[Coupe du Monde] Sénégal : quoi de neuf depuis 2002 ?

La dernière participation en Coupe du monde du Sénégal remonte à 2002. Elle nous laisse à nous, Françaises et Français, un sentiment étrange et contradictoire. Oui, « Sénégal 2002 » rime avec rictus à double sens. Un petit sourire alimenté par la déception de la défaite de nos Bleus face aux Lions lors du premier match de poule, engendrant ensuite l’élimination de la France. Mais également nourri par notre amour du football, de ses grands exploits, dont le Sénégal s’y ancra en 2002, allant jusqu’en ¼ de finale pour sa première participation. Un mélange de nostalgie, de déception, d’émerveillement et d’admiration. Tant de sentiments pour une seule sélection mérite bien un petit état des lieux. Entre l’émergence de très grands joueurs, le développement du football professionnel au Sénégal et en passant par les années de disette et de vide, retour sur ce qui s’est passé de marquant durant les seize années ayant séparés les Lions de la Teranga de la Coupe du monde.

Retour sur terre douloureux

Après leur élimination en quart de finale de Coupe du monde face à la Turquie, les Sénégalais rentrent au pays complètement rassasiés. Et on le comprend. Avec la France, championne du monde et d’Europe en titre, l’Uruguay double championne du monde, le Danemark et la Suède dans l’estomac, la digestion s’annonçait sacrément scabreuse. Et puis, comme après chaque repas copieux, une longue et bonne sieste semble s’imposer. Malheureusement pour les Sénégalais, cette dernière s’est transformée en sommeil. En très long sommeil. Deux années sont passées et voilà Aliou Cissé, Habib Beye, El-Hadji Diouf et consorts débarquer en Tunisie dans le rôle de favori pour cette CAN 2004. Une compétition endossant le douloureux costume de déclencheur d’une descente au néant pour les Lions de la Teranga. Le Sénégal est éliminé par le pays hôte dès les quarts de finale. Une élimination qui ne trouvera guère réconfort les années suivantes, les Sénégalais ne se qualifiant pas pour la Coupe du monde 2006 et se faisant sortir dès les poules lors de la CAN 2008.

Cette CAN 2008 va d’ailleurs se révéler être un tournant tristement capital dans la scission entre le peuple sénégalais et son équipe de football nationale, seulement six années après les avoir heureusement réunis. Les hommes de Henryk Kasperczak, sélectionneur depuis 2006, héritent du très fameux « Groupe de la mort », cher à toutes les compétitions internationales et continentales. Angola, Tunisie et Afrique du Sud. Néanmoins, le Sénégal reste favori de ce groupe et fait même partie des prétendants à la victoire finale, comptant dans leurs rangs quelques joueurs au sommet de leurs carrières. Habib Beye porte les couleurs de Newcastle, Souleymane Diawara explose à Bordeaux, tandis que Mamadou Niang réalise cette année-là sa saison la plus prolifique sous les couleurs de l’Olympique de Marseille, le tout chapeauté par le fantasque El-Hadji Diouf.

Après un premier match nul pas si catastrophique que cela face à la Tunisie, le Sénégal est dans la quasi-obligation d’enfin lancer concrètement sa compétition en devant s’imposer face à l’Angola dans un match décisif. Les quatre équipes de ce groupe D comptent chacune un point après cette première journée. Ce match sera une désillusion à tous les étages. Les Lions s’inclinent 3-1 et provoquent la colère du pays. Une défaite, qui en plus d’éteindre la mèche allumée par cette même génération en 2002, réduisant cet engouement post Coupe du monde en un vulgaire feu de paille, allait en allumer une nouvelle : celle de la contestation et de la pagaille.

À la suite de cette rencontre, certaines rues de Dakar sont noyées par la foule, sentiment de gâchis et sensation d’inachevé mutant en colère et en protestation. Comme très souvent dans ce genre de situation, c’est le sélectionneur qui est visé. Les Sénégalais descendus dans les rues de Dakar réclament la démission de Kasperczak. Et comme pas très souvent, leur souhait sera exaucé. Dignité et courage ou lâcheté et couardise poussent le polono-français à déposer sa démission juste après cette défaite au beau milieu de la nuit, alors qu’il reste encore un match à jouer face à l’Afrique du Sud et qu’une victoire pourrait qualifier les blancs et verts.

