[Coupe du Monde] Angleterre : voyage au pays du « choke »

« Time is a flat circle » nous disait Rust Cohle, l’énigmatique et brillant personnage campé par Matthew McConaughey dans la saison 1 de True Detective. Cette phrase correspond merveilleusement au cheminement de la sélection nationale anglaise depuis 2006. La Coupe du monde en Allemagne marque la dernière occasion qu’ont eu les « Three Lions » de figurer réellement parmi les favoris d’une compétition internationale. Depuis, le chemin de croix de nos meilleurs ennemis a été douloureux : non-qualification à l’Euro 2008, élimination litigieuse mais sèche en 1/8ème de finale de la Coupe du monde 2010, élimination en ¼ de finale de l’Euro 2012, bon dernier de leur poule au Mondial 2014, et pour conclure une sortie surprise en 1/8ème de finale de l’Euro 2016 contre le petit poucet islandais. 12 ans, quatre sélectionneurs, tout autant de phases finales de compétitions internationales, 0 tour à élimination directe de franchi.

En parallèle, la Premier League vit certaines de ses plus belles heures, le prix des droits télévisés a explosé, donnant aux clubs anglais les moins riches le pouvoir d’achat d’un concurrent au titre dans la plupart des autres championnats européens. Des centaines de millions de livres-sterling dépensés, des joueurs parfois surpayés, des stars dans toutes les équipes du top 6, Manchester City qui atteint la barre symbolique des 100 points en championnat et cerise sur le gâteau, le Royaume replace cette saison, par le biais de Liverpool, un club en finale de Ligue des Champions. 6 ans après le triomphe de Chelsea à Munich, le contraste est édifiant : si le championnat local est de retour au premier plan sur la scène internationale, la sélection ne s’en sort toujours pas.

La Premier League en fer de lance des difficultés anglaises

Les raisons du déclin de l’équipe d’Angleterre sur la scène internationale sont multiples mais un motif semble plus prépondérant que les autres : l’état et la transformation du championnat anglais. Depuis le début des années 2000, la Premier League a connu beaucoup de changements. Le premier et plus important, il est le premier championnat à avoir abordé avec succès une ouverture vers le reste du monde. Très tôt, on a pu voir les équipes les plus populaires du pays, comme Manchester United ou Arsenal, opérer des tournées d’été en Asie, accroissant considérablement à la fois leur fan-base et le nombre de téléspectateurs du championnat à travers le monde. Rapidement suivi par d’autres clubs anglais, ces démarches ont par la suite conduit à des ajustements de la ligue anglaise, qui en décalant les matchs les plus importants du soir à l’après-midi, a permis de développer un réel et fructueux marché du football anglais en Asie. Les retombées économiques sont grandioses, comme en atteste les droits télévisés du championnat, renégociés à la hausse il y a deux ans. Exemple frappant d’au combien ces droits sont élevés au Royaume-Uni, pour la saison 2016/2017. Couronné d’un titre de champion d’Angleterre, Chelsea percevait 177 millions d’euros. Bien que le système soit légèrement différent en France (une certaine part de la somme touchée par les clubs est basée sur les infrastructures et la formation, à hauteur de 18%), l’AS Monaco, également auréolée du titre national cette saison-là, n’a reçu « que » 60 millions d’euros.

Le séisme provoqué par l’expansion globale du championnat anglais ne s’est pas arrêté aux frontières de l’île. Forts de ces millions amassés année après année, les clubs de la Perfide Albion ont vu leur pouvoir d’achat exploser. Shakespeare, qui avait sans doute un coup d’avance sur la Premier League, disait en son temps que « quand l’argent précède, toutes les portes s’ouvrent ». Et (presque) toutes les portes se sont ouvertes aux clubs anglais. Le rapport de force avec les clubs des autres championnats européens s’est déséquilibré au point qu’une équipe anglaise luttant pour le maintien aura toutes ses chances de recruter un joueur si elle est en compétition avec une équipe française jouant l’Europa League, par exemple.

Le constat est aussi simple pour les clubs que désastreux pour la sélection. Il est désormais plus simple de recruter un joueur que d’en former un. La logique est claire, pourquoi s’embêter à faire confiance à un jeune joueur local, avec peu expérience au plus haut niveau quand on peut faire venir des internationaux et des joueurs ayant une expérience européenne sans pour autant perdre les ¾ du budget total du club ? La ligue anglaise n’obligeant à l’origine pas les clubs à avoir dans leur effectif un certain nombre de joueurs formés au club, la plupart des clubs anglais se sont donc retrouvés avec pour la plupart un faible taux de joueurs nationaux. En 2014/2015, le Chelsea de José Mourinho, qui finira sur la plus haute marche du podium en championnat, ne comptait dans son effectif que 5 joueurs anglais. Et parmi ces 5, seuls Gary Cahill et John Terry étaient des membres importants de l’effectif.

Au fur et à mesure des années, les jeunes joueurs anglais ont eu de plus en plus de mal à s’imposer dans les clubs de l’élite, conduisant les différents sélectionneurs à avoir des choix plus restreints. C’est ainsi que les Three Lions de Ferdinand, Gerrard et Beckham en 2006 sont devenus les Three Lions de Smalling, Dier et Lallana, 10 ans plus tard à l’Euro 2016.

