[Futsal] France – Russie : un nécessaire exploit pour revoir l’Euro ?

Ce vendredi 5 mars à 21h, la chaine l’Équipe diffusera la rencontre entre l’équipe de France et la Russie en direct de la Halle Carpentier de Paris, comptant pour les qualifications à l’Euro 2022 de futsal. Ne vous y trompez pas, l’équipe devant réaliser l’exploit pour empocher des points déjà capitaux est bien la France, face à l’une des meilleures équipes du monde.

Petite(s) histoire(s) du futsal international

L’édition 2022 de cet Euro marque un tournant. Comme un symbole, cette bascule aura lieu aux Pays-Bas, théâtre de la première Coupe du monde de futsal en 1989. Jusqu’ici, le championnat d’Europe lancé en 1996 a d’abord regroupé 8, puis 12 équipes à partir de 2010, tous les 2 ans. Au mieux donc quatre poules de seulement 3 équipes, dont 2 allaient en quarts de finale. Un format qui, en l’état, ne faisait pas rêver. Une ouverture à plus de candidats n’aurait néanmoins pas eu beaucoup de sens dans la perspective d’une promotion de la discipline, une toute petite poignée d’équipes étant réellement compétitives. Chose qui va changer, pour retrouver un format plus classique.

Onze éditions ont donc déjà été disputées, et les Bleus ont fait leur apparition dans cette histoire en 2018, quelques mois avant la victoire des Bleus du foot au Mondial. Petite nation du futsal, la France passe par un tour préliminaire, dont elle éjecte Andorre et la Lituanie. Durant le véritable tour de qualification, qui réunissait 4 équipes qui s’affrontaient sous forme de mini-championnat dans la même semaine, les Bleus sont balayés d’entrée par… la Russie (5-0), avant de dominer la Turquie (5-1) et la Slovaquie (4-1). Deuxième place, direction les barrages, contre la Croatie, sur une confrontation aller-retour fin septembre 2017.

Les tricolores tiennent le nul 1-1 à Orchies (Nord) contre une nation habituée des rendez-vous internationaux, avant de réaliser le plus grand des exploits en s’imposant dans un match fou en Croatie (4-5). La France dispute son premier Euro pour l’édition 2018 en Slovénie, suivi en nombre sur la chaine l’Équipe malgré l’élimination en phase de poules sur un nul pour l’histoire face à l’Espagne (4-4), et une défaite contre l’Azerbaïdjan (5-3). Un résultat loin d’être honteux sur ce deuxième match, les Azéris ayant, au même titre que beaucoup de sélections de l’ex-URSS, une équipe compétitive renforcée par plusieurs joueurs brésiliens naturalisés, Russie en tête.

Une bien belle histoire dans ses détails. Des détails auxquels nous accorderont moins de temps au moment d’aborder le cas russe, tant son histoire est immense. En guise d’introduction, on soulignera que la Russie est l’un des seuls pays à avoir pris l’un des onze titres européens en jeu aux Espagnols (2 pour l’Italie, 1 pour le Portugal champion en titre, 1 pour la Russie en 1999, 7 pour l’Espagne).

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Pour le reste, la Russie, c’est la nation magnifique perdante. L’ogre à la puissance de feu démesurée, malheureux face aux intenables Brésil et Espagne. Trois fois 3e de l’Euro, 5 fois battue en finale (dont 4 fois contre la Roja), 3 demi-finales de Coupe du monde et une finale en 2016 sur une édition où la Sbornaya terrasse enfin son démon espagnol en quarts (6-2), évite le Brésil… et se rate à la surprise générale contre une Argentine largement à sa portée (5-4), qui décroche son premier titre mondial. En bref, il n’y a pas qu’au conseil de sécurité de l’ONU que la Russie possède l’un des 5 sièges permanents. C’est aussi le cas parmi le gotha du futsal mondial.

