Interview Vitor Severino (2/2): « Le plus important dans un staff est la confiance »

Formé à l’université, sans passé dans le football professionnel, doué en tactique, Vitor Severino représente à merveille cette nouvelle génération de coachs portugais. Jeune et talentueux, il sera à n’en pas douter rapidement sous le feu des projecteurs. Rencontre avec un homme intelligent, qui sent et qui vit le football comme tous les portugais aiment le faire.

Première partie à retrouver ici

Parlons un peu de vous. Vous n’êtes pas coach mais bien coach adjoint. D’après vous, quelle est la différence entre ces deux métiers ?

Je suis un coach adjoint. Cette année j’ai cette fonction. Je suis très heureux de ce rôle parce que je peux maintenant travailler en première division portugaise. Je suis encore jeune, j’ai commencé en tant que coach adjoint en U13. Je n’ai pas un passé de footballeur professionnel, je n’ai jamais joué dans le haut niveau. Je suis passé par un autre chemin. Quand j’ai arrêté de jouer je suis allé à l’université, et à l’université je me suis lancé dans des études de sport, spécialisation football. Puis j’ai fait mes premiers pas. Tout d’abord j’ai été adjoint en U13, j’étais très jeune à l’époque. Ensuite, au sein d’Academica, le club dans lequel j’ai débuté, j’ai commencé à grimper les échelons, étant coach adjoint pendant quelques années, puis coach principal, et pour mes trois dernières années à Academica, manager de l’Academy, le responsable de tous les coachs de jeunes du club. Ensuite je suis allé à Porto, et à Rio Ave cette année. Quand on parle d’un coach et d’un adjoint, on parle de deux rôles différents. Le coach serait le cerveau de la totalité des choses, le cerveau de toutes les  idées. Le rôle du coach est aussi de donner de l’énergie, et l’énergie c’est l’information. Le coach adjoint doit être au courant de toutes les idées et doit comprendre chaque dimension du plan de jeu, de la philosophie que le coach a dans la tête. S’il sait cela, c’est simple pour lui d’aider à créer les sessions d’entraînements et lors des matchs. La seule différence est que l’un sera toujours le cerveau de tout et l’adjoint doit partager la philosophie et mettre de l’énergie dans ce processus. L’énergie est ici l’information. Quand on dit que l’adjoint doit comprendre les idées, cela ne veut pas dire que parfois l’information ne peut pas être différente de celle que le coach a dans la tête à ce moment précis. C’est la partie riche du processus. L’adjoint a aussi le rôle d’aider à s’améliorer, simplement de penser et de trouver des solutions aux problèmes que le jeu nous donnerait. Nous avons toujours des plans de jeu, mais le jeu possède aussi des plans pour nous. C’est ce que nous essayons de développer lors des sessions d’entraînement, avoir des joueurs ouverts d’esprit et une manière de penser flexible, qui ne pensent pas le jeu de manière fermée ou de manière mécanique. C’est de cette façon là que l’on fonctionne dans notre vision holistique des quatre ou cinq dimensions du suivi comme la technique, la tactique, le physique ou la psychologie. On peut inclure le social si vous voulez.

De quoi est fait votre travail quotidien ?

Mon quotidien se passe de la manière suivante. Je me réveille très tôt, je vais au club et je m’habille avec la tenue d’entraînement. Je vais au petit-déjeuner avec le staff technique. Là-bas, nous avons une réunion avec tout le staff technique. Le coach principal nous donne alors les informations nécessaires pour ce qu’il souhaite voir dans la séance. Nous notons alors la séance sur le tableau. Le planning est généralement fait le jour d’avant. Nous parlons alors de ça, nous organisons l’entraînement. Ensuite, tout le staff technique et moi-même nous rendons sur le terrain. On organise alors les exercices, les espaces, on réorganise s’il le faut. Après l’entraînement, nous avons une nouvelle réunion où nous allons évaluer ce que nous avons lors de la séance et nous allons fixer les objectifs de la séance du lendemain. Nous répéterons ce processus chaque jour. Bien sûr, cela dépend du jour, si c’est un jour de récupération, ou si c’est une séance « pré-match », alors nous allons détailler quelques choses, comme des documents pour la tactique. Parfois, on peut aussi avoir des moments de vidéo, de rencontre avec les joueurs mais à la base ça ressemble à ça. On vient au club, on a trois réunions en rapport avec l’entraînement, des analyses, la préparation de l’entraînement du lendemain, et ensuite nous devons nous reposer un peu, et garder du temps à la maison pour organiser certaines choses pour le lendemain.