Lamine N’diaye, adjoint de Kasperczak, est promu sélectionneur en urgence et devra faire face seulement quelques heures après sa nomination à sa première crise. Aux commandes de celle-ci, le farfelu El-Hadji Diouf évidemment. Ce dernier et le gardien Tony Sylva sont aperçus en boîte de nuit, deux jours après leur défaite quasi-condamnable face à l’Angola et deux jours avant le dernier match utopiquement décisif face à l’Afrique du Sud. Le lendemain, la presse nationale s’empare de l’affaire et c’est la gueule de bois pour presque tout le monde. Pour Lamine N’diaye, pour les deux joueurs et évidemment pour l’ensemble des Sénégalais, usés des précédents évènements et de la tournure qu’est entrain d’emprunter leur sélection nationale. Cette frasque nocturne soulève un véritable tollé au pays de la Teranga, qui est au même moment touché par « les émeutes de la faim » et par différentes manifestations réclamant plus de moyens pour la santé et l’éducation. Cette désillusion hors-terrain est celle de trop et l’éviction des deux joueurs est demandée. Diouf et Sylva ne prennent guère part au dernier match, qui se termine sur un match nul synonyme d’élimination.

Lamine N’diaye, bravant la notion d’intérim, est maintenu à la tête des Lions pour la campagne de qualification de la Coupe du monde 2010 et de la CAN 2010, les deux campagnes étant combinées. Quitte ou double. Coupons court à tout suspense, oubliez le double. Bénéficiant d’un groupe plus qu’à sa portée (Algérie, Libéria, Gambie), le Sénégal, Lamine Ndiaye en tête, se vautre totalement. Les choix de ce dernier de laisser entre autre Mamadou Niang et Souleymane Diawara sur la touche et de s’entêter avec la génération 2002, vieillissante et de moins en moins performante, sont vivement critiqués au pays. Des critiques qui découlent évidemment des piètres résultats obtenus par l’équipe nationale, et qui accouchent de certaines polémiques, de certaines théories du complot visant à se demander si ce n’est pas les cadres de cette génération 2002 qui font les choix et sélectionneraient les joueurs.

Le 11 octobre 2008, le Sénégal affronte la Gambie à Dakar pour l’ultime match de ces poules. Tout autre résultat qu’une victoire éliminerait les Lions de la Teranga des deux compétitions à venir. Il manque néanmoins un ingrédient pour faire de ce match un exemple éloquent de tragédie : une égalisation en toute fin de match, par exemple, empêchant donc le Sénégal de faire partie des meilleurs deuxièmes. Et bien devinez quoi, nous l’avons eu notre exemple de tragédie parfaite. Les trois coups de brigadiers sont frappés, le rideau s’ouvre, tout peut commencer. Le Sénégal ouvre le score à la 65ème minute, Kader Mangane endossant le rôle du sauveur. Mais au terme d’une fin de match absolument pas maitrisée, les Blancs et Verts cèdent à cinq minutes de la fin, et voient la Gambie les rejoindre. C’est au tour des trois coups de sifflets de l’arbitre de retentir, le match est fini, le rideau se ferme : le Sénégal n’est ni qualifié pour la Coupe du monde 2010, ni qualifié pour la CAN 2010. Espoirs, suspens, désillusion : la trame de ce récit tragique est réussie, la dramaturgie est parfaite, jusqu’au moment où tout cela bascula dans des allures de drame.