Un changement de dimension à confirmer

Comme évoqué plus haut, l’édition 2022 de l’Euro marque un tournant de par son changement de format, qui rejoint le modèle qui était celui de l’Euro de football précédemment. Une fois tous les 4 ans, à 2 ans d’intervalle entre les Coupes du monde, 16 équipes réparties en 4 poules de 4, et un système de qualification lui aussi «normalisé». Si les plus petites nations passent toujours par un premier échelon préliminaire, le tour de qualification principal suit un système de phase de poules à 4, avec matches aller et retour à domicile et à l’extérieur.

Parmi les 8 groupes, la France hérite dans son groupe B de la Géorgie et de l’Arménie, issues du tour préliminaire, et de la Russie, avec qui elle partage pour la première fois le privilège d’entrer en lice directement dans ce tour principal. La condition requise pour ça étant d’avoir participé au tour de qualification principal pour la Coupe du monde.

Pour la première étape vers le Mondial, la France s’était qualifiée lors d’un plateau initial face à la Suisse (3-1) et la Belgique (5-3, et concédant la 1re place à la Serbie sur une cruelle défaite 5-4) devant 3.000 personnes à Cergy. Durant le tour principal, les Bleus n’avaient pas réussi à se faire une place entre la Serbie et l’Espagne. Seul bénéfice de l’opération (autre que la maigre consolation de voir cette édition du Mondial 2020 reportée sans cesse et peut-être annulée en septembre 2021) : cette fameuse place directe pour les qualifications de l’Euro, avec un seul gros nom dans son groupe.

Mission des hommes du sélectionneur Pierre Jacky : arracher la 1re place directement qualificative pour la compétition, ou terminer parmi les 6 meilleurs seconds de groupe. Les deux mauvais élèves restants devant s’affronter dans un barrage aller-retour et le dernier ticket revenant aux hôtes, les Pays-Bas. Problème : la France a déjà grillé deux jokers et compromis les deux meilleurs scenarii, en se faisant accrocher par la Géorgie (4-4) et en Arménie (4-4).

Pire, ces scores ne relevaient même pas d’un hold-up de la part des adversaires, les Bleus étant complètement passés à côté de leur sujet et ayant même été menés 3-0 à Erevan (Arménie). Le salut était alors venu d’une grosse réaction d’orgueil et d’un doublé improbable de N’Gala, qui n’avait pas encore eu le moindre temps de jeu du côté d’ACCS au cours de la saison.

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Passés très près de la catastrophe industrielle, les Bleus n’ont plus d’autre choix que de grappiller des points aux Russes à Paris puis à Moscou cette semaine, avant de réaliser le sans-faute attendu lors des matches retour contre la Géorgie et l’Arménie dans un mois. Tout autre scénario les enverrait sans doute, dans le meilleur des cas, jouer le barrage.

Condamnés ? Sériozna ?

Parier sur une défaite de la France sur un écart aussi grand que celui qui sépare l’expérience des deux sélections aurait presque tout de la mauvaise idée, malgré les apparences. Si une équipe, ces dernières années, a montré que les géants du futsal ne sont plus à l’abri, c’est bien la France. Au-delà de l’Espagne en 2018 ; l’Italie, le Portugal, l’Argentine se sont tous penchés sur le cas français à travers des matchs amicaux, aux résultats divers mais qui ne traduisaient jamais un rapport de David à Goliath. Tirer la France, c’est tirer l’équipe qui démocratise ce qui n’est plus un exploit, l’équipe qui fait déjouer les grands et dévoile au grand jour leur véritable état de santé.

L’Espagne a perdu son titre européen et doit passer par une période où elle se trouve plus exposée. L’Italie, à l’instar de son équipe de football, a un grand besoin de renouvellement après avoir manqué la qualification pour la Coupe du monde. Le Portugal se cherche des successeurs à sa génération dorée et la Russie passe également progressivement le flambeau à de nouveau cadres.