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En parlant des coachs adjoints, nous sommes obligés d’évoquer l’histoire de Brian Clough et de son adjoint Peter Taylor. Pour vous, la relation entre le coach et son adjoint est-elle aussi fusionnelle que la leur ?

C’est une histoire intéressante que tout le monde connaît. Honnêtement,  je crois en une chose: le staff technique pour travailler dans de bonnes conditions doit avoir besoin d’une chose, et cette chose est la confiance. Nous devons croire en chaque membre du staff. Vous parlez ici du coach et de son assistant mais aujourd’hui comme vous le savez, je suis coach adjoint, mais nous ne travaillons pas seulement avec deux personnes. Comme je le disais Luis Castro est le cerveau de toutes les idées, le leader du staff et ensuite vous auriez moi, plus quatre personnes. Chaque personne a quelque chose à faire durant l’entraînement. Quelqu’un peut être concerné par les gardiens, d’autres par la vidéo, d’autres par l’installation des GPS sur les joueurs pour les données par exemple. Pour ce qui est de la relation entre le coach et son adjoint, je le dirais de cette manière. La première chose est la confiance. La confiance, vous pouvez en parler de manière personnelle, parce que chacun doit avoir confiance en l’autre, et le coach doit avoir confiance en son adjoint parce que c’est un travail dans lequel on prend des décisions chaque jour. Mais le coach doit aussi avoir confiance en son adjoint par rapport à la partie tactique du jeu parce que nous allons partager une idée du jeu, une philosophie de jeu, que nous allons développer à chaque instant. Nous essayons donc de nous entraîner dans ce sens. Comme nous avons un style de jeu, chaque exercice sera connecté à cette idée de jeu. Avoir cette confiance est important pour le projet.

Parfois, on dit que l’adjoint est le cerveau, le meilleur en tactique, et le coach principal le meilleur dans la dimension sociale du métier. Est-ce vrai ?

Je ne suis pas d’accord avec ça. Aujourd’hui, dans le football moderne, tous ceux qui sont autour du coach, chaque membre du staff doit comprendre un peu de tout. C’est la façon dont nous voyons cela, et la manière dont les autres coachs portugais le voient. Nous ne séparons pas la tactique du physique ou de toute autre chose. Parfois on peut être spécialisé dans le domaine du physique, on peut avoir des psychologues, mais comme je disais je ne suis pas d’accord avec ça parce que le coach sera le leader et c’est important pour lui d’être le cerveau et pas le coach adjoint. Beaucoup d’informations, beaucoup d’énergie. Et l’énergie est une chose que l’on peut voir dans les entraînements, dans les matchs. L’adjoint est une seconde paire d’yeux, et peut-être un plus petit cerveau en comparaison avec le cerveau qu’est le coach. Il doit être sur la même ligne que le coach, ils doivent tous être avertis de tout. Mais je ne pense pas que l’un est meilleur ou que le coach adjoint est quelque chose comme le cerveau. Ce n’est pas la façon dont fonctionne un staff d’après moi.

Est-ce possible pour un coach de faire sans son adjoint ? Et vice versa ?

