House Of Corse, la passionnante histoire du foot insulaire : épisode 3

Quatre ans après avoir soulevé la Coupe de France au Parc des Princes, et sept années après avoir joué une finale de Coupe UEFA, le Sporting Club de Bastia retrouve la deuxième division. La saison 1985-1986 est désastreuse. Les bleu et blanc finissent bon dernier en ayant offert à leurs supporters le plaisir de la victoire à seulement cinq reprises. Après 18 saisons consécutives parmi l’élite, le Sporting se retrouve à végéter durant sept années en deuxième division. Parmi ces sept années, de nombreux évènements vont tristement faire sortir le foot corse de la banalité dans laquelle il s’était enfoncé. Dernier épisode de cette série sur le football corse, du début des années 1990 à nos jours : un football voilé par les drames, la surpolitisation et les magouilles.

House Of Corse, la passionnante histoire du foot insulaire : épisode 1

House of Corse, la passionnante histoire du foot insulaire : épisode 2

Retour au paradis et descente aux enfers

 

Avant de s’intéresser à cette tristement célèbre décennie 90, une petite parenthèse politique s’impose. Alors qu’en 1976 la Corse voit naître le Front de Libération Nationaliste Corse, la nécessité de trouver et de créer une vitrine légale et politique à ce mouvement émerge. Cette vitrine politique voit le jour en 1987 et se nomme A Cuncolta Naziunalista (la CN). Trois ans plus tard, ce mouvement va se scinder en deux. A l’époque, le divorce est uniquement idéologique, entre tenants d’un néo-socialisme et adeptes d’une pensée plus libérale. Les divergences sont trop grandes, et ces derniers fondent leurs mouvements par le biais d’Alain Orsoni. Le Mouvement pour l’autodétermination (MPA), surnommé le Mouvement des affaires, apparaît sur la scène politique corse en 1990. Dans les semaines qui suivent sa création, il fonde et nomme sa branche armée : FLNC Canal Habituel. En face de cela, la CN renomme sa branche armée en FLNC Canal Historique. Les premières années qui suivent cette division sont saines et pacifiques, la divorce n’est qu’idéologique et politique. Malheureusement, le drame de Furiani va faire tomber le mouvement nationaliste corse dans une guerre fratricide sans précédents. Mais avant ces explications, penchons-nous sur le cas acéiste.

Alors qu’en 1992, l’AC Ajaccio stagne au niveau régional, une nouvelle équipe dirigeante ambitieuse prend la destinée de l’ACA en main. L’objectif est clair : faire passer le club de la cité impériale de la DH à la Ligue 1 en dix ans, et ainsi rattraper son rival ajaccien, le GFCA, ainsi que le rival bastiais. Cette nouvelle équipe dirigeante sera constituée, entre autres, d’Alain Orsoni, de Michel Moretti, de Léo Battesti ou encore d’Antoine Antona, tous dirigeants du MPA. Ce dernier sera d’ailleurs président de l’Ours de 1992 à 1995. Didier Rey, professeur à l’université de Corse et spécialiste du foot insulaire, nous éclaire sur cette prise en main du club acéiste par des membres du MPA :

« La reprise en main de l’ACA par le MPA s’inscrit dans sa stratégie de conquête du pouvoir municipal à Ajaccio et dans la perspective des élections territoriales de 1992 ; il s’agit tout autant de s’enraciner auprès des jeunes générations que de s’inscrire dans le paysage socio-culturel par le football ; mais également de démontrer sa capacité à gérer de manière moderne un club qui avait été le symbole même de l’échec des vieilles gestions clanistes, en attendant de pouvoir gérer la Corse. Sans oublier une vraie passion sportive. »

Cette capacité à gérer le club ajaccien portera magnifiquement ses fruits. Lors de la saison 1992-1993, l’ACA finit champion de Promotion d’Honneur avant de finir champion de DH une année plus tard. En 1995, Michel Moretti prend les rênes de l’ACA. Trois ans après, au cours de la saison 1997-1998, les rouge et blanc glanent le titre de champion de National, ce qui leur permet ainsi d’accéder à la Ligue 2. Les supporters retrouvent peu à peu le chemin du stade et l’ACA se retrouve de plus en plus respecté. En seulement sept ans, l’ACA retrouve de nouveau le monde professionnel. En seulement sept années, l’enfer laisse place au paradis. Un enfer qui commence à s’éloigner en 1992 pour le club de la cité impériale, là où cette même année, son rival historique, le Sporting Club de Bastia s’apprête à le découvrir.