La France s’est elle proprement ratée sur son entame de qualifications, mais en découvrant dans ses matches un statut de favori qui lui était jusqu’alors quasiment étranger. En plus de progresser, les adversaires même les moins renommés ne laissent plus de marge aux Bleus, qui ont eu toutes les peines du monde à ouvrir les blocs bas et gérer les transitions adverses. La faute à l’absence de profils de pivot au haut niveau français face à ces blocs, sans compter des passages à vide sur le plan individuel et psychologique que l’on espère aujourd’hui bannis des prestations à venir.

Pour le rôle de pivot, Abdessamad Mohammed est celui qui s’en rapproche le plus, mais est aussi un joueur qui s’est toujours plus épanoui dans le mouvement. Ça tombe bien, contre la Russie, la France retrouvera son rôle d’outsider, qui lui a permis de décrocher ses résultats les moins attendus en insistant sur les transitions, la capacité de percussion, les un contre un. Des points forts pour la majorité des joueurs français.

L’équipe de Pierre Jacky n’aura pas à se forcer pour laisser la possession aux vice-champions du monde. Dans le style, cette équipe russe a tout pour être illustrée à coups de métaphores cliché sur la Mère Patrie. Un tank, un rouleau compresseur, un groupe organisé et destructeur, l’une des plus grosses puissances offensives du monde. Victorieuse 6-0 de l’Arménie et 4-0 de la Géorgie, la Sbornaya compose pourtant sans l’une de ses principales armes de la décennie écoulée, Eder Lima.

Le pivot brésilien naturalisé, auteur de 44 buts en 53 sélections, ne prend pas part à ces qualifications. La raison ? Son retour au pays depuis quelques saisons après 10 ans à Ugra-Yougorsk, actuellement aux Corinthians, pour qui le Brasileirão s’est terminé en décembre et dont la nouvelle édition ne démarrera qu’à la fin du mois de mars à cause du Covid-19. Impossible d’aborder les échéances internationales avec un joueur inactif.

La sélection s’est donc adaptée, gardant son système en losange, gardant toujours des pivots de grande qualité dans le groupe, mais insistant sur une mobilité complètement folle. Au lieu de devoir tenter de contenir l’un des meilleurs joueurs du monde à son poste servi par une armada de grands talents, les adversaires doivent maintenant composer avec une Russie imprévisible qui à travers ses «faux fixes», ses «faux ailiers» et ses «faux pivots», amène un danger bien réel de partout à la fois. Cerise sur le gâteau, un pressing intenable dès la perte de la balle.

Malgré ses premières sorties en patron dans cette nouvelle formule, la Russie n’a pas eu l’occasion de l’étrenner sur un adversaire plus relevé. Et le révélateur France est là. En dépit de son statut de grand favori, la Sbornaya doit renouer avec ce genre de succès, après un Euro 2018 en demi-teinte avec deux nuls en poules dont un contre le petit-frère kazakh, et des qualifications à la Coupe du monde mouvementées, marquées par une défaite contre l’autre parent azerbaïdjanais. Chacune à leur échelle, les deux sélections qui fouleront le parquet de la Halle Georges Carpentier ce soir cherchent donc un nouveau souffle. La Russie pour montrer qu’elle est toujours à la hauteur de sa réputation. Ce groupe France pour entretenir la flamme allumée il y a 3 ans avec quasiment le même effectif.

Dans les deux cas, la moyenne d’âge de 29 ans du groupe illustre aussi bien l’urgence pour certains éléments de réaliser un dernier grand coup avant de tirer leur révérence, que l’occasion de faire leurs armes chez les très grands pour d’autres. En France, la relève arrive progressivement mais déboulera bientôt en nombre, portée par les premiers joueurs qui sortiront du Pôle France Futsal, le centre de formation de Clairefontaine de la discipline mais installé à Lyon et lancé en 2018. Les futurs Bleus en formation seront ce soir devant leur écran pour voir évoluer ceux qui leur passeront le flambeau. Tout en attendant du public français qu’il fasse de même, avant qu’il ne s’installe en tribunes quand leur tour viendra.

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