Le coach a besoin de son adjoint, et l’adjoint n’existerait pas sans le coach donc c’est une relation comme je le disais. Une relation complexe, non seulement un coach et un adjoint, mais un coach, un adjoint, un entraîneur des gardiens, un staff médical, des psychologues, des directeurs, des managers, chacun est important. Aujourd’hui le football est quelque chose de global mais comme je disais, le cerveau de tout, le coach, et son adjoint, auront un rôle important. Et c’est important de donner de l’énergie et des informations. L’adjoint ne doit pas dire tout ce qu’il voit ou tout ce qu’il pense au coach. Il doit filtrer les informations, donner de bonnes et spécifiques informations. Une information qui est objective pour aider le coach à prendre des décisions.

Quelques questions auparavant, nous parlions de Fernando Santos. Cet été, la victoire du Portugal n’était pas seulement celle du coach, mais bien celle du staff entier non ? Ne mettons-nous pas trop vite de côté les hommes de l’ombre pour sur-médiatiser les acteurs principaux ?

La victoire du Portugal était la victoire du pays. Nous sommes un pays de football, tout le monde aime le football avec passion. Chaque enfant veut devenir un joueur de football, et s’il ne peut pas être un joueur il veut devenir un coach. Chacun veut avoir un travail en lien avec le football. Nous sommes un pays de football et c’était une grande victoire pour tout. Pour Fernando Santos, comme c’est un grand manager, c’était juste de gagner ce titre. Bien sûr c’était la victoire de tout un staff. Quand vous parlez des hommes de l’ombre, ce que je pense c’est la chose suivante: si vous êtes adjoint, c’est normal d’être dans l’ombre, si vous considérez qu’être dans l’ombre c’est de ne pas faire la Une des journaux. C’est une chose normale. Et c’est aussi une bonne chose car s’exposer dans les médias et sur les réseaux sociaux n’est pas toujours bon. Je ne considère pas que c’est être dans l’ombre. Etre dans l’ombre, c’est ne pas avoir d’idées, ne pas avoir de personnalité, ne pas avoir d’identité. Ne pas être capable de donner de l’énergie au coach, et ne pas l’aider à prendre des décisions ou améliorer les joueurs. Pour moi c’est une fausse question car c’est normal pour les stars ou le coach d’être sous le feu des projecteurs, parce que lorsque les choses vont mal, ils sont les premiers à tendre la joue. Pour moi, être dans l’ombre c’est travailler sans identité, sans personnalité, ou sans l’habilité à aider le coach à améliorer les joueurs, le jeu ou la philosophie.

Vous qui l’avez vu jouer lorsque vous étiez à Academica, que pouvez-vous nous dire sur Eder ? Tout d’abord, sur l’homme en dehors du terrain, puis sur le joueur?

Eder, tout d’abord est un super être humain. Quand j’ai commencé en tant que coach, Eder faisait ses premiers pas dans le football professionnel. A l’époque, quand je travaillais près de lui, pas avec lui car j’étais à l’Academie et lui avec l’équipe première, vous ne pouviez pas trouver une personne qui avait quelque chose de négatif à dire sur Eder. Tout le monde disait que c’est un être humain génial, car il l’est. Je me rappelle que pour les jeunes de l’Academie, le héros était toujours Eder parce qu’il venait au bord du terrain, proche des joueurs, pour parler avec eux, jouer au football avec eux. Et comme il n’a jamais changé sur ça, il était et il est un être humain génial, un homme très humble, et il est un exemple pour tous car il a réussi malgré différents problèmes au cours de sa vie. Et il est toujours la même personne, humble, simple. Et pour le Portugal il est un héros et tout le monde s’en rappellera, pour toujours. A propos du joueur, je me rappelle que quand il a commencé à joueur à Academica, les gens ont commencé à l’appeler « Ederbayor », vous savez, comme Emmanuel Adebayor. Il a commencé comme un jeune avec beaucoup de choses à améliorer. Mais il avait un talent pour marquer des buts, pour jouer comme attaquant. Il a réussi à faire une merveilleuse carrière et il est un bon joueur. D’après moi il a beaucoup de qualités.

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