« Un très grave incident à quelques minutes du coup d’envoi de la demi-finale de Coupe de France de football entre Bastia et Marseille, une tribune démontable s’est effondrée, des supporters étaient dessus… ». Ce 5 mai 1992, à travers ces mots, la France se retrouve enface d’une catastrophe en direct à la radio et à la télévision. Ce 5 mai 1992, Bastia se retrouve associée aux villes de Bruxelles et de Sheffield, dans la catégorie des villes où le football rime désormais avec la mort. Ce 5 mai 1992, la Corse et son football changent, à tout jamais. Ce jour-là, le Sporting, alors en deuxième division, reçoit l’Olympique de Marseille. Waddle, Deschamps, Papin, Abedi Pelé à Furiani. Le grand OM chez le petit poucet corse. Le tout à une marche de la finale. C’est le match de l’année. Toute l’île pense et rêve à un exploit lors de cette soirée. Cette dernière se conclura dans l’horreur. Une tribune, montée quelques jours plus tôt, s’effondre avant le coup d’envoi de ce qui pouvait être le match de la décennie. La pelouse de Furiani se retrouve sous les décombres, qui elles recouvrent des centaines de personnes. Les images sont apocalyptiques. Dix-huit personnes perdront la vie dans ce qu’on appelle désormais le Drame de Furiani.

Ce drame, 22 ans après, est toujours dans les mémoires. Source : ARCHIVES AFP

 

5 mai 1992 : un double drame

 

Dix jours avant ce désastre, la tribune Claude Papi est rasée sans aucun permis de démolition et est remplacée par une structure métallique capable de supporter le poids de 10000 personnes. L’idée des dirigeants bastiais est de porter la capacité d’Armand-Cesari à 18 000 places. La veille de la rencontre, l’assemblage de la tribune n’est toujours pas fini. Une commission de sécurité se rend sur le chantier ce jour-là et juge le niveau de sécurité « très insuffisant ». En vain. Alors que les portes d’Armand-Cesari s’ouvrent pour accueillir cette marée bleue, une ultime commission de sécurité se tient au même moment, à quelques minutes du coup d’envoi. Cette commission est présidée par le préfet de Haute-Corse de l’époque : Henri Hurand. Ce dernier, au moment de l’ultime inspection, se trouve à l’aéroport de Bastia pour accueillir Bernard Tapie, ministre de la ville, députée de Marseille et président de l’OM ainsi qu’Emile Zuccarelli, Ministre des Postes et Télécommunications et maire de Bastia. Le match débute dans la plus grande des inégalités, sans l’accord de la commission de sécurité, dans l’attente en vain d’une signature préfectorale. Les résultats de ces errements et de ces dérives sont dramatiques : 18 morts et plus de 2300 blessés.

Pour une majorité des Corses, le principal coupable de ce drame n’est autre que Jean François Fillipi, président du Sporting à cette période. Homme d’affaires prospère et homme politique de Haute-Corse, l’ex président bastiais n’a jamais caché le fait que le prix des billets de cette ½ finale furent majorés. Une majoration dissimulée à la FFF, tout comme la recette du match qui ne fut déclaré qu’à moitié. Le bénéfice au mépris de la sécurité via une fraude à la billetterie ? Nul ne le saura jamais. Fillipi devait être l’un des acteurs vedettes du procès qui devait initialement s’ouvrir le 4 janvier 1995. Il ne verra jamais les couloirs du tribunal de Bastia, car il sera abattu le 26 décembre 1994 en sortant de sa villa. A l’heure actuelle, la justice ne connait pas les auteurs de cette acte. Cependant, l’ex président bastiais n’était pas un homme seul contre tous. En effet, ce dernier s’est vu offrir une protection rapprochée par des membres du FLNC Canal Historique. Le dilemme est simple : Fillipi, en danger permanent, ouvre les portes de Furiani au FLNC Canal Historique, alors dirigé à l’époque par Charles Pieri, en échange d’une garde rapprochée. Ce deal va définitivement faire éclater le mouvement nationaliste.

