[Euro 2020] Italie: un nouvel espoir

Trois ans et demi après la chute à San Siro face à la Suède la privant de Mondial, l’Italie va faire son retour dans une grande compétition internationale. La nouvelle génération Azzurra, protégée de Roberto Mancini, est en route pour reconquérir sa place dans la galaxie footballistique. Mais a-t-elle déjà les épaules pour confirmer cette ambition dès l’Euro cet été ? 

La BBC de la Juventus pour une défense à 3. Darmian et Florenzi pistons, Candreva et Parolo milieux relayeurs, Gabbiadini titulaire en attaque. Le 11 novembre 2017, l’Italie fait match nul 0-0 avec la Suède en barrage retour qualificatif pour la Coupe du monde russe. Dans la foulée, Buffon, Barzagli et De Rossi annoncent leur retraite internationale, et presque la moitié du groupe des 23 à ce moment-là ne serra plus revu sous le maillot azzurro. Le chef de cet orchestre qui n’aura jamais autant joué faux, Giampiero Ventura, est mis à la porte deux jours après.

L’Italie est repartie de rien, d’une jeunesse éparpillée aux 4 coins du pays et sur deux divisions, sous les ordres d’un Roberto Mancini qui impose dès le départ un changement de style radical. L’Italie va jouer au ballon, prendre le tournant d’un football plus moderne qu’elle ne s’était jamais vraiment résolue à prendre, par pur orgueil. Un orgueil qui l’a menée à la catastrophe, 12 ans après le sacre mondial de 2006, 12 années sans revoir le dernier carré d’un tournoi. Pour ses premiers tours de roue en 2018, cette nouvelle Italie s’incline entre autres en amical contre une France en route vers le succès (1-3). Puis au Portugal en septembre de la même année en Ligue des nations (1-0). À ce moment-là, Mancini cherche encore ses cadres, met les pieds partout dans la Botte à la recherche de ses nouveaux hommes forts. Il s’agit de la dernière défaite italienne en date.

Les leçons de maître Mancini

Depuis, l’Italie a réalisé le sans-faute. Pour les qualifications à cet Euro, 10 victoires en 10 rencontres. 37 buts marqués pour seulement 4 encaissés. Alors non, les Transalpins n’auront pas eu à faire face à une forte concurrence, avec comme seul outsider potentiel une Bosnie qui aura au final largement déçu. Et ni la Finlande, malgré ses progrès, ou la Grèce par son expérience n’auront pu embêter cette équipe. Mais même en excluant les rencontres face à l’Espagne lors de la précédente campagne tristement conclue, la Nazionale tournait à l’époque à 2,5 buts de moyenne par match. Très loin, donc, des 3,7 buts/match de ce nouveau cru.

Cette Italie domine ses matches. Presse haut, laisse peu le ballon. Logique alors d’échapper à l’ennui souvent récurrent par le passé dans les matches contre des équipes de faible standing. Les principaux responsables de ce rendement sur le terrain ? En premier lieu, un milieu de terrain dont le style, à l’image de l’équipe, tranche radicalement avec celui de ses prédécesseurs des dernières années. Le trio Jorginho-Barella-Verratti a été le plus utilisé, assurant une énorme maîtrise du cuir. Et même si le Parisien devait être absent de l’Euro comme lors des derniers rassemblement, ce serait Manuel Locatelli qui prendrait le relais. Si la technique dans les petits espaces du Petit Hibou est évidemment hors norme, la polyvalence et le volume de jeu de son remplaçant restent des armes de choix, ajoutant encore de la complémentarité à cet entrejeu.

https://twitter.com/faistacompo/status/1397203146984853516

La maîtrise technique ne se limite pas à ces 3 postes. Dans le couloir gauche, Spinazzola comme Insigne assurent là encore de mettre l’adversaire sous pression. Et à droite, Domenico Berardi a apporté avec lui les cours de Roberto de Zerbi à Sassuolo. Au cas où il faudrait amener plus de percussion, Federico Chiesa sera la solution incontournable, lui qui ne demande qu’à retrouver une place de titulaire perdue au cours de ses derniers mois compliqués du côté de la Fiorentina. Son évolution depuis ayant été aussi rapide qu’impressionnante, il y a désormais de grandes chances de voir le nouveau cadre de la Juve jouer dès la première minute de l’Euro.

