Josip Brekalo, le têtu de Zagreb

Ce soir la Croatie rencontrera la Belgique (20h45 sur TMC) dans ce qui pourrait ressembler à un duel de favoris à l’Euro 2020. Pourtant si l’équipe belge n’a pas beaucoup changé depuis la Coupe du monde 2018, les vice-champions du monde ont eux dû intégrer de nouvelles têtes pour faire face aux nombreuses retraites internationales. L’un de ces petits nouveaux qui gravit les échelons des Vatreni s’appelle Josip Brekalo. Portrait de la tête d’affiche de cette « next gen » croate.

Le 8 septembre 2020, Josip Brekalo, le jeune ailier croate du VfL Wolfsburg avait glacé le Stade de France et surtout les téléspectateurs derrière leur écran. En inscrivant son premier but sous le maillot à damier, il remet la Croatie dans la course juste après la mi-temps, scellant le score à 2-2 dans ce match à huis clos. À 22 ans, il porte sur ses épaules la pression d’une nation vice-championne du monde, qui doit se réinventer après les nombreux départs de cadres à l’issue de la Coupe du monde. Mais ce n’est pas un défi qui effraie ce très vif ailier.

Une formation entre carré vert et piste d’athlé

Suivant les traces de son père, Josip Brekalo débarque à l’âge de 8 ans à l’académie du Dinamo Zagreb, lui le natif de la capitale. Son père, Ante Brekalo dit «Šargija», est un ancien joueur de football qui a représenté la Bosnie-Herzégovine dans les catégories de jeunes, étant originaire de la région bosniaque de Posavina. Blessé lors de la guerre de Yougoslavie à l’âge de 21 ans, sa carrière est arrêtée prématurément, laissant sur le champ de bataille ses rêves de devenir joueur professionnel. À la naissance de ses fils, il ne manque pas de transmettre sa passion : «Il nous a toujours soutenu à chaque entraînement et à chaque match. Il vit à travers nous comme s’il avait réussi, confie Brekalo au quotidien croate Jutarnji List. Tous ceux qui connaissent notre famille savent que seul le football a toujours été prioritaire.» 

Au-delà du football, son père a une autre volonté pour son jeune fils : l’athlétisme. Si celui-ci impressionne lors des entraînements au Dinamo Zagreb, Šargija tient à ce qu’il continue le 800m et espère le voir sur tous les podiums d’athlé de la région. Slavko Petrovic, l’entraîneur du petit Brekalo de 10 ans raconte pour le site croate 24sata.hr : «Le matin, il jouait un match pour le Dinamo et trois heures plus tard, il venait à la compétition d’athlétisme. Et il gagnait sans problème !» Il se souvient d’un petit déjà très déterminé pour son âge : «C’était une course de fond de 800 mètres. Pendant que nous nous préparions, je lui ai dit de faire attention à comment il gérerait sa force parce que tous les participants avaient un an de plus que lui. À cet âge, c’est très important. Et pendant que je lui expliquais, il m’a interrompu et m’a dit : « Coach, mais je vais gagner aujourd’hui, n’aie pas peur ». Dès le départ de la course, Josip était premier, il s’est imposé avec une telle aisance que le deuxième s’est retrouvé à 70 mètres derrière lui !»

Il finira par choisir définitivement le football, lui qui a toujours préféré le cuir aux courses de semi-fond. Gardant tout de même dans son jeu cette vivacité qui le caractérise sur un terrain. Son nom commence à circuler en Croatie comme étant le prochain prodige du Dinamo et est appelé dans toutes les catégories jeunes de la sélection au damier.

11 matchs en pro au Dinamo et Auf Wiedersehen !

«C’est un grand talent que nous estimons être l’avenir de notre club. Son comportement sur et en dehors du terrain, mais aussi son attitude globale envers le travail est en accord avec ce que nous apprécions particulièrement au club», avait déclaré Marijan Vlak alors directeur sportif du Dinamo Zagreb. Ayant fait toutes ses classes au sein de la maison Dinamo, comme la grande majorité des stars croates, il lance sa carrière professionnelle à 17 ans lors d’un match contre l’Inter Zapresic à la saison 2015-16. Il a alors 17 ans et les yeux de tout un pays rivé sur son entrée. Titulaire dans seulement un seul match de championnat face à Osijek, il ne cumule que 11 petites apparitions sur l’ensemble de la saison, pour seulement 387 minutes et un seul but, en coupe face au club ennemi juré du Dinamo : Hajduk Split. Mais alors que tout le pays voit en lui un nouveau titulaire de l’équipe nationale, son histoire avec le Dinamo s’arrête très rapidement.