Dépassés, dégoûtés, humiliés, les supporters sénégalais saccagent le stade Léopold Sédar Senghor. Sièges arrachés, gradins et grillages démontés, cette fin de match à Dakar nous livre des scènes de guérillas urbaines. Les supporters encerclent ensuite l’extérieur du stade, réclamant des comptes à la fédération, dont le siège sera bombardé de projectiles Également à leurs joueurs, qu’ils attendent à la sortie du stade pierres et cailloux en main. Tout est à reconstruire pour le Sénégal. Tout ce qui avait été récolté en 2002 est parti en fumée. La fierté et la joie a laissé place à la honte et à la colère. « La fin tragique d’une génération dorée », pour reprendre les paroles, lucides, enfin, d’El-Hadji Diouf.

 

Scène d'émeute à Dakar.(Photo : Reuters)

( Photo : Reuters )

 

Cette reconstruction passe par l’oubli. Celui de cette génération 2002. Out Diouf, Beye, Sylva, Fadiga et consorts. Place à la génération Niang, Diawara, Demba Ba, Papiss Cissé, Moussa Sow. Une génération tampon entre celle qui fit le bonheur des Sénégalais en 2002 et celle que l’on connait à l’heure actuelle. Cette génération retrouve la Coupe d’Afrique des Nations en 2012, après une phase éliminatoire extraordinaire, présageant quelque chose de grand pour cette compétition. Rien de cela, les Lions de la Teranga sortent dès le premier tour et passent à deux doigts d’une qualification au Mondial 2014.

Le football au Sénégal : évolutions et problèmes.

Quinze années de doutes, de flou, de tempêtes, de déceptions et d’échecs auront finalement accouché de la génération la plus talentueuse et la plus prometteuse que le Sénégal n’ait jamais connu. Il fallait bien cela pour se faire pardonner. Equipez-vous d’un bavoir, vous risqueriez de vous salir. Koulibaly, Kouyaté, Gueye, Sakho, Sarr, Keita Baldé, M’Baye Niang sans oublier le phénoménal Sadio Mané, finaliste de la Ligue des champions avec Liverpool. Rien que ça. Alors qu’en 2002, 90 % de l’effectif sénégalais évoluait en Ligue 1, en bénéficiant d’une expérience internationale amoindrie. La donne a totalement évolué aujourd’hui. Naples, Everton, Monaco, Liverpool pour ne citer qu’eux, sont ainsi représentés au sein de la sélection. Une génération étincelante à en faire jalouser l’or et dont la grosse partie de ses joueurs, Mané, Gueye, Sarr, Sakho en tête notamment, sont issus de l’une des révolutions du football sénégalais depuis 2002 : les collaborations signées entre les académies de football sénégalaises et certains clubs de l’hexagone.

La toute première de ces collaborations voit le jour en 2003, lorsque le FC Metz signe une convention de partenariat avec l’Association Sportive Génération Foot. A ses débuts, le deal est simple : le club à la croix de Lorraine verse une aide financière et matérielle annuelle à l’académie créée par Mady Touré qui, en échange, donne le droit au FC Metz de venir piocher ses meilleurs joueurs chaque années. Une seconde convention est signée en 2010 et donne lieu à la création d’un nouveau centre d’entraînement ultra-moderne à quelques kilomètres de Dakar et de l’envoi sur place d’Olivier Perrin, formateur au FC Metz, actuellement entraîneur de l’équipe première de Génération Foot.

Papiss Cissé, Fallou Diagne, Diafra Sakho, Ismaïla Sarr et Sadio Mané sont les arguments les plus éloquents de la réussite de ce projet. Les différents aménagements effectués depuis 2010, dont la construction d’un lycée cette année notamment, financé par le FC Metz également. Dernièrement, l’Olympique Lyonnais s’est associé avec le Dakar Sacré-Cœur, tandis que l’Olympique de Marseille serait en pourparlers avec l’école de foot de Diambars, inaugurée en 2003 des suites d’un projet lancé par Saer Seck, Bernard Lama, Jimmy Adjovi-Boco et Patrick Viera, qui a notamment vu sortir l’ex-lillois Idrissa Gueye.