Pour en revenir à cette fameuse moyenne de 3,7 buts/match, on note que celle-ci aura été pas mal rehaussée par le succès 9-1 sur l’Arménie à Palerme. Assurément le match qui symbolise au mieux la réconciliation entre la Nazionale, le football et le public. Chiesa, Orsolini, Barella entre autres sont buteurs, ainsi que Nicolo Zaniolo, qui sera le grand absent de l’Euro suite à sa double blessure aux ligaments croisés. Un aboutissement pour l’opération séduction italienne qui n’aura ce jour-là pas eu à souffrir de ses deux principaux problèmes.

Le côté obscur de la Forza

Premièrement, le réalisme offensif. Car si l’Italie a beaucoup le ballon, trouver les finisseurs adéquats pour ce groupe ou ne serait-ce que celui devant être titulaire a tout d’un chemin de croix. De par son statut de soulier d’or, Ciro Immobile est prioritaire sur le poste. Le hic, c’est que chacune de ses sorties sous le maillot bleu renvoie vite au fait que son prestigieux trophée aura été décroché grâce à 15 penalties sur 35 buts inscrits, et que son niveau réel semble loin de celui des cadors du poste à l’échelle mondiale.

Depuis la prise de fonction de Roberto Mancini, il n’aura inscrit que 5 buts en 13 rencontres en sélection. Un en Finlande (1-2), deux lors de l’énorme carton sur l’Arménie (9-1) et deux lors du dernier rassemblement, contre l’Irlande du Nord et la Lituanie (2-0). Un bilan très loin de satisfaire dans le contexte d’une équipe qui affronte presque exclusivement de petites nations que l’Italie domine outrageusement à chaque fois. Et le déchet beaucoup trop important de l’attaquant laziale face au but pose logiquement question.

À LIRE AUSSI – Pescara et les joyaux de la Dauphine

Sauf qu’au rayon des alternatives, il n’y a pas beaucoup plus d’options convaincantes. Andrea Belotti, en premier lieu, affiche un rendement similaire à son concurrent (6 buts en 12 apparitions sous Mancini). Dans son cas, malgré ses qualités dos au jeu, c’est la compatibilité du Gallo avec l’équipe qui pose question. Goleador en Serie A certes, mais goleador d’un Torino qui le plus souvent se contente de lui balancer des ballons qu’il doit transformer en buts comme il peut, et ce depuis pas mal d’années. Un travail complètement différent de ce qu’on attend de lui en sélection.

Malgré deux années à tenter de résoudre le problème, Roberto Mancini va vraisemblablement arriver à l’Euro avec l’obligation de composer avec… ou de tenter un pari de dernière minute. Parmi les autres buteurs ayant été essayés : Fabio Quagliarella, en 2019, qui ne sera néanmoins revenu que pour récompenser son excellente saison à l’époque. Il y a également le cas Moise Kean, très apprécié du sélectionneur mais qui ne semble pas destiné à être titulaire non plus. Même en situation d’échec à Everton, il avait bénéficié du soutien de Mancini, qui jusque là l’a surtout vu comme un joker sur l’un des 3 postes offensifs. Malgré un temps de jeu et un rendement intéressants au PSG, pas sûr que sa polyvalence ait aidé à le fixer pour de bon. Il sera sans doute dans la liste, mais guère plus pour l’instant.

https://twitter.com/Vivo_Azzurro/status/1394356434951888907

Enfin, deux noms semblaient avoir un coup à jouer. Pas les plus clinquants, mais aujourd’hui les plus adaptés au jeu voulu par le Mister : Francesco Caputo et Giacomo Raspadori. Le premier a presque tout pour lui. Devenu l’un des tout meilleurs buteurs de Serie A sous les ordres de Roberto De Zerbi à Sassuolo, il compile le rendement statistique et la participation au jeu recherchés. Deux bémols néanmoins, et qui ne sont pas étrangers au fait qu’il ne compte que 2 sélections (en octobre 2020, 1 but contre la Moldavie).

Premièrement, son âge. À 33 ans, il est aux yeux de Mancini presque dans la même catégorie qu’un Quagliarella, pas adéquat à la refonte d’un effectif rajeuni. Deuxièmement, sa condition physique parfois précaire, lui qui a souffert de plusieurs pépins musculaires depuis que le calendrier est sous régime COVID. Il vient d’ailleurs de manquer plus d’un mois et demi de compétition à cause d’une blessure au dos, portant son total de matchs manqués cette saison à une quinzaine.