Avec un fort caractère et des proches qui cherchent constamment à lui faire garder les pieds sur terre, il refuse l’offre de prolongation de son club formateur. Son père, ancien footballeur, souhaitait le meilleur pour son fils. Et ce qu’il voulait par dessus tout, c’est que Josip ne tombe pas dans les geôles des frères Mamic. Les deux frères ont en effet inventé de toutes pièces un système de redistribution en leur faveur, qui contraint tout jeune joueur du Dinamo Zagreb quittant le championnat croate d’être lié au clan Mamic par la suite. Zdravko et Zoran Mamic ont d’ailleurs depuis été jugés pour malversations financières, accusés d’évasion fiscale et de corruption.

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C’est pour éviter ce système, que le jeune ailier a pris la direction de l’Allemagne en mai 2016. «Josip Brekalo est si rapide qu’il a également réussi à échapper aux frères Mamić» titre le site 24sata.hr, jouant sur les mots entre sa vitesse sur le terrain et celle prise pour s’enfuir. Une décision très forte malgré ses 17 ans, puisque Zdravko Mamic est considéré comme «le boss» du football croate, avec des entrées dans tous les milieux, y compris la sélection croate. Ce qui pourrait réduire ses chances d’enfiler un jour le maillot des Vatreni. Rien à faire, il débarque à Wolfsbourg contre 10 millions et termine sa post-formation là-bas. Cette saison là à Wolfsburg (2016-2017), Valérien Ismaël est provisoirement aux commandes des Loups. Patrick Guillou, actuel consultant chez beIN Sports, était alors au sein du staff du VfL et raconte sur le site de la chaîne avoir vu un joueur «très élégant, pétri de qualités, facile des deux pieds, très mobile». Ailier gauche ou droit ou encore numéro 10, Brekalo a une forte capacité d’impact et sa vitesse est une réelle menace pour les défenses adverses. «Il est capable de décanter un match par un dribble, sur une prise d’initiative, un geste qu’on ne voit plus trop souvent dans le football moderne, où le déséquilibre se crée souvent par une passe, un changement de côté… se souvient celui qui l’a vu grandir chez les Loups. Lui, en un contre un ou un contre deux, il sait faire la différence, créer des décalages par sa qualité de percussion puis de centre.»

Des débuts allemands entre agacement et polémiques

Ses débuts à Wolfsburg sont en revanche beaucoup plus compliqués. Il entre avec la tunique verte pour la première fois lors de la deuxième journée dans un match nul 0-0 contre Cologne et joue onze minutes. «À l’époque, j’étais très fier d’avoir réussi», se souvient Brekalo au micro de Juternaji. Mais ses six premiers mois au VfL ont été «très difficiles». «Le VfL était en crise, ce n’était pas possible d’avoir beaucoup d’opportunités quand on est jeune», résume celui qui vit pourtant ses meilleurs heures avec les Wölfe cette saison. Puis il ajoute : «Ce n’était pas facile d’être séparé de la famille pour la première fois à l’âge de 18 ans.» Globalement, Josip Brekalo n’a pas sa langue dans sa poche quand il s’agit de parler football, et dès les premières difficultés rencontrées Outre-Rhin, il exprime son désarroi dans la presse croate et va même critiquer certains choix des entraîneurs qui se succèdent sur le banc des Wölfe.

Prêté en Janvier 2017 au VfB Stuttgart, en Bundesliga 2. pour faire ses preuves, il retrouve la grande diaspora croate installée dans la ville et y signe pour une saison renouvelable. Le contrat c’est que si Stuttgart remonte en Bundesliga, il reste une saison de plus. Mais voilà, si le VfB monte bien dans l’élite allemande après ses 6 mois de piges, Wolfsburg le rappelle rapidement au mercato hivernal seulement un an après. Ayant joué presque tous les matchs en Bundesliga 2., il est encore plus prolifique en D1 : un but et une passe décisive en 14 matchs. 

Rentré dans son club d’attache début 2018, Josip enchaîne les bonnes performances et va même permettre à son club de se sauver de la relégation. Lors de la dernière journée de Bundesliga, il inscrit un but et une passe décisive contre Cologne, permettant au club d’accrocher les barrages contre Holstein Kiel. Lors du match aller, il inscrit le but qui permet à son équipe de repasser devant, 2-1 (victoire finale 3-1). Pourtant cette même année 2018, Josip Brekalo fera parler de lui pour une autre raison. Wolfsbourg avait en effet décidé que son brassard de capitaine arborerait les couleurs arc-en-ciel toute la saison 2018-19. Josip Brekalo affirme alors qu’il n’aimerait pas jouer avec un brassard de capitaine aux couleurs du drapeau LGBT. Likant sur Instagram les commentaires homophobes sous le post de son capitaine Guivalogui. Il plaidera ensuite le dysfonctionnement de son téléphone pour se défaire des polémiques grandissantes en Allemagne et en Croatie. Mais il déclare quand même qu’il ne soutiendra pas cette action, qui va à l’encontre de son éducation chrétienne : «  Je suis d’accord avec les gens qui vivent avec un style de vie différent, parce que c’est leur affaire. (…) Mais je n’ai pas à porter un symbole les représentant. »