« La prise en main définitive du SCB par la CN se fait au lendemain du drame de Furiani, lorsque plus personne ne veut se risquer dans le club. La CN le fait aussi pour contrer le MPA, afin de ne pas lui laisser le champ libre dans un domaine aussi porteur que le football, et avec les memes objectifs politiques que lui (démontrer sa capacité à gérer de manière moderne un club et plus tard la Corse) […] Les conséquences du drame de Furiani ont incontestablement participé à l’affrontement meurtrier mais la spirale était déjà engagée. » nous détaille Didier Rey.

Cet affrontement meurtrier va débuter avec « l’affaire Sozzi ». Robert Sozzi, militant au sein de la CN et fidèle du Sporting ne supportait pas l’idée de servir Filippi, un homme au sang corse sur les mains selon lui. Le jeune militant plastique à de nombreuses reprises le véhicule de Filippi, refuse de prendre son tour de garde auprès de l’ex président bastiais, parle beaucoup, parle fort, parle trop aux gouts de la CN. Il sera abattu par ses camarades de combat le 15 juin 1993. Le FLNC Canal historique revendique cet assassinat, le MPA le dénonce. Vengeance sur vengeance, assassinat sur assassinat, mort sur mort, la dérive mafieuse est enclenchée et la guerre est déclarée. Une guerre fratricide entre le FLNC Canal historique et le FNLC Canal Habituel qui fera une vingtaine de morts et engendrera la dissolution du MPA quelques années plus tard. Involontairement, le football corse se retrouve au cœur de la dérive mafieuse du nationalisme corse. La catastrophe de Furiani en est l’un des déclencheurs. L’AC Ajaccio appartient au MPA et le SC Bastia est propriété de a CN, mais pour quelques années seulement comme nous l’explique Didier Rey :

« A compter de 1999, les deux clubs se rencontreront en matches amicaux d’intersaison, démontrant que l’affrontement terminé, le MPA vaincu et disparu – malgré le maintien des dirigeants-, le football redevenait un angle mort de l’idéologie nationaliste. »

Néanmoins, bien que ces divisions nationalistes ne se soient jamais retransmises concrètement sur le rectangle vert, le Sporting reste pendant quelques années officieusement aux mains des nationalistes, et notamment aux mains de Charles Pieri. Pieri se déclarait comme simple supporter. Les enquêteurs, eux, le voyaient comme bien plus que cela. Présent en tribunes présidentielles et escortés par ces gardes du corps lors de chaque rencontre à domicile, les enquêteurs voyaient en Pieri un dirigeant officieux du SC Bastia.

Le football au second plan

 

La société de nettoyage qui s’occupait de Furiani appartenant à son épouse, l’entreprise Nouvelles Frontières devenant sponsor principal du SC Bastia pour 3 millions d’euros par an. Cela faisait suite à des séries d’attentats revendiqués par le FLNC Canal Historique visant différentes de ses agences (« Mes interlocuteurs m’ont indiqué que, pour être tranquille en Corse et avoir une existence harmonieuse, il fallait que je sponsorise le Sporting Club de Bastia »), ou encore au transfert gomorresque de Mickael Essien à Lyon où l’agent de ce dernier est contraint de verser en liquide les ¾ de sa commission, quinze jours après l’avoir perçu, à des administrateurs du Sporting Club de Bastia et membres du FLNC Canal Historique. Tout cela sème le doute dans l’esprit des enquêteurs. La justice et les enquêteurs ne sont pas dupes et décident de s’y intéresser de plus près. Le résultat de cette enquête ? 8 ans de prison à l’encontre de Pieri pour extorsion de fonds et abus de biens sociaux, en 2005. Lors des différentes auditions, le président officiel de l’époque François Nicolai déclare : «  Ce sont les nationalistes qui m’ont mis à la tête du club. N’étant pas marqué politiquement, j’étais plus présentable. J’étais menacé tous les jours. Le véritable dirigeant du club était Charles Pieri ».¹

