Équipe de France : Le simulacre Bleu

Trois ans après son second sacre mondial, l’équipe de France conclut à nouveau une phase de groupe avec autant de doutes que de convictions. Si la recette Deschamps n’a jamais changé, la perception qu’en a le public révèle la dichotomie qui frappe les Bleus.

Les caviars de Pogba, le millésime Benzema, la truffe de Grizou ou les bulles du champagne Mbappé, la France compte parmi les ingrédients les plus luxueux du monde dans sa cuisine. De quoi proposer de somptueux repas et honorer la gastronomie française. Mais pépin aux fourneaux, le plat principal a un léger goût de cramé.

La formule du chef

Pour mieux comprendre la cuisine française, il faut s’intéresser au chef cuisto : Didier Deschamps. Sa recette, il la maîtrise sur le bout des doigts. Il cherche avant tout à ne pas se découvrir et refuse donc de s’auto-déséquilibrer. Une volonté qui exclut de facto plusieurs compositions qui accumuleraient trop d’offensifs.

C’est donc généralement le 4-3-3 ou le 4-2-3-1 qui ont sa préférence, dans les deux cas avec trois milieux, un relayeur passant sur le côté dans la seconde configuration. Cette solidité permet à DD de tout miser sur la transition et profiter de la verticalité de ses offensifs pour foudroyer l’adversaire dans le dos.

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Mais si le coach français est un maître de la transition, il faut ajouter une nuance. C’est bien la transition offensive que les Bleus préfèrent. La défensive pose davantage de problèmes pour des arrières qui peinent à défendre loin de leur but. Une situation particulièrement handicapante lorsqu’ils doivent reculer et donc courir vers leur surface.

Autre nuance, c’est un type d’attaque rapide bien précis dont raffole Deschamps : la contre-attaque. Son équipe récupère rarement dans des zones dangereuses car elle ne se découvre pas et presse peu. La vraie volonté du Basque, c’est d’attirer l’adversaire le plus haut possible et dévorer l’espace qu’il libère.

Une recette au menu

Voilà donc dans les grandes lignes la recette fétiche du chef Didier depuis maintenant des années. Si elle n’a jamais changé, voici que pour la première fois depuis 2018, il a peut-être en sa possession les joueurs au niveau pour se le permettre. Car il n’y a pas de plan B. Si l’équipe a la possession, il ne se passe pas grand-chose. Mais les individualités françaises réunies pour cet Euro justifient en un sens d’accepter cette faiblesse tactique et compter sur les différences qu’ils créent.

Et il s’agit bien là du paradoxe Didier Deschamps. Sans être un mauvais tacticien, il est pour autant loin d’en être un grand. Lorsqu’il a les bons ingrédients en main, il est capable de faire de son équipe une machine clinique et presque imparable. Mais dès lors qu’un grain de sable s’incruste dans les rouages, le constat est bien plus nuancé. Sa faculté d’adaptation lorsque la configuration ne lui sied pas laisse planer des doutes sur la richesse de sa réflexion tactique.

L’équipe de France préfère alors jouer des blocs hauts et entreprenants, autrement dit souvent des grandes équipes. D’où sa difficulté et son apathie face aux bloc bas qui ne laissent aucun espace et forcent les Bleus à sortir. Ici se trouve l’une des raisons pour lesquelles Deschamps convainc souvent en compétition internationale et essuie les critiques les deux années qui séparent de la suivante. Par l’essence même de sa philosophie, il ne satisfera jamais les désirs collectifs et tactiques du public.

L’Allemagne, le bon client

Pour son premier match de l’Euro, la France affrontait la Mannschaft à Munich. L’équipe allemande ressemblait alors à l’opposition idéale pour la formule Deschamps. Les hommes de Joachim Löw jouent hauts dans un système avec pistons et assument leur déséquilibre. Face à une équipe comme les Bleus, cette animation n’est viable qu’à raison d’une maîtrise technique irréprochable.

Le 4-3-3 français face à l’Allemagne. Via uefa.com

Ce ne fut pas le cas pour les Allemands. La France a abandonné son dernier tiers mais a bénéficié de la solidité de sa ligne défensive pour protéger la surface. En jouant presque à quatre centraux pour bloquer l’axe, elle a poussé la Mannschaft sur les côtés. Ils ont manqué de créativité pour vraiment déséquilibrer le bloc français et n’ont pas converti lorsqu’ils ont trouvé receveur dans la surface.

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Ce match rappelle évidement les Bleus de 2018 et un pan essentiel du titre : leur réussite dans les deux surfaces. Une donnée forcément associée à un brin de chance mais pas uniquement tant elle est récurrente chez la France. Car si l’Allemagne a croqué, les attaques françaises ont été très efficaces.

Redoutable sur transition, la France profite des courses de Mbappé ou Lucas Hernandez pour déborder le coté droit adverse. Benzema est très intéressant, cible évidente pour combiner dans des espaces resserrés. Pogba se la joue chef d’orchestre au milieu et la technique individuelle des joueurs leur permet quelques gestes de classe pour éliminer le pressing.

