« Le premier jour, Dieu créa la lumière ». Pour les businessmen du foot, ce premier jour arriva en 1996 avec la création de Gestifute, première grosse entreprise de ‘’gestion de carrières’’, par l’inévitable furie lisboète, Jorge Mendes. The rest is history… Non, un peu de sérieux. Aujourd’hui, cet homme est sans aucun doute celui qui fait le plus débat dans le paysage footballistique. Entre projet sportif et folie financière, celui dont les revenus annuels avoisinent les vingt millions d’euros est autant aimé que décrié. En plein mercato, analyse de cette ambivalence.
Jorge Mendes, le mal-aimé
Dernier coup d’éclat en date : la vente du prodige Ruben Neves du FC Porto à Wolverhampton pour 18 millions d’euros. La goutte d’eau qui fait déborder le vase pour les amoureux du football. L’un des trois mégalomanes du foot (les deux autres sont Mino Raiola et Pini Zahavi) s’occupe de la carrière de joueurs comme Cristiano Ronaldo, David de Gea, James Rodríguez ou Thiago Silva mais aussi de José Mourinho. Le personnage présenté rapidement, passons aux raisons de son ‘’succès’’.
D’abord, Jorge Mendes a conçu ce que l’on va appeler des maisons-mères. Je m’explique. Il place une petite dizaine de joueurs qu’il agence dans un club afin de contrôler en quelques sortes le club tout assurant un certain développement à ses joueurs. Cette petite histoire a débuté en 2011 avec le Deportivo La Corogne. Endetté et en deuxième division, le club peine à recruter de bons joueurs et le président du club, Augusto César Lendoiro fait appel à Gestifute pour aider le club. Des joueurs comme Pizzi (meilleur joueur de Liga Nos 2016-2017) passent alors, souvent en prêt, dans cette équipe devenue charnière. C’est la même chose qui se déroule avec les Wolves actuellement entre les arrivées de Nuno Espirito Santo au poste d’entraîneur, de Neves ou d’Helder Costa mais aussi de Diogo Jota (Atletico Madrid) en prêt. En revanche, il s’avère qu’en 2013, seuls cinq joueurs de l’effectif sur vingt-cinq sont ‘’détenus économiquement’’ par le Depor. Cette situation s’est atténuée depuis, mais cela signifie qu’à partir du moment où la bande à Mendes pliait bagages, s’en était fini du club galicien. L’incertitude est alors énorme et il est impossible de dormir sur ses deux oreilles. Jacques Songo’o, ancien gardien du club disait en 2012 à So Foot qu’ « aujourd’hui le Depor, c’est Jorge Mendes ». C’est ce qui va se passer à terme avec Wolverhampton. Économiquement, cette solution semble au premier abord nécessaire, mais en regardant de plus près, il apparaît qu’elle est mauvaise pour le club sur du plus long terme car celui-ci ne dispose que de trop peu d’indépendance financière.
Plus ou moins lié à cela, le ‘’placement de joueurs’’. C’est tout simplement le fait que Gestifute place certains de ses gros joueurs agencés dans des clubs, souvent importants eux aussi. Pourquoi ? D’abord, pour s’implanter à plus petite échelle que dans ses maisons-mères mais aussi pour permettre à ces grosses écuries d’obtenir des bons joueurs à moindre coût. Ainsi, les voyages consécutifs en prêt de Falcao après sa blessure à Manchester United et Chelsea sont bien évidemment l’œuvre de Mendes et ses sbires. Un prêt simple pour le faire retrouver le haut-niveau en permettant à des grands clubs d’avoir ce type de joueurs moins cher que le prix exigé par le marché. Malheureusement, cette situation ne fait que renforcer voire accroître les inégalités entre clubs. Qui n’a pas vu le Real en 2009 avec Cristiano Ronaldo, Ricardo Carvalho, Pepe et Fabio Coentrão (tous agencés par Gestifute) revenir sur un Barça surpuissant en distançant largement des équipes comme Séville ou Valence, capables à l’époque de lui tenir tête ? Toujours dans cette logique de hausse des inégalités, revenons sur les prêts de Falcao. Pourquoi le prêter dans deux très grands clubs anglais et même européens (où il a d’ailleurs eu beaucoup de mal) alors que des clubs moins forts auraient pu être une meilleure alternative tant pour le joueur que l’équipe ? Car Mendes attend sans cesse des retours d’ascenseur, parfois même au détriment de ses joueurs. Plus qu’une inégalité, c’est une véritable injustice qui a lieu ici. Ajoutons à cela que certains joueurs peuvent même devenir passifs par rapport à leur carrière comme Ivan Cavaleiro qui est le parfait exemple du cas Mendes. Passé par le Deportivo, il signe à Monaco (‘’protectorat mendesien’’ dans une situation similaire à celle du Real de 2009) en 2015 et joue maintenant à Wolverhampton. Ses choix de carrière sont en réalité effectués par Gestifute sans que le joueur n’ait son mot à dire, c’est terrible.