Pieri, considéré par certains comme le dirigeant officieux du Sporting entre 1995 et 2004 // Source : Jack Guez, AFP

 

Oui, le Sporting a baigné dans les magouilles durant quelques années, oui le Sporting s’est retrouvé au centre de dérives mafieuses de ses dirigeants officiels ou officieux. Mais cette époque voit aussi le Sporting briller sur le terrain, et cela semble être le plus important. En 1998, trente ans après l’épopée en C3, le Sporting retrouve cette compétition, du fait de sa victoire en coupe Intertoto une année plus tôt. Au premier tour, les bleu et blanc affrontent le Benfica Lisbonne. Ironie du sort, c’est également face à une équipe lisboète que les Lions de Furiani débutèrent leurs épopées en 1978. Et comme en 1978, le match aller se solde par une victoire bastiaise arrachée à la toute fin du match. Au retour, les Corses garderont leurs cages inviolées et ramèneront un 0-0 qualificatif de l’Estadio De La Luz. Au tour suivant, le Sporting est opposé au Steaua Bucarest. Le match aller se déroule en Roumanie, et verra les Roumains l’emporter 1-0. Le match retour, à Furiani, commence de la pire des façons. Bastia est mené 2-0 à la mi-temps. Les Corses sont dans l’obligation de l’emporter 4-2. Mais enface ce n’est ni Gijon, ni Valladolid. Les roumains ne s’inclinent que 3-2 et se qualifient au détriment du Sporting.

L’année 1998 marque donc le retour du football corse au premier plan. L’oublié AC Ajaccio revient sur la scène professionnelle, tandis que le Sporting retrouve sa compétition européenne chérie, et sous les ordres de Frédéric Antonetti, s’affirme comme une équipe solide de Ligue 1. Néanmoins, cette année 1998 laisse un gout amer pour un autre club, le Gazélec. L’exercice 1998-1999 voit le Gazélec finir à la troisième position du championnat de National et doit, de ce fait, être promu en deuxième division. Malheureusement ce ne sera pas le cas. La LFP refuse l’accession des rouge et bleu du fait qu’une ville de moins de 100 000 habitants ne peut accueillir deux clubs professionnels dans la même division. Malgré des semaines de luttes, et de recours devant le conseil d’Etat, le Gazélec jouera bien en National la saison suivante. Six mois après cette mésaventure, cet article disparait du règlement de la LFP. De quoi laisser un goût sacrément amer. D’autant plus qu’après cette décision, le Gazélec connait des difficultés financières. Deux saison plus tard, malgré son maintien en National, la DNCG décide de rétrograder le club ajaccien en CFA, en 2001.

Cette même année, l’ACA nomme Roland Courbis comme entraîneur de son équipe première. La mayonnaise prend parfaitement, et l’ACA se retrouve champion de ligue 2. L’ours retrouve la Ligue 1, 35 ans après l’avoir découverte et 29 ans après l’avoir quittée. Le pari de Michel Moretti, d’Alain Orsoni et autres est réussi. L’ACA retrouve la ligue 1 et conforte son statut de premier club ajaccien. Coté bastiais, le maintien est acquis largement. Les deux meilleurs ennemis se retrouveront, enfin, l’année suivante. Malheureusement, en cette saison 2001-2002, ce n’est pas la onzième place bastiaise qui sera retenue. En effet, après un parcours assez faiblard, le Sporting se retrouve au Stade de France face au FC Lorient pour y jouer une finale de Coupe de France. Les Bretons s’imposeront 1-0 face à des Bastiais totalement absents. Une absence qui peut s’expliquer par la tournure qu’à pris l’avant-match. Retour sur un show chiraquien, qui coûta peut-être la coupe de France aux Bastiais.

