Autrefois figure respectée du football français pour le jeu agréable cumulé aux résultats qu’il a su apporter à Dijon, au Mans et à un LOSC qu’il a conduit à son premier titre de champion depuis 1954 ainsi, évidemment, que d’une AS Roma qu’il a pérennisée au plus haut niveau du football italien, Rudi Garcia est pourtant devenu une figure très contestée depuis son arrivée à l’Olympique de Marseille. Extrêmement tâtonnant dans le jeu, enchaînant les humiliations face aux cadors du championnat, le personnage divise terriblement et semble touché d’un double visage, d’un double discours. Alors, Docteur Garcia ou Mister Roudi? Retour sur le parcours du francilien à l’OM.
Les premiers motifs d’espoir apparaissent dès son arrivée. En guise de symbole, le premier match dirigé par l’ex-romain est un Classico au Parc des Princes et, pour la première fois en 6 ans, l’OM ne perd pas la rencontre. Peu importait alors la composition à 5 défenseurs qui relançait un Rolando mis à la cave par Passi, la stratégie ultra défensive qui n’a pas vu l’OM tirer une seule fois au but de toute la rencontre. L’essentiel était ailleurs, un vent de renouveau soufflait sur les terres du Mistral, synonyme d’ambition retrouvée.
La série de 4 victoires consécutives qui a permis au club de s’adonner aux loisirs de la trêve hivernale en toute sérénité a laissé place à un mercato ambitieux, caractérisé par les arrivées du très prometteur Morgan Sanson, du revanchard Patrice Evra et de l’enfant chéri du Vélodrome Dimitri Payet.
Pourtant, premier bug dans la matrice Champions Project, ces 3 recrues sont accompagnées d’une arrivée pour le moins étonnante, celle de Grégory Sertic. Joueur correct de complément de Ligue 1, il ne s’inscrit pas dans un projet qui se voudrait ambitieux et les premières accusations de copinage tombent alors à l’encontre d’un Rudi Garcia qui a le tort de partager le même agent que l’ex-bordelais. Ce mercato très français est salué pour sa cohérence mais du côté de la Canebiere, déjà, on s’étonne de voir le réseau ibérique du directeur sportif être délaissé.
La saison se poursuit. L’Olympique de Marseille connaît une fin d’hiver difficile. Battu à 2 reprises par un AS Monaco royal sans qu’il n’y ait eu de vrai suspens (les prolongations du match de Coupe de France n’agissant qu’en trompe-l’oeil), l’OM se voit terrassé par l’Olympique Lyonnais sans avoir pu, non plus, lui tenir la dragée haute.
Surtout, la réception du Paris Saint-Germain déclenche les premiers courroux des supporters quant à Rudi Garcia. La composition, à nouveau ultra défensive, ne dépeint aucune ambition dans le jeu et la balade parisienne, conclue par un 1-5 flatteur pour l’OM, illustre les errements sans fin des 11 fantômes olympiens du soir. Le Paris-Saint-Germain version 2016-2017 était pourtant l’une des versions les plus abordables du club depuis 2011 et jamais l’OM n’avait connu de telle claque face au rival. Malgré cela, le public marseillais a appris la patience et ne réagit que partiellement à cette honte. Conscients de l’armageddon laissé par Vincent Labrune à son départ du club, les supporters savent leur effectif encore trop léger et ont accepté le principe de saison de transition.
Néanmoins, il convient de préciser que les phocéens se reposent alors sur la promesse, affirmée dès l’arrivée du nouvel actionnaire au club, d’un gros mercato d’été qui lancera définitivement le projet de reconquête des sommets français et européens. La saison se termine à une honorable 5eme place, inespérée au mois d’août 2016, ponctuée par une victoire de prestige face au voisin niçois. Si le jeu est très bancal, Rudi Garcia a su attribuer une certaine régularité à ses protégés et ne voit ses compétences contestées par le public.
L’été 2017 était celui de tous les dangers pour le club et il l’a également été pour Rudi Garcia. Les arrivées, au nombre de 7, ne sont pas remises en cause pour leur niveau. Jordan Amavi, Aymen Abdennour, Adil Rami, Steve Mandanda, Luiz Gustavo, Kostas Mitroglou et Valère Germain sont tous des joueurs de haut niveau et de haute expérience.