Plus fort encore dans la détestation : l’opinion publique. Avec l’affaire des Football Leaks qui a été largement médiatisé, il s’avère que même les non-footeux s’en sont mêlés, de manière pertinente ou pas mais ce n’est pas le sujet. Cette accusation stipulait entre autres plusieurs cas d’évasion fiscale de la part des joueurs agencés par Gestifute comme Angel Di María ou même Cristiano Ronaldo (d’ailleurs condamné à une amende de 14 millions d’euros). Tout le monde se doute évidemment que ce ne sont pas les joueurs qui sont derrière ces montages financiers de haut vol mais bien le cabinet de Mendes. Énième coup dur pour Gestifute, considérée depuis lors comme faisant l’apologie du foot business.
Jorge Mendes, le mégalo fascinant
Oui, Jorge Mendes fascine. Nombreux sont ceux qui s’inspirent de lui, lui le simple vendeur de cassettes VHS aujourd’hui millionnaire en dominant une partie du football mondial. Il y a trois raisons à cette admiration de la part de certaines personnes, travaillant dans le domaine sportif ou non. Spoil : ce sont les trois mêmes raisons que celles évoquées précédemment.
Reprenons avec les maisons-mères. Comme évoqué précédemment, quand Jorge Mendes s’occupe du cas La Corogne, le club est au bord de la faillite. En plus de cela, le président Lendoiro est alors un très bon ami de Jorge Mendes. Il lui rend donc un grand service. On l’a vu avant aussi, les joueurs venant au Depor étaient plutôt de qualité et donc sportivement rendaient le projet à peu près viable. De même pour l’indépendance financière ; oui le club ne détenait à une période qu’un cinquième des joueurs de son effectif, mais ne serait-ce pas un mal pour un bien, dans le sens où cela permet au club de se libérer de toute dépense liée aux transferts ? Certes, l’équipe ne récupère pas d’argent sur leur vente, mais d’un côté, elle n’en n’utilise pas pour les acheter. Quant au nouveau fief de Mendes, j’ai nommé Wolverhampton, c’est encore une fois Mendes qui aide un ami, en l’occurrence Laurie Dalrymple, directeur sportif du club. Ajoutez à cela un partenariat avec Fosun, conglomérat chinois qui a racheté le club et vous obtenez « un partenariat qui permettra de saisir des opportunités ainsi que d’obtenir des conseils précieux » (Laurie Dalrymple).
Le fait de placer ses joueurs où bon lui semble, maintenant. C’est vrai qu’on a été dur avec lui mais reprenons avec l’exemple de Falcao. Qui sait si un prêt dans un club inférieur n’aurait pas été mauvais pour lui en raison d’un potentiel manque de rythme qui aurait détérioré encore plus son niveau ? A partir de cette optique là, c’est tout argumentaire sur l’accroissement des inégalités qui est remis en cause. De plus, il a été relativement précurseur pour d’autres boîtes d’agencement qui placent de plus en plus leurs joueurs dans des moins grands clubs avec lesquels ils ont des relations, permettant ainsi de les développer.
Troisième aspect, les Football Leaks. L’amende donnée à Cristiano Ronaldo, parlons-en. Quatorze vulgaires millions d’euros alors qu’il apparaît clairement que ce sont des centaines de millions d’euros qui ont été brassés sur jusqu’aux Iles Vierges britanniques. Loin de moi l’idée d’accuser la justice, cela signifie tout simplement que la somme est dérisoire par rapport à ce qui a été fait. Gestifute a, peut-on dire, très bien joué son coup puisque ses clients en sortent gagnants. Autre signe de la compétence de l’équipe de Jorge Mendes, la première affaire des Football Leaks sortie en février dernier. L’instruction seule du dossier a conclu qu’un procès semblait inutile car c’est une situation d’optimisation et non de fraude fiscale qui existait : gros travail de Gestifute sur le plan juridique pour ne pas se faire griller.
Avec Gestifute, rien n’est manichéen. Certains voient leurs activités d’un bon œil, d’autres pas. La réalité est somme toute un peu plus compliquée que ça. Comme dans l’intégralité des choses, rien n’est tout noir, rien n’est tout blanc. C’est trop facile de dire que Mendes est un pourri ou que c’est un génie. Il faut toujours regarder l’envers du décor pour comprendre ce genre de situations. Voilà en quoi Gestifute est la représentation de la controverse que suscite le football actuel.
Crédits photos : AFP PHOTO / JACK TAYLOR