« Une chose est sûre, c’est qu’à l’heure où les clubs sont à la recherche des talents de demain, le Sénégal bénéficie d’une belle pub grâce aux Mané, Gana Gueye ou encore Ismaîla Sarr. Du coup, plusieurs clubs sont intéressés par des partenariats afin d’avoir la priorité sur les joueurs prometteurs. […] Mais je suis mitigé sur ce point. Les clubs viennent faire des partenariats mais leur seul et unique objectif est de dénicher le Mané ou le Sarr de demain. Alors quand, par exemple, le Génération Foot et le FC Metz s’associent, c’est bien. Un formateur de Metz, Olivier Perrin, vit au Sénégal quotidiennement et apporte une certaine méthodologie en plus d’un niveau d’exigence qu’il n’y avait pas par le passé. […] Mais au final ce processus n’a pour but que de permettre à des joueurs bruts d’éclore, d’être « polis », pour rejoindre plus vite le club partenaire en Europe. C’est une sorte de fuite des talents organisée. », estime Mansour Loum, grand connaisseur du football africain et rédacteur en chef de Stad’Afric.

Un fossé semble en effet s’être creusé entre cette équipe nationale performante et les clubs locaux, ne parvenant guère à entrer dans un cycle durable de croissance économique et sportive. La professionnalisation du football sénégalais, initié en 2009, à la suite du projet pré-mondial 2010 de la FIFA, « gagner en Afrique avec l’Afrique », et les réformes qui en découlent n’ont pour l’instant rien donné de positif. Comme en témoigne cette donnée accablante : depuis 2004, aucun club sénégalais n’a atteint la phase finale de Ligue des champions de la CAF. Une statistique « peu surprenante » selon Mansour Loum :

« Il y a un vrai niveau problème de niveaux par rapport aux autres championnats et le paradoxe, c’est que si souvent on entend parler de la sélection sénégalaise en bien avec les joueurs qui la composent, pour ce qui est du championnat c’est l’opposé. Il n’y a pas si longtemps, en L1 sénégalaise, le champion sortant était relégué la saison d’après et un promu jouait le titre. Cela traduit l’irrégularité des clubs et le manque de projet sur le long terme pour espérer avoir des résultats. »

Malheureusement, l’instabilité semble être devenue un gain de survie pour les clubs sénégalais. En plus du budget minimum de 50 millions de francs CFA requis aux clubs sénégalais pour participer à la L1 sénégalaise, du manque ou de l’absence de sponsors, le tout cumulé à la vétusté des enceintes locales ne permettant pas la mise en place d’une billetterie efficace et rentable, les rentrées d’argents des clubs sénégalais ne se résument quasiment qu’à la vente de leurs meilleurs joueurs le plus tôt possible. Autre bâton dans les roues du développement du football local : l’administration publique. Les actions de cette dernière pour le développement du football local sont très et trop peu nombreuses, là où au contraire certains pays voisins comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire investissent de plus en plus localement, comme nous le détaille Mansour :

« Le souci c’est que pour les dirigeants, la vitrine du football sénégalais : c’est la sélection nationale. C’est à elle que revient les plus gros budgets, tant fédéraux que du ministère des sports. On est en face de décideurs qui n’ont pas encore compris qu’il y a un réel enjeu local, d’abord pour espérer briller sur la scène internationale demain. Actuellement, il y a une bonne génération de joueurs, mais demain qu’en sera-t-il sans formation et sans accompagnement des clubs pour d’avantage se structurer et mettre en place une réelle politique de formation ? »

Une question et un tas de problématiques qui trouveront peut-être réponse dans le déclic que pourrait représenter un potentiel bon parcours des Lions de la Teranga cet été. La réussite de cette génération, dont la plupart de ses joueurs phares ont été formés ou pré-formés au pays peut s’apparenter, pourquoi pas, comme l’un des meilleurs vecteurs d’investissements au niveau local. D’ici là, c’est au terrain de reprendre ses droits, à Mané et consorts de reprendre les rênes, les Sénégalais ne demandant qu’à vibrer de nouveau à travers le football.

Crédit photo: PHILL MAGAKOE / AFP

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