Tradition oblige, la finale de la Coupe de France s’ouvre par La Marseillaise, ainsi que par la présentation des deux équipes au président de la République. Mais ce 11 mai 2002, rien de cela ne se passera dans les normes. Alors que le speaker du Stade de France demande aux spectateurs de se lever en l’honneur de l’hymne national, une bronca s’élève de la tribune bastiaise. Une minorité de supporters corses se met à siffler la Marseillaise. C’est à partir de là que le show commence. Jacques Chirac, fraichement réélu, se lève et fixe Claude Simonet, président de la FFF à cette époque. Ce dernier est matraqué du regard par le Président de la République où l’on peut lire sur ses lèvres (la scène étant diffusé en direct à la télé) : « Ca siffle ? Je m’en vais ». Premier coup de brigadier, second coup de brigadier, et enfin troisième coup de brigadier. La soirée théâtrale de Jacques Chirac peut commencer. Le Président de la République se lève et quitte les tribunes. Les équipes, elles, sont renvoyées au vestiaire dans l’attente d’excuses officielles. Dans un premier temps, ces excuses proviendront du président de la FFF. Depuis la tribune présidentielle, Claude Simonet apparait micro en mains, en direct à la télévision et sur les deux écrans géants du stade et s’exclame : « Silence ! La fédération française de football présente ses excuses à la France car on a sifflé la Marseillaise. ».

Le début du soirée paranormale… Source : Damien Meyer, AFP

 

Alors que la soirée a déjà pris une tournure bien plus que surnaturelle, les équipes retrouvent la pelouse du Stade de France, avant de la quitter quelques minutes après. En effet, sur ordre du président de la République, Bastiais et Lorientais sont renvoyés une seconde fois aux vestiaires. Ce dernier désire s’adresser aux Français en direct à la télévision. Souhait qu’il réalisera. Jacques Chirac se retrouve en direct sur France 2 à condamner les actes de la minorité bastiaise, avant que François Nicolai, président bastiais, ne fasse de même en présentant ses excuses. Une demi/heure plus tard, les deux équipes regagnent la pelouse, et ne verront même pas le président de la république descendre sur la pelouse pour leur serrer la main. En a-t-on trop fait ? Chacun se fera son avis. Une chose est sûre, de la stigmatisation qui suivit à l’amertume de la défaite, en passant par l’agacement de la récupération politique, en Corse, personne ne l’a oubliée cette nuit de mai 2002, où la rupture entre le football corse et la métropole s’est un encore creusée d’avantage.

Un futur trouble

 

Quelques années plus tard, en 2008, l’AC Ajaccio se retrouve meurtri. Alors président de l’Ours depuis 1995, Michel Moretti met fin à ses jours le 31 mars 2008. Gravement malade, l’annonce du suicide de l’homme à l’origine de la renaissance ajacienne est un choc pour tout le sport insulaire. Son successeur ne sera autre que Alain Orsoni, ex dirigeant et fondateur du MPA, parti s’exiler en Amérique du Sud après la vague d’assassinats qui frappa l’ile de beauté à la fin des années 1990.

« Michel Moretti disparu, il ( Alain Orsoni ) ne pouvait pas laisser le club de son défunt ami sans direction. » nous déclare Didier Rey

Malheureusement, ce retour en Corse va rouvrir la plaie entamée dans les années 1990, celle des règlements de comptes, des assassinats, celle de l’enfer corse. Et cette enfer corse, Alain Orsoni a failli en être une victime quelques semaines après son retour sur l’ile de beauté. En effet, alors qu’il venait de poser ses valises quelques semaines plus tôt, le président de l’ACA échappe de peu à une tentative d’assassinat, à quelques pas du stade François-Coty. En 2008, ce club, ce stade, cet homme ont échappé de peu à la mort. Malheureusement, la suite ne suivra pas cette trajectoire. Les années passent, et l’ACA s’enfonce dans la douleur et dans la mort. De l’assassinat d’Antoine Nivaggioni, ancien membre du MPA et responsable sponsoring de l’ACA au moment de son décès en 2010, aux assassinats de Me Antoine Sollacaro et de Jacques Nacer, respectivement avocat d’Orsoni et du club acéiste et secrétaire général de l’ACA, en septembre et novembre 2012 , et en passant par la tentative d’assassinat de Charles Cervoni, proche d’Orsoni et responsable de la buvette du stade François Coty, l’AC Ajaccio se retrouve aspiré dans une spirale mafieuse incontrôlable. Les hommages s’accentuent à François-Coty, qui au fil des semaines s’apparente plus à un lieu de recueillement qu’à un stade de foot.