https://twitter.com/SassuoloUS/status/1396798572834742272

De quoi porter notre regard sur l’autre potentielle surprise, Giacomo Raspadori. À 21 ans, il s’agit encore d’un joueur en devenir. Il est d’ailleurs remplaçant à Sassuolo et pas toujours la solution préférentielle en l’absence de Caputo. Il y a pourtant quelque chose qui ne trompe pas chez l’international espoir. Chacune de ses apparitions rime avec écran crevé, à force d’étalage de toutes les qualités attendues d’un numéro 9 moderne. Dos au jeu, entre les lignes, en profondeur, jeu court, face au but, dans la relation au collectif, pressing…

Avec 6 buts et 3 passes décisives en 10 titularisations cette saison, comptant comme la saison dernière de gros morceaux à son tableau de chasse (Juve, Milan, Roma), il va sans doute donner matière à réflexion au sélectionneur. Et la surprise s’est déjà en partie réalisée, puisqu’il sera de la partie contre Saint-Marin, à la veille de l’annonce de la liste définitive pour l’Euro.

Un Euro pour achever l’apprentissage

Le second gros problème de l’Italie pour cet Euro, c’est celui de la gestion de certains statuts, qui par extension rend très difficile le choix des hommes pour la défense. Pour faire court, Leonardo Bonucci et Giorgio Chiellini sont les deux principaux concernés. Cadres indiscutables il y a 5 ans, les deux sortent aujourd’hui de deux saisons absolument désastreuses sur le plan individuel. En prime, Chiellini, capitaine qui disputera par la même son dernier tournoi, a manqué la majeure partie des derniers rassemblement sur blessure.

En leur absence, peu en auront profité pour se distinguer si ce n’est Francesco Acerbi. Que fait-on du défenseur de la Lazio ? Retour sur le banc pour privilégier Chiellini ? Que fait-on de Bastoni qui, même s’il n’est pas encore infaillible est vraisemblablement appelé à truster une place pour la Coupe du monde l’an prochain ? Et Bonucci va-t-il vraiment garder sa place quand un Rafael Toloi présente plus de certitudes et a été naturalisé précisément pour l’évènement ?

À LIRE AUSSI – Juventus: d’une vision du foot unique à la schizophrénie

On pourrait même étendre le problème au poste de latéral droit, où Alessandro Florenzi est toujours le mieux placé pour démarrer titulaire contre la Turquie. Quid alors de Di Lorenzo ou Calabria dans des rôles similaires ? D’un Lazzarri en cas de besoin d’une solution plus offensive ? Pas sûr que le match de préparation contre Saint Marin ne permette de donner plus d’indices.

Il n’est pas difficile de se dire que cette Italie sera sans doute encore plus compétitive pour le Mondial. En attendant, cet Euro se présente comme une opportunité de prendre de l’expérience pour les cadres les plus jeunes. Et ça tombe bien, le tableau réservé à l’Italie promet de faire durer un peu le plaisir malgré un groupe relevé. Evidemment, jouer un match d’ouverture à la maison amène son lot de pression, surtout pour un groupe novice à ce niveau. Mais malgré ce contexte, la Turquie est une équipe vulnérable aux principaux points forts des azzurri. Alors évidemment, on s’inquiètera du potentiel duel entre un Burak Yilmaz en feu et Bonucci, mais ailleurs, la maîtrise italienne sera un atout de taille face à une équipe aussi irrégulière que la Turquie, si forte soit-elle. Une équipe capable de sautes de concentration fatales, qui pourraient coûter très cher sous la pression mise par la Nazionale.

Le défi le plus compliqué sera peut-être celui du second match contre la Suisse. Le match où le réalisme, ou plutôt le manque de réalisme offensif sera un facteur déterminant quant à l’issue du match. Si elle venait à faire le sans-faute en battant également le Pays de Galles, la Nazionale jouerait le 2e du groupe des Pays-Bas en 8e de finale. Soit vraisemblablement l’Ukraine ou l’Autriche. Le bonus, c’est que même en cas de contre-performance dans l’un de ses matchs de poule, l’Italie jouerait un deuxième de groupe. Le 2e du groupe A jouera en effet contre le 2e du groupe B (Belgique, Russie, Danemark, Finlande). Là aussi des nations abordables en perspective.

Autrement dit, à moins d’une énorme déroute et deux défaites qui la mèneraient à la 3e place de son groupe, l’Italie a de bonnes chances de jouer au moins un quart de finale. Pourra-t-elle faire plus en cas de choc contre une grande sélection à ce moment-là ? Personne ne peut l’anticiper. Un match d’une telle envergure sera littéralement une première pour cette nouvelle Italie. Mais des deux, elle serait assurément celle qui aura le moins à perdre.

0