« L’Amérique, je veux l’avoir, et je l’aurai ». La phrase est de Joe Dassin, mais elle aurait pu être de Javier Tebas. Et pour l’instant, il ne l’aura pas. Le président de la Ligue Professionnelle de Football espagnole a, pour l’instant, échoué à exporter « sa » Liga outre-Atlantique.
Il est honni par la plupart des supporters espagnols. Les Français l’ont découvert il y a un petit peu plus d’un an, lors du bras de fer entre le Barça et le PSG, avec le feuilleton Neymar. Et ils ne l’ont guère apprécié. Et comme s’il prenait goût à cette haine dirigée contre lui, Javier Tebas a eu une idée brillante : délocaliser un match du championnat espagnol aux Etats-Unis. A Miami, plus précisément, au beau milieu du mois de janvier. 13h45, un samedi, avec une de ses deux têtes de gondole : le Real ou le Barça. Et comme si cela ne suffisait pas, il a fallu rajouter de la polémique à la polémique, un an tout pile après le feuilleton indépendantiste en Catalogne. Pour ce faire, quelle meilleure idée que de réunir deux équipes catalanes chez l’oncle Sam ? L’idée était validée : Girona-Barcelone devait se disputer sur les anciennes terres du Roi LeBron. Gérone, la ville de Puigdemont et Barcelone, celle d’où tout est parti au cœur de l’automne 2017. D’aucuns évoqueront un hasard, d’autres y verront une énième provocation du grand gourou-businessman du foot espagnol.
Au départ de tout cela, la volonté est avant tout économique. Conquérir de nouveaux marchés, promouvoir le « produit Liga » au pays du soccer et surtout réaliser un coup de force jamais envisagé auparavant : un match d’un des plus grands championnats du monde sur un autre continent. Un peu comme si le Tour de France démarrait à Tokyo. Après tout, le Rayo Vallecano, club de quartier par excellence, avait bien tenté le rêve américain en créant le Rayo Oklahoma. Une ineptie morte dans l’œuf, deux ans après sa fondation, certes, mais le rêve américain ! Rien d’insurmontable ou d’inconcevable pour les têtes pensantes de la LFP espagnole. Celle-ci a d’ailleurs négocié avec Relevent, une société américaine spécialisée dans l’événementiel sportif et les médias pour signer un bail de 15 ans. 15 longues années durant lesquelles un match au moins devrait se tenir sur le territoire américain. Les différents protagonistes du deal n’hésitent pas à mettre en avant les nombreuses rencontres déjà délocalisées par les plus grandes ligues américaines : NHL, NFL ou encore NBA… Pourquoi ne pas tenter la même expérience avec le sport le plus populaire du monde ? « Si la NFL ou la NBA dispute des matchs à l’étranger, pourquoi la Liga ne le ferait-elle pas ? C’est important pour développer notre marque. » En août, Javier Tebas est on ne peut plus clair sur le sujet, et il le fait savoir. Il met en avant les intérêts convergents de tous les intéressés : des gains colossaux pour les clubs, une visibilité accrue pour le football aux Etats-Unis à moins de dix ans du Mondial nord-américain… Quitte à soulever une fronde importante chez lui.
Joueurs et supporters vent debout
Et oui, si les intérêts économiques sont flattés par une décision de la sorte, d’autres voient la chose d’un bien plus mauvais œil. Parmi ces « autres », on trouve quelques-uns des principaux intéressés d’ailleurs : les joueurs, ainsi que les supporters. La réaction de l’AFE, l’équivalent de notre UNFP, ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué, le syndicat des joueurs espagnols fustigeait très tôt la volonté de la LFP : « Suivant sa ligne habituelle, La Liga se passe de l’opinion des footballeurs et les compromet dans des actions qui ne bénéficieront qu’à elle, sans se soucier de la santé et des risques pour les joueurs, et encore moins du sentiment des masses de supporters qui se verront obligés de disputer un match à l’extérieur tous les ans. » Simple, limpide, tout ça… Mais vraiment pas de quoi faire reculer Tebas.
Alors l’AFE a vite passé la seconde et menacé d’utiliser une autre arme si la situation devait rester en l’état. Le 22 août dernier, les joueurs se sont réunis à travers leurs capitaines pour décider de l’action à mener. 14 clubs étaient représentés, dont le Barça et le Real, et tous ont finalement adopté une posture unanime. Hors de question pour eux de traverser l’Atlantique pour disputer un match, quelle que soit la compensation financière proposée. « Les joueurs sont fatigués par les décisions unilatérales, tonnait David Aganzo, le représentant de l’AFE, après la réunion. Nous allons essayer de ne pas aller jusqu’à l’extrême de nous mettre en grève, mais si c’est nécessaire, nous sommes prêts à aller jusqu’au bout. » La menace est brandie, prête à faire un tollé si jamais elle devait être mise en application.
Tebas, échec et mat
Toujours pas de quoi refréner les velléités de Tebas, mais une façon tout de même de le rappeler à l’ordre. Avant de négocier avec toutes les instances concernées, et elles sont nombreuses des deux côtés de l’océan, il a concédé une chose : régler en priorité les problèmes soulevés par les joueurs et les supporters. Une tâche ardue, mais en passe d’être remplie par Tebas. Promesses d’une amélioration sensible de la situation pour les joueurs libres et au chômage, compensation financière pour les supporters lésés… Le patron de la LFP, en fin négociateur, a réussi à rapprocher des positions initialement très éloignées. Et à recueillir deux soutiens de poids : ceux du Barça et du club de Girona, finalement disposés à jouer à Miami.
Cependant, une telle décision va bien au-delà du microcosme interne à la Liga. Alors que la possibilité de cette rencontre prenait de plus en plus forme, une réunion a tout fait basculer le 12 septembre. Gianni Infantino, patron de la FIFA, Luis Rubiales, celui de la Fédé espagnole, et Pedro Sanchez, rien de moins que le premier ministre espagnol étaient présents. Rapidement, les trois hommes de pouvoir se sont mis d’accord sur une chose : jouer aux Etats-Unis ? Pas question. Sauf surprise, cette délocalisation ponctuelle ne devait pas se produire cette saison, et le coup est très rude pour les dirigeants de la Liga. Bien sûr, chacun y va de sa raison pour justifier un tel refus. Pedro Sanchez craignait qu’une rencontre avec une dimension politique si importante ne se transforme en manifestation gigantesque pour l’indépendantisme catalan. Du côté de la Fédé espagnole, on y voit un préjudice pour la compétition. La FIFA, elle, estime que le football n’est pas qu’un simple business. Parvenir à provoquer un tel discours de la part de la FIFA, c’est fort. Merci Javier Tebas ?
Crédit photo : JOSÉ PAZOS FABIÁN / NOTIMEX