foot ligue 1 / ac ajaccio-sc bastia / hommage de l aca a antoine sollacaro

L’avant match de ce derby entre Ajacciens et Bastiais fut marqué par une cérémonie émouvante à la mémoire de Maitre Sollacaro. // Source : Michel Luccioni, Corse Matin

 

Lors de cette saison 2012, l’ACA, emmenée par Ochoa et Mutu notamment, finit à une miraculeuse 17ème place, avant de retrouver la Ligue 2 la saison d’après. L’ACA laisse de nouveau sa place d’équipe corse majeure au SCB, alors revenu en Ligue 1 une année plus tôt sous l’impulsion de Fredéric Hantz. Mais le SCB ne restera pas pour longtemps le seul club corse en Ligue 1. Une saison plus tard et voilà le Gazélec Football Club Ajaccio en Ligue 1. Les deux clubs ayant marqué l’histoire du foot amateur corse lors du milieu du XXème siècle se retrouvent ensemble dans l’élite, une première pour le GFCA. Malheureusement, le Gazélec de Thierry Laurey, plus petit budget de Ligue 1, retrouve la Ligue 2 l’année suivante, après avoir fini 19ème et avec le luxe néanmoins d’avoir battu l’OGC Nice, l’Olympique Lyonnais et de n’avoir perdu aucun de ses deux matchs contre l’OM.

Malheureusement, cette demi-décennie, de 2010 à nos jours, aura marqué le football corse de nombreux incidents et polémiques, que l’on a tous encore en tête, accentuant encore plus la fracture entre ce football et le football national. Une cassure qui eut pour apogée le refus de Frédéric Thiriez de saluer les joueurs corses avant la finale de Coupe de la Ligue en 2015. Ce dernier ne le savait peut-être pas, ou alors si, mais avec ce geste il venait de porter sa pierre à l’édifice dans la chronologie de la fracture entre football corse et football national, et de belle manière. Après une dernière défaite contre l’OM, le SCB retrouve la deuxième division. C’était sans compter sur ces problèmes financiers. Faute de fonds, la DNCG renvoie le Sporting au niveau amateur, en CFA 2 cet été.

« Ils (Les Corses) ont la sensation de perdre une partie de leur patrimoine mais aussi, en quelque sorte, une partie d’eux-mêmes. Pour autant, personne ne veut s’y résigner, il suffit de voir le succès de la plateforme de financement participatif MOVE lancé par le Socios Etoile Club Bastia. » nous dit Didier Rey.

Dans un contexte de mondialisation et de la capitalisation des activités footballistiques, et compte tenu des réalités économiques de l’ile aujourd’hui, le football corse semble condamné à vivre à la limite du football professionnel (pour preuve, l’AC Ajaccio a également failli être rétrogradé par la DNCG cet été). Le football insulaire se retrouve donc à l’heure actuelle face à un nouveau défi, un de plus. Celui de sa survie dans ce nouveau football. Mais quelles solutions s’offrent au football insulaire ? Didier Rey, nous donne quelques éléments de réponse, en conclusion.

« Il va lui falloir longtemps survécu grâce à l’argent public, il va lui falloir apprendre à diversifier ses ressources, ce qui, dans une ile à l’économie alanguie, ne sera pas simple. Il faudra également apprendre à rechercher des soutiens hors de Corse. Des solutions existent, et, actuellement, plusieurs clubs professionnels peuvent vivre en Corse. Reste à savoir si ce qui est possible économiquement est forcément pertinent sportivement parlant »

¹ D’après Le Parisien du 19 mars 2005. 

Merci à Didier Rey, Docteur en histoire et maître de conférences à l’Université de Corse. Il est également l’auteur de plusieurs autres ouvrages: « Football en Méditerranée Occidentale de 1900 à 1975 » ( éditions Alain Piazzola), « Sports et Société en Corse des années 1860 à 1945 et des années 1945 à nos jours » (éditions Albiana).

Photo credits : AFP PHOTO / ERIC CABANIS

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