Avec finalement assez peu d’opportunités, les Bleus sont dangereux sur chacune d’entre elles. L’addition affiche un but d’Hummels contre son camp, un potentiel penalty sur Mbappé et un but refusé de Benzema. Si le Madrilène est signalé hors-jeu, il plante une spéciale KB nueve : décrochage pour remise sur la sortie de balle, projection dans l’espace et finition en bout de chaîne.

L’équipe de France s’impose donc de sa manière préférée. Elle fait beaucoup avec peu et rappelle sa confiance lorsqu’elle peut défendre près de son but. S’il faut nuancer la performance défensive par l’inefficience allemande, la charnière est sécurisante. Surtout, le niveau individuel affiché, Pogba et Varane en tête, a de quoi porter les Bleus.

La Hongrie, le mauvais client

Après Munich, c’est dans un stade plein que la France défie la Hongrie à Budapest. Cette fois-ci, la configuration est totalement à l’opposé de celle du dernier match. La Hongrie propose une solide ligne de cinq qui défend proche de sa surface.

La question de l’adaptabilité de Didier Deschamps se pose à nouveau. Historiquement, les Bleus ont rarement convaincu sous ses ordres en phases de poules. Hormis peut-être le mondial 2014, le contenu est souvent maigre et le sélectionneur prend très peu de risques.

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Seule l’entrée de Digne à la place d’Hernandez diffère de la composition face à l’Allemagne. Il s’agit d’une bonne idée au vu de la superbe patte gauche du joueur d’Everton. Très précis et juste, le latéral est plus intéressant face à un bloc bas qu’Hernandez. Le Munichois se distingue davantage par le volume et l’intensité de ses courses.

Craintes confirmées

Avec ballon, Digne joue quasiment en tant qu’ailier et plusieurs bons mouvements passent par lui. La France se crée quelques occasions, dont une grosse croquée par Benzema, mais dans l’ensemble les doutes émis se confirment. L’équipe peine à déséquilibrer la Hongrie et bute sur leur ligne défensive. Il n’y a aucun mouvent dans l’espace devant Pogba et Kanté, autrement dit entre les lignes.

Les quelques décrochages de Benzema, Mbappé ou Griezmann sont beaucoup trop longs et les mènent au niveau des relayeurs. Il n’y a pas de mouvements plus courts pour servir de relais aux milieux. À droite, Grizou doit faire sans un Pavard qui n’apporte pas dans le couloir. Rabiot est la caution sécurité de Deschamps mais, bien moins vertical que Paul ou N’Golo, sert moins dans un match si fermé.

Pire encore, c’est l’équilibre défensif cher à Deschamps qui est mis à mal. Si Kimpembe assure sur chacun des ballons qu’il a à jouer, le côté Pavard-Varane est largement ciblé. Les deux sont en grande difficulté loin de leur but et subissent lorsqu’il s’agit de défendre en reculant. C’est de cette situation que viendra le but de Fiola juste avant la mi-temps.

La solution DD à défaut du pragmatisme

Les seules satisfactions de la mi-temps sont Kimpembe et Digne. Les deux hommes qui ont pu assumer de jouer haut et contrôler leur côté gauche. L’idée la plus intuitive serait de faire entrer Dembélé à la place de Rabiot pour qu’il soit le pendant de Digne. Cela permettrait à Griezmann de rentrer à l’intérieur et combler le vide devant Pogba-Kanté. Le tout en gardant Benzema et Mbappé devant avec leur liberté de mouvement.

D’un point de vue pragmatique, cela ressemble à la meilleure solution. L’idée dynamiserait l’animation offensive tout en densifiant le contre-pressing. Mais DD n’est pas du genre à se risquer à tel déséquilibre. Ousmane Dembélé remplace bien Rabiot mais les Bleus passent en 4-2-3-1. Mbappé glisse à gauche et l’équipe perd le point d’ancrage Digne dans le couloir qui l’avait bien aidé en première période.

La seconde mi-temps est finalement pire que la première. Dembélé est mal utilisé, il a besoin soit d’espace pour attaquer ou alors d’être servi haut sur l’aile pour jouer des un contre un. Dans ce match, il reçoit la balle à 50 mètres des buts adverses et doit initier des mouvements. Mis à part son premier ballon, où il attaque justement l’espace et touche le poteau, son entrée est mauvaise.

Les Bleus sont statiques et confirment bien les doutes concernant la faculté du groupe à s’adapter face aux blocs bas. L’égalisation viendra d’une transition jouée sur un long dégagement de Lloris après un coup-franc. Un but au moins autant dû à l’erreur des centraux hongrois sur la réception aérienne que le travail de Kylian Mbappé derrière.

Dernier service face au Portugal

Pour son dernier match de groupe, l’équipe de France, déjà qualifiée, affronte un Portugal qui joue sa survie. Les hommes de Santos ont souffert face à l’Allemagne, explosant à coup de courses de Gosens dans le couloir. Les Bleus arrivent cette fois-ci en 4-2-3-1 avec Tolisso dans un rôle hybride de milieu droit, Koundé latéral et le retour d’Hernandez.

