ayant baigné dans la culture germanique. «Je parlais croate chez moi, mais pas le “vrai croate”, je ne le comprenais pas, je ne savais pas écrire croate correctement. Tout le monde me demandait “pourquoi ton accent est différent du nôtre ?”» Son intégration est très compliquée, mais le football l’a sauvé : «J’attendais toujours la fin des cours pour aller jouer au foot sur les terrains, parce que là j’étais le “main guy”. C’était le seul endroit où je pouvais m’exprimer.»
La précarité des Lovren
Avec une mère employée à Walmart qui gagne 350€ par mois, et un père peintre en bâtiment, la situation économique de la famille est délicate. «Un jour, j’ai demandé à ma mère où étaient mes patins. Elle m’a expliqué en pleurant que mon père était en train de les vendre car on n’avait pas d’argent pour la semaine. C’est le moment de ma vie où j’ai pensé : “Je ne veux plus jamais entendre ça !”» Des difficultés qui font de lui le battant qu’il est aujourd’hui : «Mes parents se sont toujours battus, ils ont toujours été forts, ils m’ont toujours poussé à être un bosseur. Même si l’école ça n’était pas pour moi.» Il rejoindra en 2004 les rangs du Dinamo Zagreb à seulement 14 ans, dernière épreuve de sa vie d’enfant avant de grandir comme footballeur. Le conflit que Lovren a traversé avec sa famille laisse encore des traces, et il souhaite que son témoignage fasse aussi écho dans le coeur des Anglais afin que d’autres enfants ne subissent pas le même sort.
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Refusant toujours de voir des enfants sinistrés, il agit d’ailleurs lui-même sur les chantiers de son hôtel sur l’île de Pag en Croatie, pour accueillir au plus vite ceux qui ont tout perdu dans le séisme de Petrinja. En laissant sur son compte Instagram un numéro de téléphone accessibles à ceux dans le besoin.
Son témoignage pour desservir
Mais Dejan Lovren est aussi de ces personnages qui font l’actualité pour d’autres raisons. Plus récemment sur la question du vaccin contre le Covid-19, il a dégainé son téléphone pour répondre à une publication du boss de Microsoft sur Instagram : «Game over Bill (Gates), les gens ne sont pas aveugles.» Alors que le post était en soutien aux soignants…
Très bavard sur les réseaux, il l’a été beaucoup moins devant les Cours croates quand il s’est retrouvé dans une affaire de «crime organisé». Dejan Lovren, alors défenseur central de Liverpool, est attendu pour témoigner le 15 juin 2017 sur son transfert du Dinamo Zagreb à l’Olympique Lyonnais. Dans un gigantesque procès qui se tient à Osijek (à l’Est de la Croatie), Zdravko Mamić, ancien président du Dinamo Zagreb, et 3 autres concernés sont accusés d’avoir dérobé au club et à l’État croate près de 17,2 millions d’euros. Le clan Mamić aurait perçu illégalement 50% du montant du transfert de Lovren (9,5 M€), via une combine bien orchestrée. Lovren a reçu ses 50% par l’OL, qui les aurait ensuite remis à la famille Mamić directement.
Une source anonyme explique ce système au site BalkanInsight : «Les jeunes joueurs se voient offrir des chances de jouer dans les grands clubs en échange de la remise d’une partie de l’argent du transfert aux directeurs, propriétaires et agents de football du club. (…) La plupart des joueurs participent volontairement à de telles transactions, ne voulant pas perdre la chance de commencer une carrière au plus haut niveau.» Une fois dans ces grands clubs, certains joueurs sous contrat avec Mamić se retrouvent à verser une partie de leur salaire à celui-ci. Eduardo Da Silva (ancien coéquipier de Dejan Lovren au Dinamo) par exemple, a reversé 25% de son salaire au clan Mamić du début à la fin de sa carrière.
Perçu comme «irritant, voire carrément idiot» en Croatie
Un système de redistribution pas très légal mais jamais remis en cause par Zdravko Mamić, dans lequel Dejan Lovren s’est enfoncé sans sourciller. Pour Juraj Vrdoljak, journaliste croate qui a suivi de près le dossier pour telesport.hr, Dejan Lovren a «la gâchette facile» et «sort souvent ses opinions irréfléchies dans les pires moments». Et comme sur le terrain, Lovren choisit souvent les pires solutions sous pression. Lui qui avait expliqué aux enquêteurs comment il avait redistribué 4,7 M€ au clan Mamić, a décidé de changer totalement sa version des faits une fois au tribunal. Arrivé à la Cour d’Osijek avec un sac du Dinamo Zagreb à la main, on retrouve plus tard, glissées malencontreusement dans les dossiers de la juge, des notes de défense qui lui étaient destinées. Écrites par Mamić, elles commencent par «Si le parquet croate contre la corruption t’interroge, répond avec…».
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Alors que l’enquête avait débuté, il a également été photographié à déjeuner avec Marija Mamić, fils de l’homme accusé, dans un restaurant de Zagreb. Mamić, qui bénéficie d’une influence gigantesque dans toutes les sphères institutionnelles croates, a même réussi à faire fouiller les téléphones des employés pour savoir d’où provenait la photo. Malheur donc à celui qui viendra s’opposer au «boss» du football croate. Et c’est sans doute pour ça que Dejan Lovren a changé sa version des faits…
«Il couvre Mamić parce qu’il a simplement peur de son influence, mais aussi parce que beaucoup de joueurs qui ont signé un contrat professionnel avec Zdravko sont devenus essentiellement dépendants de lui, même après avoir quitté le Dinamo», nous explique Vrdoljak. Moins solide qu’il aimerait le paraître, il est décrit comme «obstiné» et «dogmatique». En Croatie, il est même perçu comme «irritant, voire carrément idiot». Et il devient le défenseur d’un système que les Croates espéraient voir tomber.
Accusé de faux témoignage
En septembre 2018, il est accusé par le tribunal municipal de Zagreb d’avoir donné un faux témoignage en clamant que l’annexe donnant 50% des parts à Mamić avait été signée avant le transfert. Sauf que les preuves montrent que le document avait été antidaté. Avec le sens du tact qu’on lui connait, il se défend sur Instagram en parlant de lui à la troisième personne : «Dejan Lovren gagnera également cette bataille. Et toutes les autres.»
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Puis il commence son discours de défense de parjure devant la Cour d’Osijek en copiant grossièrement les paroles que le général Slobodan Praljak (condamné pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) avait prononcées devant le tribunal de La Haye avant de se suicider. Pourtant, cette affaire pourrait avoir bénéficié au joueur, nous indique Juraj Vrdoljak : «Aussi bizarre que cela puisse paraître, mais je pense que cette attitude a aidé Dejan à fermer les yeux sur toute la publicité négative qui s’est faite autour de lui (…) dans les problèmes qu’il a eus avec sa femme.» (ndlr : trompé par sa femme en 2016, Lovren n’avait pas participé à l’Euro)
Interrogé pour avoir sa version des faits, ses proches n’ont pas souhaité nous répondre sur ce sujet.
Rentré au pays la médaille d’argent autour du cou, Dejan Lovren a été gracié de ses poursuites pour faux témoignages le 25 janvier 2019. Le procès de Mamić est lui toujours en cours, et son ancien agent Nikky Arthur Vuksan fait désormais partie des inculpés…
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