Néanmoins, l’absence d’idée dans la constitution du réseau est imputée au natif de Nemours. Il est accusé d’avoir refusé la quasi totalité des joueurs proposés par Andoni Zubizaretta. L’OM dépense relativement peu (Mandanda 3,5 millions, Rami 3,5 millions, Luiz Gustavo 8 millions, Valère Germain 8 millions, Kostas Mitroglou 15 millions, Jordan Amavi et Aymen Abdennour prêtés), sur des joueurs en majorité à 1 an de la fin de leur contrat et la direction se voit accusée d’avoir survendu son propre projet. Pas de Chicharito Hernandez ou de Carlos Bacca, joueurs latino-américains clichés mais qui plaisent à l’identité phocéenne, pas de De Vrij en défense, pas de gros coup au milieu et un grand attaquant recruté blessé à la dernière journée. Bref, Rudi Garcia est sérieusement pointé du doigt.
Andoni Zubizaretta menace de démissionner et récupère le rôle du poète incompris, brimé par un entraineur-tyran verrouillant l’ensemble du secteur sportif. La belle image d’une entente cordiale entre les 3 hommes forts – avec Jacques-Henri Eyraud- du club olympien est brisée et c’est l’entraîneur qui se voit désigné comme quasi seul responsable.
Le début de saison de l’OM n’y change rien. Qualifiant le club en Europa League sans jamais dominer ses adversaires dans le jeu, Garcia fait à nouveau preuve de manque d’ambition en alignant une composition ultra défensive au Stade Louis II et voit Monaco gifler par 6 buts ses protégés. Les statisticiens du football ne manquent pas de rappeler que Rudi Garcia a, à de nombreuses reprises, connu des défaites humiliantes face aux grands clubs (on pense alors aux défaites 6-0 et 6-1 de l’AS Roma face au Bayern). La défaite par 3 buts à domicile face au ridicule Stade Rennais d’alors déclenchant les premiers « Garcia démission » dans les travées du Vélodrome.
Il convient de rééquilibrer cette vision manichéenne de Rudi Garcia. Il est vrai, le jeu qu’il propose est balbutiant et c’est l’un des traits de son AS Roma. En effet, s’il y a établi un nouveau record de victoires consécutives puis de victoires tout court (26), un record de points et un record de buts encaissés, l’AS Roma de Rudi Garcia a toujours connu des difficultés certaines dans la maîtrise de son sujet. Son jeu, basé sur un pressing haut, des ailiers cruciaux et un attaquant type pivot essentiel dans la remise, n’est pas adapté à toutes les contraintes du football moderne et notamment à une Série A extrêmement tactique et dont le prophète actuel est le Napoli de Maurizio Sarri. C’est efficace et laborieux à la fois, la victoire olympienne en terres niçoises cette saison en est l’illustration (mis à part le cachou du père Gustavo, les buts marseillais sont des buts de combattants plutôt que d’esthètes).
C’est ce schéma là que semble à nouveau installer Rudi Garcia à l’OM. Contribuant à stabiliser le club au plus haut de la Ligue 1, Garcia est une garantie de résultats et c’est bien ce qui importe face à l’instabilité du club ces derniers années. La stratégie du directoire olympien est claire et le recrutement quasi exclusif de joueurs expérimentés l’a prouvé, c’est un retour en Ligue des Champions le plus rapidement possible pour augmenter drastiquement les ressources d’un club toujours déficitaire. Rudi Garcia convient parfaitement à cet objectif là.
La rencontre de l’OM face au Paris-Saint Germain a une résonance spéciale. Pour la première fois, Rudi Garcia ne refuse pas le jeu. Il n’aligne pas un nombre exagéré de défenseurs, ne donne pas pour consigne de ne jamais presser ou jouer haut. L’OM ne gagne pas mais l’OM a mérité le respect de tous les observateurs du football français. Rudi Garcia, quant à lui, se voit à la fois contesté pour avoir fait rentrer Bouna Sarr et applaudi pour son ambition de jeu retrouvée. Le jour et la nuit, donc, mais peut-être l’aube du renouveau pour le francilien.
Docteur Garcia et Mister Roudi ne sont qu’une seule et même face d’un entraîneur de haut niveau mais non de classe mondiale, jamais flamboyant mais régulier, sérieux et appliqué. À Marseille, plus qu’ailleurs, pour préparer l’esthétisme et le retour au sommet de demain, on accepte le combat et la sueur d’aujourd’hui.
Photo credits : AFP PHOTO / BERTRAND LANGLOIS