Si la France cible rapidement Semedo qui a été catastrophique contre la Mannschaft, Mbappé est stoppé par une prise à deux avec Pepe. Cette option tombant à l’eau, les hommes de Deschamps ont bien du mal à créer du jeu. Une nouvelle fois, l’espace devant Kanté et Pogba est vide. Cette absence entre les lignes portugaises est symptomatique de la faiblesse de l’animation française. Avec le ballon, la France n’a simplement pas de plan.

D’un point de vue défensif, la France a concédé deux penaltys sur des faits isolés – Lloris s’inspirant d’Anthony Lopes et Koundé ayant la main baladeuse – et non par des problèmes systémiques. Un peu plus rassurant que face à la Hongrie donc, même si des ballons aériens dans le dos pour CR7 ont mis en difficulté les Bleus.

Pog-dépendance

Pour se créer ses occasions, l’équipe de France a compté sur les appels de Benzema et Mbappé, notamment lorsque les Portugais étaient en bloc médian. Faute de transitions, l’équipe s’est créée ses attaques rapides elle-même sur une passe dans le dos après une action arrêtée. Sont alors venus le penalty obtenu par Kylian et le doublé de KB9. Mais pour servir les deux gaillards, il fallait bien une rampe de lancement d’exception.

Le commis d’office Pogba s’est donc chargé de l’assaisonnement des plats. Les Bleus ont souvent été dépendants de son potentiel créatif avec ballon pour épicer leur jeu. Il a créé des occasions presque seul, magnifiant les appels de superbes ouvertures lointaines, là où l’équipe manquait cruellement de mouvements courts devant lui. Paul ressort de cette phase de poules comment le meilleur français mais aussi le plus indispensable.

Bien que discret face à la Hongrie, le Mancunien est capable d’apporter une verticalité déconcertante à la France lorsqu’elle en a le plus besoin. Sa position de chef d’orchestre reculé en fait le dépositaire d’un jeu qui ne demande qu’à exploiter le moindre espace. En fin de match face aux Portugais, l’entrée de Coman a elle aussi apporté un peu de beurre dans les épinards.

L’ailier munichois a dynamisé l’attaque tricolore, même avec un bloc à l’arrêt. Quand Pogba se sublime à la passe, Kingsley apporte quelque chose d’autre. Il est capable de progresser balle au pied et avancer dans le camp adverse même face à des espaces resserrés. Une Coman touch que peu d’autres joueurs de l’effectif partagent et qui aurait même pu apporter un second penalty aux Bleus.

Jugement tronqué dans l’espace public ?

La France s’en sort à bon compte avec la première place du groupe et confirme sa peine habituelle dans le contenu en phase de poule. Mais au-delà de l’aspect sportif, l’agitation médiatique qui a entouré les matches des Bleus interroge. Le public se perd dans l’interprétation des performances collectives et individuelles françaises.

D’une rencontre à l’autre, la France passe d’ultra-favorite après Munich à vouée à l’échec en revenant de Budapest. Pourtant, ces deux résultats reflètent le jeu et l’ambition affichée par Deschamps depuis sa prise de fonction. Avec des qualités à la hauteur de ses défauts, l’équipe patine autant face aux blocs bas qu’elle ne récite sa partition contre les grosses cylindrées.

À l’échelle individuelle, le constat est similaire. Après les matches de Rabiot, Dembélé ou Pavard contre les Hongrois, Tolisso et Koundé ont été beaucoup réclamés par le public. Mais leurs prestations face au Portugal ont déçu, dissipant toute sorte de nuance.

Pris entre une position de milieu et latéral droit, Tolisso n’a aucunement pu jouir de sa qualité de projection. Ses bonnes performances dans l’axe avec les Bleus s’effacent au prix d’un match qu’il ne pouvait pas réussir. Koundé est lui aussi jugé sur une partie qu’il a traversée sans personne devant lui pour animer le couloir droit. L’ex-Bordelais affiche logiquement un rendement avec ballon loin de ses standards sévillans.

Tolisso (12) et Koundé (25) jouent tous les deux très bas face au Portugal. Personne plus haut dans le couloir. Via sofascore.com

De la même façon, Karim Benzema, sous le feu des critiques après la Hongrie, change complétement la donne. Mais finalement, le Madrilène n’est jugé qu’au regard de son efficacité retrouvée, non pas pour ce qu’il apporte de plus fondamental au jeu.

Avant d’affronter la Suisse demain soir, l’appréciation des Bleus se confond encore entre ce qu’ils cherchent à faire et le fantasme de ce qu’ils pourraient faire. Si le vivier français a donné naissance au simulacre de la «plus belle équipe du monde», la proposition tactique du groupe trahit ce faux-semblant. Car être la plus belle, la France de Didier Deschamps ne le cherche nullement.

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