 Une sélection sans certitudes

 Si les anglais vont arriver en Russie avec un bilan de qualification plus qu’honorable, leur parcours n’aura pas été de tout repos. En poste depuis 20012, Roy Hodgson s’était vu obligé de quitter le navire après la surprenante déroute contre l’Islande lors de l’Euro en France. Si bien que c’est « Big » Sam Allardyce qui eut pour tâche de qualifier son pays au Mondial. Il s’en sort aujourd’hui avec le meilleur ratio qu’un sélectionneur anglais n’a jamais eu en matchs officiels : 100% de victoires. Le hic ? Il n’aura dirigé son équipe que le temps d’une seule rencontre, celui d’une douloureuse victoire sur le sol slovène, arrachée à la 95ème minute par un game-winner d’Adam Lallana. Il fut contraint de partir après que le Daily Telegraph l’ait piégé et qu’il ait révélé à des journalistes (qu’il croyait être des hommes d’affaires) comment contourner certaines règles misent en place par la fédération concernant les transferts, en échange d’une forte contrepartie financière. Un certain mal pour un bien pour les Three Lions, car les décisions de la fédération concernant le remplacement d’Allardyce se sont avérées payantes. Dans un premier temps sélectionneur intérimaire, Gareth Southgate, ancien défenseur international puis sélectionneur de l’Angleterre Espoirs, a vu son bail à la tête de l’équipe A prolongé. Un choix jusque là judicieux, car si son manque d’expérience au plus haut niveau en tant que coach joue en sa défaveur, son poste de sélectionneur espoirs de 2013 à 2016 l’a amené à côtoyer et entraîner une bonne partie de ses actuels joueurs. Il connaît donc son groupe à la perfection. Sur les 9 matchs d’éliminatoires qu’il ait eu à diriger, l’Angleterre s’est imposée à 7 reprises pour 2 matchs nuls et aucune défaite au sein d’un groupe relativement simple, dont les principaux adversaires étaient la Slovaquie, l’Écosse, ou encore la Slovénie.

Southgate emmènera avec lui en Russie un groupe de 23 joueurs qu’il connaît donc, avec quelques surprises. Les plus grosses, ce sont les non-sélections de Joe Hart et Jack Wilshere. En froid avec la plupart de ses derniers coachs, le portier anglais, pourtant l’habituel titulaire au poste depuis 2012, paye le prix d’une saison en demi-teinte du côté de West Ham. Pour Wilshere, malgré un net regain de forme cette saison et alors que les blessures l’ont globalement laissé tomber, il se heurte à la concurrence de joueurs comme Dier, Henderson, Alli ou encore Loftus-Cheek. Ce dernier fait d’ailleurs parti des bonnes surprises de cette liste. Évoluant en prêt à Crystal Palace cette saison, le joueur appartenant à Chelsea a longtemps été blessé cette saison. Mais lorsqu’il était sur pied, il fut étincelant. Notamment lors des matchs amicaux de novembre, lors d’une très bonne performance face à l’Allemagne. À noter également Trent Alexander-Arnold, 20 ans en octobre, sera du voyage. Auteur d’une première saison révélation dans le Liverpool de Klopp, il sera une alternative intéressante au poste de latéral droit. Aux côtés de ces deux jeunes joueurs, du classique pour les Three Lions, avec notamment Harry Kane, Raheem Sterling, Kyle Walker ou encore Jack Butland dans les buts.

Comme souvent avec les anglais, il est presque impossible de pouvoir prédire les résultats à l’avance, si ce n’est en tablant sur une potentielle énième élimination surprise de leur part. L’absence de réels cadres, si ce n’est des joueurs comme Gary Cahill ou Jordan Henderson, et cette propension au « choke » ces dernières années ne présage évidemment rien de bon pour ce mondial. Il faudra donc compter sur la qualité du buteur et néo-capitaine Harry Kane ainsi que sur l’insouciance de Southgate et de ses hommes pour espérer voir les anglais enfin franchir un tour à élimination directe, le premier depuis le 1/8ème de finale de la Coupe du Monde 2006 contre l’Équateur.

Dans l’immédiat, il est tout de même compliqué d’imaginer l’Angleterre concurrencer les cadors internationaux dans une compétition telle que le Mondial. La qualité globale de l’effectif, notamment au milieu de terrain, ainsi que le manque d’expérience à ce niveau joue en la défaveur des sujets de sa Majesté. Mais dans les années à venir, il ne serait guère étonnant de voir le football anglais renaître de ses cendres. Les clubs du Royaume semblent avoir mesuré l’ampleur de leurs erreurs et ont travaillé aux côtés de la fédération pour améliorer les conditions de formation et de préformation des jeunes joueurs. Derniers succès en date, les Coupe du monde U17 et U20 2017, toutes deux ramenées au pays par les Baby Three Lions.

Photo : UKSP / SpainDPPI / DPPI

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J'arrive toujours soigné comme une passe de Toni Kroos.