Malgré la polémique grandissante en Croatie et en Allemagne, Josip Brekalo finit par lancer sa carrière à Wolfsburg. Le joueur confirmera sa place durant les saisons 2018-19 et 2019-20, s’imposant plutôt comme un supersub. Cette saison, le jeune croate compte 7 buts et 4 passes décisives en 33 matchs, dont notamment un triplé face à l’Union Berlin qui permet à Wolfsburg de finir quatrième de Bundesliga et donc de jouer la Ligue des Champions la saison prochaine. À 22 ans, Josip Brekalo a déjà joué pas moins de 115 matchs de Bundesliga, et dit espérer pouvoir atteindre au moins les 200 matchs. Pour cela, il faudrait qu’il reste à Wolfsburg, une ville qu’il avait lui-même critiqué dans une interview pour Juternaji : «C’est une ville de 130 à 140 000 habitants, dont près de 70 000 travaillent chez Volkswagen. La seule chose est que je peux obtenir en dehors du football c’est un emploi chez Volkswagen pour assembler des voitures. (…) En trois ans en Allemagne, je n’ai pas pu beaucoup m’amuser en dehors du football.»

Un Euro pour mieux briller ?

Alors qu’il vient tout juste d’être papa à 22 ans, Josip Brekalo aspire peut-être à un autre futur, même si Wolfsburg jouera la Ligue des champions la saison prochaine. En conférence de presse avec la sélection nationale, il préfère rester flou sur le sujet et ne se focaliser que sur l’Euro à venir. Compétition dont il tiendra l’un des rôles majeurs, quasi assuré d’être dans le 11 titulaire, et prenant la suite de la belle génération qui avait fait briller la Croatie lors de la dernière Coupe du monde. Peut-être un moyen pour mieux quitter son club ensuite ? En sélection en tout cas, Brekalo est habitué à briller.

Pour son premier match sous le maillot Vatreni le 15 novembre 2018 contre l’Espagne, il adresse une passe décisive pour Tin Jedvaj qui signe le but du 3-2 à la 93e et donc la victoire. La Croatie se maintient ainsi en Ligue A de la Ligue des nations. Le sélectionneur sait alors qu’il n’est pas titulaire indiscutable avec Wolfsburg, mais lui fait confiance. En interview pour Juternaji, l’ailier de Wolfsburg se souvient de ses débuts avec la Croatie, lui qui était «très stressé» et «fier» à l’idée de représenter son pays : «L’entraîneur Dalić a tout le temps dit: « Josip, détends-toi et joue ton jeu, ne t’inquiète pas de faire des erreurs parce que je te soutiens. Je ne te jugerais pas pour quelques erreurs parce que je connais ta valeur. S’il se passe quelque chose, j’en assumerai la responsabilité. » Quand vous avez ce genre d’accueil, tout est beaucoup plus facile 

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Son premier but avec la sélection est donc celui qui vient semer le doute dans les têtes des Bleus quand il marque à la 55e sur une passe décisive de Mateo Kovacic pour égaliser à 2-2 (victoire 4-2 des Bleus). But symbolique de la prise de pouvoir de cette nouvelle génération croate et permet à nouveau à la Croatie de se maintenir en Ligue A de la Ligue des nations, à la différence de buts cette fois-ci. Avec l’équipe A, il compte désormais 23 matchs pour 4 buts et 5 passes décisives. Alors quand il sort sur blessure dans un match de préparation à l’Euro 2020, c’est tout le pays qui vacille et un sélectionneur qui est bien inquiet. «Nous avons remplacé Brekalo à titre préventif, il s’est tordu la cheville et a ressenti une douleur, nous ne voulions pas prendre de risques», rassure le sélectionneur croate Zlatko Dalic en conférence de presse après le match.

Interrogé en conférence de presse sur son rôle durant cet Euro, Josip Brekalo dit être prêt à jouer à n’importe quel poste. Y compris celui de défenseur droit, qu’il avait assumé le temps d’un match avec les Vatreni, si besoin. Il se satisfait aussi de voir cette nouvelle génération arriver en sélection, et capable d’assumer certains rôles capitaux. Mais surtout, il fait preuve d’une confiance légendaire : «Tout le monde a peur de la Croatie dans les grandes compétitions parce qu’ils savent que nous sommes une équipe qui a une grande mentalité et puis, quand nous ne sommes pas dans une bonne situation, nous montrons le meilleur de nous-mêmes. Je ne voudrais rien prédire, le plus important c’est de passer par le groupe et ensuite match par match.»

À 22 ans, Josip Brekalo va donc jouer sa première grande compétition internationale en qualité de titulaire avec le maillot croate sur le dos. Mature et posé, il reste un personnage à part entière, très loquace en conférence de presse, mais très éloigné des réseaux sociaux. Perçu incontestablement comme l’un des futurs piliers de cette sélection en renouvellement, il aura un choix de carrière important à faire cet été, s’il souhaite quitter Wolfburg pour découvrir autre chose…

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